Inside
8.1
Inside

Jeu de PlayDead, Arnt Jensen, Dino Patti et Jeppe Carlsen (2016PC)

Soundtrack


La principale force du jeu vidéo, c’est l’immersion. Si Inside avait été un film d’animation ou une bande dessinée, par exemple, il n’aurait probablement pas eu le même impact sur moi.
Or, Inside est un jeu, ce qui fait qu’on ne se contente pas de le regarder : on le vit. Oui, je dis une évidence, mais je le souligne car c’est précisément dans un jeu comme celui-ci que ce facteur prend toute son importance.
Car Inside est un jeu qui est fait autant pour être joué que pour être vécu. Une tension s’installe dès le début, et elle monte en puissance jusqu’à la fin. La maîtrise du suspens est impressionnante : dès les premières minutes, on se pose un tas de questions, et d’autres se rajoutent au fur et à mesure. On est impatient de savoir la suite, même si l’ambiance n’est pas à la promenade. Aucune de ces questions ne trouvera de réponse claire, et c’est mieux ainsi : chacun aura ses interprétations (on peut voir sur internet que beaucoup ont cogité).


Je suis quelqu’un d’assez sensible : jouer à Inside a été, au début, plus une épreuve qu’un plaisir, car j’ai tendance à trop me mettre dans la peau du personnage. Mais en faisant l’effort de me dire « ce n’est qu’un jeu » et de prendre le recul nécessaire, j’ai fini par apprécier l’ambiance terriblement glauque et anxiogène sans m’empêtrer dedans. Mon astuce, c’est de parler tout seul devant l’écran, et de faire des blagues nulles avec ce qui se passe, ça ramène à la réalité et ça allège un peu l’horreur. Comme quand on devient soudain lucide dans un cauchemar, et qu’il devient alors beaucoup moins impressionnant.


Les énigmes sont assez bien fichues, parfois un peu alambiquées. J’ai vu que certains se plaignaient d’un manque de difficulté, mais pour moi ce n’est pas dans ce type de jeu qu’il faut chercher ça ; trop de temps passé à résoudre des énigmes sans passer au niveau suivant aurait, à mon sens, gâché l’immersion et la sensation d’urgence que le jeu procure en permanence. Si c’est pour finir par regarder des soluces pour avancer parce qu’on rame et qu’on veut voir la suite, c’est dommage et ça coupe dans l’expérience.
La direction artistique est réussie, c’est le moins qu’on puisse dire. Les jeux de lumières et d’ombres, le t-shirt rouge du garçon, seule tache de couleur dans ce triste univers monochrome, et le design général, forment un tableau qu’on veut continuer d’explorer malgré ses dangers. Techniquement, pas grand-chose à dire : l’animation est réussie, les mouvements fluides, la physique logique. Et le travail fait sur le son est excellent, il accompagne chaque niveau et achève de lui donner son ton. Parfois même, le son est un indicateur pour le joueur.
((A partir de là, SPOILERS. Si tu n’y as pas joué, passe ton chemin, sous peine que je t’en dise trop… et te gâche des choses qui seraient amoindries sans leur effet de surprise.))
Mais l’’intérêt d’Inside réside peut-être ailleurs. Il aurait pu se contenter de n’être qu’un jeu de plateforme angoissant et créatif, or il va bien plus loin : Inside est un jeu qui s’imbrique en lui-même, donnant tout son sens à son nom. La caméra chirurgicale qui encadre le personnage et suit ses mouvements finit par donner l’impression qu’on n’est peut-être pas le garçon lui-même, mais qu’on est en train de le surveiller, peut-être même de le Contrôler, possibilité que semble suggérer la fin alternative sous le champ de maïs (que je suis allé voir sur youtube, refaire le jeu en débloquant les secrets n’ayant pour moi pas le moindre intérêt). Et le garçon lui-même passe son temps à s’infiltrer et à espionner, même si dans son cas cela relève plus de la pure survie. Quant aux employés, ils observent eux aussi les sujets des expériences.


