Vous ai je déjà parlé de ce pote à moi ?


Un ami collé à mes basques depuis le CE1 et dont je n'ai pu me dépêtrer. Un accord tacite me liait à sa famille.
J'étais le protecteur, le tuteur de cette branche un peu tordue, le Jiminy Criquet posé sur l'épaule de mon Pinocchio d'ami. J'étais la conscience. J'étais la confiance.
Je passais le prendre devant chez lui et nous allions, nos cartables sur le dos, jusqu'à l'école. Je regardais pour lui avant de traverser; je lui annonçais les trottoirs qui jonchaient son parcours, obnubilé qu'il était par ces jeux électroniques de poche qu'il collectionnait par dizaines.
J'étais devenu le chien d'aveugle de mon ami.
Cette attention toute particulière continua tout au long de notre longue amitié.
De la primaire où je veillais sur son goûter et son sac de billes, du collège où sa misanthropie maladive et son incommunicabilité m'obligeait à le défendre contre les profs trop rigides, les sportifs belliqueux et autres gonzesses hystériques, jusqu'à nos jours.
Une vigilance de tous les instants que mon ami ne voyait pas, occupé qu'il était à manipuler du pixel les yeux rivés sur son écran.
J'étais son guide dans le monde réel qu'il connaissait si peu, son manuel de survie et son guide des bonnes manières. Sorti de sa virtualité, tout devenait compliqué pour cet handicapé de la réalité.
Faire les courses, prendre le bus ou dire bonjour à sa boulangère était pour ce game addict comme de terminer "Teenage Mutant Hero Turtles " sur La NES pour nous: d'une difficulté insurmontable.


J'allais donc par ce bel après-midi de Mai chercher mon vieux pote afin d'aller quérir les produits de première nécessité essentiel à sa survie et qui étaient souvent les mêmes: 8 packs de 6 bouteilles d'1.5 L de Coca, 4 paquets de Granola Chocolat noir, des saucisses de Strasbourg et évidemment la base de son alimentation, son péché mignon et sa source d'énergie principale, ses Curly.
Je m'arrêtais également lui récupérer un sac de beuh made in Amsterdam chez un pote à nous. Une herbe aussi verte qu'un bout de champ Aveyronnais et aussi collante qu'une petite culotte de groupie de Kenji Girac.
La défonce ultime faite fleur, une explosion nucléaire à l'intérieur d'un sac plastique Prisunic.
En un mot: De la bombe.


J'arrivais devant chez lui et montais au deuxième étage avec mon sachet de beuh dans la pocket prêt à être fumé.
Je toque, personne ! Comme à son habitude la porte d'entrée n’était jamais fermée à clef et je décidai d'entrer. J'appelle. Rien. Je commence à fouiner dans cet appart sombre et confiné: Que dalle !
En l'attendant je décidais de mettre un peu d'ordre à son bordel immense et poussiéreux. Je ramassais les nombreux sachets de Curly vides étalés sur sa moquette verte kaki, je passais un coup d'éponge sur la table basse dont je m'aperçus après toutes ces années qu'elle était en verre, je rangeais ses vieux Newlooks où les poitrines d'Ophélie Winter, Vanessa Demouy et autres Monica Bellucci me faisaient de l'oeil mais dont les pages collées depuis des siècles m'interdisaient l’accès et me dégoûtaient pas mal.


Une heure déjà que j'étais là et que je nettoyais la turne de mon pote, et toujours rien.
La fatigue me gagnait. Je m'assis sur le sofa en attrapant le bang majestueux trônant sur la tablette à côté du canapé. J'allumai la téloche et me tassai une bourre de Ganja bien épaisse que j'aspirai peinardos le cul sur le sofa en zappant au hasard des nombreuses chaînes insipides.
Mon esprit embrumé ne pouvait se poser sur rien d'intelligible. C'est donc la mort dans l'âme que je cramais quelques neurones devant l'odieux Secret Story.


