Bitter Sweet Symphony

A priori Life is Strange est un teen movie fantastique interactif, ce qui implique un gameplay un peu bidon, une technique un peu à la ramasse, des personnages "jeunes adultes" irritants, une histoire pas toujours très cohérente et des thèmes vus et revus.
Et à vrai dire, ce n'est pas très loin de la réalité ... Pourquoi tant de hype ? Les critiques presse peinaient à me convaincre, même si les joueurs étaient unanimes sur la qualité du titre.
Je suis donc parti curieux, mais dans l'idée que je serais probablement déçu.

Le gameplay simple voire simpliste a le mérite d'être clair et sert finalement assez bien le scénario, en plus de permettre un peu de mise en scène, notamment en termes de cadrage.
Par ailleurs, les choix de dialogues sont évidemment assez limités, mais pas anodins.
Votre personnage ne vous laissera pas non plus explorer le monde librement n'importe quand, ce qui inscrit un impératif d'action essentiel au cinéma, mais de plus en plus rare dans les jeux modernes, notamment de la vague open-world.
Dans la même veine, le jeu n'hésitera pas à user de cinématiques où l'interaction est totalement bloquée (impossible de "rembobiner" le temps), brisant complètement la continuité du jeu.
Nombreux seront les ludologues frustrés : "j'aurais pu faire autrement", "j'aurais pas dit ça", etc. Mais justement Life is Strange ignore volontairement les codes "classiques" du jeu vidéo (pas d'ATH, pas d'inventaire, pas de game over) pour se démarquer comme fiction interactive d'un nouveau genre.

Dès lors, il ne faut pas se projeter aveuglément sur l'héroïne. En acceptant le personnage avec son caractère, ses déterminismes, on peut d'autant plus apprécier ses réactions, plutôt réalistes d'ailleurs : quoi de plus normal qu'être parfois agacé par cette adolescente en études d'art. Simple, pourtant cela demande un effort, car les jeux occidentaux modernes (en particulier avec la recrudescence de vue à la 1ère personne) nous ont aussi habitués à nous confondre avec le héros, et à préférer l'opportunisme à la cohérence. Ici, joueur et héroïne sont donc bien distincts, et l'interaction limitée, mais cela permet de développer des personnages plus crédibles, plus consistants, plus cohérents, en bref plus humains.

Car c'est là que Life is Strange brille, par l'humanité de ses personnages, leurs imperfections, leurs passés, leurs doutes et leurs aspirations.
Cette humanité qui prend aux tripes, sans prévenir. Car dans ce jeu narratif, les meilleurs moments sont en fait les moins verbeux. Entre les dialogues et tirades qui font avancer le scénario mais peuvent paraître sur-écrits, on trouvera plusieurs "moments de grâce"

où les personnages n'échangent que quelques mots, parfois un trait d'humour, mais qui sonnent justes parce qu'ils sonnent vrais.
Alors le jeu se permet d'explorer des thématiques connues au cinéma mais bien moins dans le jeu vidéo, comme la frontière floue entre amitié et amour platonique.

S'en dégage une mélancolie, appuyée par la bande-son excellente,

un sentiment qui reste longtemps après avoir quitté le jeu et qui fait oublier les graphismes pas toujours beaux, les visages pas toujours expressifs et les énigmes pas toujours intéressantes.

L'histoire est par ailleurs ponctuée de moments plus dramatiques et de choix déchirants

sur un modèle plus filmique de setup-payoff

qui vont faire monter la tension jusqu'à un climax surprenant bien qu'inévitable. Le jeu dévoile alors sa vraie thématique : le deuil. Le deuil des gens partis trop tôt, mais aussi celui des amis d'enfance oubliés, des gens qu'on a perdus de vue, et de l'enfance en général.

Alors après ces quelques heures de jeu, que me reste-t-il de Life is Strange ?
Un souvenir doux, mélancolique, de ces personnages étonnamment attachants, leurs aventures mais surtout leurs errances et leur complicité. Un souvenir qui ne peut que se bonifier car il est profondément nostalgique. Chloé et Max vont vraiment me manquer.