L’observateur observé, le contrôleur contrôlé.


Mais la sensation la plus poignante que j’ai ressentie à la fin, c’est celle de l’impuissance. Quand -dans cette masse de chair écœurante mais bizarrement libératrice à jouer après avoir été un enfant fragile- on brise enfin le dernier mur du laboratoire et qu’on roule jusqu’à cette plage éclairée d'un rayon de lumière, on croit enfin à l’espoir : on s’imagine déjà se déliter et s’échapper dans cette eau, loin de toute cette folie. C’est alors qu’on réalise qu’on ne peut plus bouger, et que c’est la fin. Rien dans cette fin, comme tout le reste dans ce jeu, ne prend de tournure définitive, mais sur le moment, je me suis dit : « tout ça pour ça ? » j’ai ressenti le résultat de tous ces efforts comme quelque chose de désespérément vain.


Le garçon représente-t-il la liberté de penser par soi-même ? La défend-il dans un monde atroce où les gens sont soit des larves au cerveau lavé, contrôlés sans le moindre libre arbitre, soit des employés lâches qui croient avoir la maîtrise mais sont tout autant prisonniers que les autres ? Ou n’est-il, au contraire, qu’un pion de plus dans cet échiquier morbide et sans âme ?
Que représente la masse dans laquelle on se fond à la fin ? Une agglomération de gens soumis, que le garçon tente de sauver, de guider ? mais qui, alors qu’il tentait de l’aider de l’intérieur, l’absorbe et lui fait perdre sa personnalité encore innocente ?
Tout cela peut prendre un aspect très abstrait ou très concret. On pourrait le prendre sous l’aspect dystopique et faire une allégorie directe de notre société actuelle. L’obsession du contrôle, les classes sociales. Celui qui pense différemment est chassé pour ça. Puni. Et, en même temps, il peut rassembler les foules qu’on a maltraitées, attirés par son esprit encore libre comme des insectes par la lumière. Prêts à le suivre, à l’aider, et même à se sacrifier pour lui, afin qu’il change le système. Extrapolation sociale plaisante, mais peut-être incorrecte.
Le plus flagrant, ce sont les dérives de la science. Cette science qui, petit à petit, s’émancipe de toute morale et de toutes limites, car elle a corrompu l’humain. C’est déjà le cas depuis longtemps : nous ne cessons de nous éloigner du naturel et de nous modifier. Sous prétexte d’améliorer, nous acceptons toujours plus de choses. Même ce qui choque au début finit, avec le temps, par être accepté et même encensé. Malgré tous les avertissements et les intuitions qui nous poussent à freiner cette progression, l’engrenage est lancé et ne s’arrêtera pas.
A la façon d’un « meilleur des mondes », d’un « 1984 » et d’autre dystopies, ce que montre Inside par l’exagération… est déjà là. Peut-être qu’on n’aura jamais littéralement une bouboule faite de corps enchevêtrés, mais vous voyez l’idée.


On peut trouver autant de messages positifs que négatifs, autant de questions que de réponses, tout reste flou et ouvert. C’est sans doute ce qui me plaît le plus dans Inside : chacun y voit ce qu’il veut, et l’important n’est même pas là. L’important, c’est qu’on vient de vivre une expérience qui touche des cordes sensibles, et qui pousse à se poser des questions sur l’humanité, sur le sens des choses et sur ce que nous sommes, nous, devant tout cela.
Inside, grâce à sa forme captivante qui sert un fond mystérieux et intriguant, est une œuvre de science-fiction réussie, dont je me rappellerai longtemps.


Bon allez, maintenant, je sors, je vais voir la nature éclatante de couleurs, sous un soleil chaud et brillant, et je me détends.


Pour l’instant, tout va bien.

Veather
8
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le 19 avr. 2020

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