C'est en finissant un vieux paquet de Curly qui traînait par terre, affalé sur le canapé défoncé de mon pote, que je compris, malgré moi, les causes de l'absence de mon ami.
Je regardais le grand direct de Secret Story sur TF1 les yeux rougis et mi-clos quand c'est arrivé.
Tandis qu'une petite dizaine de jeunes cons décérébrés étaient dans la cuisine en maillots de bain autour d'un épluche-pomme de terre en train de se demander à quoi pouvait bien servir cet objet magique, il y eut au loin un bruit énorme, un fracas terrible.
Tout à coup un homme entra, le visage masqué, sanguinolent, avec une batte de base-ball maculée de liquide rouge.
L'homme semblait fou, il tapait sur les murs, les miroirs et autres bibelots dégueulasses qui ornent ces maisons factices. L'homme rugissait menaces et insultes sous son masque de papier jaune avant d'attaquer frontalement le jeune Steven, qui réajustait tranquillement son maquillage autour des yeux, en lui filant un grand coup de batte en pleine gueule, lui explosant le ciboulot devant ses camarades terrorisés.
Tandis que les petits connards bien coiffés de l'émission de télé-réalité commençaient à partir en tout sens comme des lapins dans les phares, courant et hurlant dans cette enceinte cloisonnée, notre homme sortit du sac qu'il traînait avec lui un pistolet à clous professionnel et commença à tirer sur nos amis trépanés.
Clang ! Clang ! Un clou pour Jenifer, un autre dans le mollet de Kevin, clang ! Et un dans l'épaule de Paul-Henry.
C'était un jeu de massacre. Manhunt qui devenait réel. MANHUNT ! Bordel, mais c'est bien sûr !


Les masques sanglants, les armes de fêlés et cette putain de télé-réalité.
Le spectacle de l'horreur jeté en pâture au mouton écervelé broutant sa moquette devant sa boîte à cons. Tout me revenait.
Des maniaques lancés à tes trousses, des tronçonneuse rugissantes, des fusils à pompe fumants qui te collent au cul comme ton putain d'inspecteur des impôts.
La mort qui rôde, qui renifle ta peur comme un animal sauvage. Une meute de clébards qui hurlent ton trépas dans cette forêt de béton et de ferraille. Bien sûr !


Je me disais bien que ce masque ensanglanté me parlait.
Le gars continuait son carnage audiovisuel poursuivant ces petits métrosexuels avec sa batte de Base-Ball cloutée en hurlant comme un dément.
Mais quelque chose me mit la puce à l'oreille. Une chose que je reconnus immédiatement.
Le "boucher de Secret Story" portait un tee-shirt Megadeth délavé et farci de trous de boulettes...?... Putain ! Mon pote !!
La voilà la raison de son absence !
Je sentais que ce putain de Manhunt avait rongé l'esprit déjà malade de mon ami. Mais là !


Je regardais la télé et je le vis poursuivi par les gorilles de l'émission.
Je le vis courir dans cette maison dégueulasse, évitant les flashballs et les clés de bras des garde du corps de TF1.
Dans un geste extraordinaire, un saut monumental dont je ne l'aurais jamais cru capable, il parvint à franchir les hauts murs de cette prison doré pour futurs dépressifs.
Mon ami détalla à tout berzingue dans les studios de la plaine Saint-Denis en braillant comme une radio jeune, une électrode de taser plantée dans la nuque.


Je lorgnais l'écran de télé l’œil las et le corps blasé.
Finalement la misanthropie profonde de mon pote aura été payante: 3 blessés par pistolet à clous, une arcade sourcilière défoncé et un traumatisme profond pour cette dizaine de connards analphabètes.
Un joli score en définitive.


Pensif, je pris son bang et me cramai une douille.


J'étais fier de lui.

Ze_Big_Nowhere
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le 16 oct. 2015

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