Comment réaliser un pur "third person shooter" aux prétentions narratives sérieuses dans une ère postmoderne comme la nôtre ? Un jeu vidéo scénarisé, doublé par de talentueux acteurs, peaufiné à coup de millions de dollars mais qui ne demande finalement au joueur qu'à tirer dans le tas, again and again and again and... Aucun scénario à moitié vraisemblable ne peut justifier de dessouder 800 êtres humains à coups de pistolets et de kalachs. Et pourtant ce Max Payne se veut tragique comme Eschyle, bavard et, finalement, assez réaliste. Contradictoire ?

Il suffit de jeter un oeil sur la plastique de la bête pour comprendre. La patte artistique est là, indéniablement. Nourrie par de véritables recherches opérées sur le terrain par Rockstar pour rendre aussi crédible que possible le royaume des favelas et des milliardaires décadents. Le Brésil de « Max Payne 3 » impressionne. Les décors fourmillent de détails. Vous pouvez vous arrêtez un peu n'importe où, même dans le bureau le plus générique qui soit, et sombrer dans une contemplation de plusieurs secondes. Des objets partout, des tags, des affiches, des jeux de lumière... Et que dire du travail sonore ? Certains passages sont impressionnants à ce niveau, particulièrement ceux qui se passent dans les favelas. Tout une vie s'épanouit autour de vous pour mieux mourir par la suite. Dommage que la musique ne suive pas, malgré une superbe reprise du thème de Max, et qu'on soit condamné à écouter des percussions molasses et de vagues nappes de synthé ridicules...

La volonté de cohérence se retrouve tout naturellement dans les animations. De très grande classe. Max est bedonnant. Il a un peu de mal a bouger, son inertie se ressent, aussi bien visuellement que dans les sensations de jeu. Il est d'autant plus jouissif de s'élancer régulièrement, au ralenti et en apesanteur, de rouler sur le sol, de se planquer derrière un mur pour mieux surgir à côté de l'adversaire, etc. Max a du poids sans être lourd. L'ivrogne se libère régulièrement de ses entraves pour tuer avec classe. Le fan de John Woo exulte... Le gameplay est exigeant mais pas difficile, même si je pense que la jouablité à la manette n'est pas forcément des plus adaptées. Ce qu'on voit et ce qu'on ressent vont de pair, comme une vision de l'harmonie. De plus, Max n'a pas de poches magiques. Une arme ramassée est une arme portée. C'est juste merveilleux de voir ça dans un jeu vidéo aujourd'hui. On y croit. Malgré l'invraisemblance des situations. Malgré que l'on tue des centaines de gens à soi tout seul et que l'on ne fasse que ça.

C'est la principale critique formulée contre cet opus et c'est compréhensible. Chaque porte, chaque couloir donne lieu à des cinématiques très bavardes. Max mène sa vie (intérieure) tout seul. Nous on n'est là que pour tirer, et encore: quand on nous le dit. Comme on ne peut passer les cinématiques qui sont des temps de chargement déguisés, il y a de véritables problèmes de rythme. Et tout ça pour un scénario finalement ultra-prévisible tout en étant inutilement confus. Pourtant, c'est dans ce bavardage, à mon sens, qu'on peut trouver la réponse à la question que je posais en intro: comment justifier un jeu aussi bourrin dans l'ère du « réalisme » ? Tout simplement avec le cynisme de Max. Représentant d'une ère du jeu vidéo qui est en bout de course mais qui s’évertue pourtant à régner en maitre quasi-absolu, « Max Payne 3 » est conscient du paradoxe dans lequel l'industrie du jeu vidéo s'est engouffrée. Toujours plus de réalisme pour des mécaniques brutales inchangées. Du pan-pan à la « Space Invaders » après 40 ans d'évolution du média. A quoi bon renier le grotesque de la chose ? Max se charge de se foutre de tout ça pour nous, comme il se charge déjà de nous ouvrir les portes des couloirs traversés: il ne rate pas une occasion de déverser son humour désespéré, corrosif, et n'épargne rien ni personne. Il tourne en dérision ses employeurs, les injustices de sa ville d'adoption, sa vie, le joueur- indirectement.

« Pourquoi je continue de faire ça ? » se demande-t-il à chaque carnage où il ressort miraculeusement indemne, probabilité quantique si improbable qu'il ne peut être qu’inhumain ? La seule autre échappatoire du jeu aurait été de choisir une veine cartoon. On est ici dans l'autre extrême, la caricature de l'alcoolique, le fou shakespearien qui se permet de dire ses quatre vérités à tout le monde avec un sens cinglant de la répartie qui ne dissimule rien de l’exagération génocidaire en train de se dérouler sous nos yeux. Que c'est bon de goûter au nihilisme, parfois ! « Spec Ops: The Line » était de la même famille des jeux de tirs désabusés. De vrais oeuvres postmodernes en somme.

Dommage cependant que la seule liberté du joueur dans ce maelstrom délétère, à savoir la manière d'occire du brésilien virtuel, n'aie pas été un peu élargie. Tirer en sautant au ralenti c'est cool... mais pourquoi pas d'autres mouvements spéciaux ? D’interactions véritables avec les décors ? D'aires de combats plus étoffées au niveau possibilités tactiques ? « Stranglehold », le jeu vidéo de John Woo, était bien plus pertinent à ce niveau-là. Les possibilités de « Max Payne 3 » demeurent malheureusement un peu trop réduites, sans doute noyées dans un bavardage qui oublie parfois d'écouter le joueur. Ca coûte un peu en plaisir de jeu et c'est très, très dommage. J'étais pas loin de détenir mon « best shooter ever ».

Et j'emmerde les types qui ont décidé de me niquer les yeux avec la taille de leurs sous-titres. Pauv' cons. C'est ce que j'appelle terminer une critique avec élégance.
Amrit
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le 19 juil. 2014

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