Pour la première fois de la série, le jeu ne met pas en scène Solid Snake mais bien Naked Snake, avant qu’il ne devienne Big Boss, et le grand méchant des tout premiers Metal Gear (Solid Snake fait partie, avec Liquid et Solidus, des « Enfants Terribles », des clones issus d’un programme ayant récupéré les gènes de Big Boss). Metal Gear Solid 3 se fait en deux actes, à la manière d’un James Bond, avec un prologue appelé Mission Vertueuse où Snake, en 1964, doit récupérer un scientifique soviétique, Sokolov, que les USA ont dû rendre à l’URSS suite aux accords secrets lors de la crise des missiles de Cuba. Mais Washington jugeant que l’homme est trop dangereux, charge le Major Zero et son unité Fox d’envoyer Snake pour le récupérer. Sur place, il découvre que son ancien mentor, The Boss, est passé à l’Est et aide un dangereux terroriste, Volgin. The Boss terrasse Snake avec l’aide de son unité Cobra, tandis qu’elle vole le Shagohod, un engin mobile capable de tir nucléaire, ainsi que deux ogives que Volgin utilise sans vergogne pour détruire une base soviétique.


Une semaine plus tard, Khrouchtchev appelle Washington pour avoir des explications sur ce désastre nucléaire et demande des comptes. L’opération Snake Eater est mise en place pour liquider l’unité Cobra et son chef, The Boss, responsable de tout ça, puis détruire le Shagohod, l’ancêtre du Metal Gear. Sauf qu’évidemment, tuer son ancien mentor ne va pas être très simple pour Snake…


Metal Gear Solid 3 est un parfait point d’entrée pour les néophytes : c’est le tout premier d’un point de vue chronologique. Il ne demande aucune connaissance de la série et propose l’histoire la plus forte et la plus emblématique de la série. Le scénario est digne d’un film d’espionnage, mais comme toujours la richesse de l’histoire et des personnages prend rapidement le dessus au point de ressentir un profond attachement pour ses protagonistes. Le socle du jeu est la relation entre Snake et son mentor. The Boss est probablement l’un des personnages les plus forts, les plus remarquablement écrits que j’ai pu voir dans le jeu vidéo. On a beau critiquer le machisme exacerbé du monde vidéoludique, toujours est-il qu’en 2005, Kojima a réussi à créer un personnage féminin extraordinaire.


[SPOILERS]


A la fois forte et patriote mais sans jamais renier son féminisme à travers son côté maternel envers son ancien disciple et toute son unité, elle garde de profondes blessures du fait de son passé et de son enfant qui lui a été volé (on apprendra dans le jeu à travers de multiples indices que ce n’est autre que Revolver Ocelot). Mais c’est surtout son incroyable et indéfectible loyauté envers son pays qui force le respect. On apprendra son rôle lors du débarquement en Normandie, sa participation à des essais nucléaires et à la conquête de l’espace, jusqu’à aller tuer l’un des anciens membres de son unité Cobra et son bien-aimé (The Sorrow). Mais c’est son véritable rôle au sein de l’histoire, dont on découvre la vérité dans une ultime cinématique déchirante, qui donne une humanité incroyable à The Boss. Patriote jusqu’au bout des ongles, elle ira jusqu’à se sacrifier pour son pays et jouer le rôle de monstre des deux côtés de la planète : une terroriste pour l’URSS, capable d’anéantir toute vie grâce à l’arme nucléaire, et une traîtresse communiste pour les USA. Personne ne se souviendra de ce qu’elle aura fait pour préserver la fragile situation entre les deux camps, et c’est cet acte qui changera Snake à jamais.


C’est grâce à son sacrifice qu’elle transformera Snake en Big Boss et qui transformera aussi la confiance qu’il avait dans son pays en véritable haine. Snake, simple pion au milieu de ce vaste échiquier, ne réalisera que trop tard tout ce que son mentor a fait pour sa patrie en sachant très bien ce qu’elle aurait à sacrifier. Metal Gear Solid 3, c’est avant tout le combat d’une femme qui croit en ses idéaux, qui croit en ce qu’elle fait pour protéger les siens, comme une mère, jusqu’à complètement abandonner tout ce qu’elle est et ce qu’elle sera pour faire ce qu’elle pense être juste. Et ce combat est magnifiquement illustré dans le segment final, au milieu d’une plaine de fleurs blanches, sans l’ombre d’une musique, avec un compte à rebours silencieux. L’élève contre le mentor. Une maîtrise absolue de la narration et du storytelling, qui montre que malgré tout ce qu’on peut penser de lui et de ses excentricités, Kojima possède un talent de conteur et de créateur de personnages forts qu’on voit très rarement.


Il suffit d’un dialogue avec Eva pour illustrer toute la complexité de la relation entre Snake et Boss :


Eva: Snake, is there anyone you like ?
Snake: I have never been interested in anybody else’s life…
Eva: But you were interested in the Boss. What is the story between you and her ?
Snake: She was like my mother and my master.
Eva: And your lover?
Snake: It went deeper than that. Half of me belongs to the Boss.
Eva: Do you love her?
Snake: No, nothing like that.
Eva: Do you hate her?
Snake: Does it have to be one or the other, love or hate?
Eva: Between a man and woman, you bet.
Snake: For ten years we lived and died together. You couldn’t possibly understand.
Eva: And you think you can kill her now? Assassinating the Boss. That is you mission isn’t it?


Heureusement, MGS 3 ne serait rien sans son gameplay solide, même si les nouveaux venus pourront trouver la formule un peu rêche (surtout compte tenu des séquences un peu bavardes). Exit les corridors et les trips futuristes des autres épisodes, Snake Eater contraste complètement avec le reste de la saga en plongeant Snake au cœur de la jungle. Il faudra aussi attendre la version Subsistence pour récupérer une caméra libre (présente sur les versions HD récentes), bien plus utile que la fameuse caméra vue de dessus des deux anciens épisodes, et qui était compliquée à utiliser vu que le radar n’existait pas encore dans les années 60. Le jeu tranche sur le gameplay en utilisant une feature réutilisée plus tard sur l’épisode 4 : le camouflage. Snake pourra changer sa tenue et son maquillage afin de passer inaperçu auprès des gardes suivant le style des lieux ainsi que sa couleur dominante. Un pourcentage indiquera à quel niveau Snake sera invisible aux yeux des ennemis. Vous pourrez même récupérer de nouvelles tenues, certaines plus exotiques comme la tête de crocodile, mais ce système permet des approches passionnantes. On pourra même user de tactiques militaires plus directes, comme faire sauter les réserves de munitions pour que vos ennemis tirent moins souvent ou les vivres afin de rendre les soldats moins endurants. Le jeu ne lésine pas non plus sur les scènes d’action, puisque l’équipement mis à votre disposition est conséquent et couplé avec les méthodes d’infiltration et le level design (troncs d’arbres creux, branches pour s’accrocher, marécages), on aura droit à des scènes guerrières du plus bel effet.


MGS 3 pousse l’effet « Rambo » encore plus loin en forçant le joueur à soigner ses blessures pour éviter de perdre de la vie, en utilisant des bandages, des antibiotiques, en retirant les balles ou encore en cramant les sangsues avec votre cigare. Snake pourra aussi capturer ou tuer des animaux pour les manger plus tard et se soigner. Le jeu prend en compte le temps réel de la console : revenez-y trois semaines plus tard, et il y a des chances que vos prises aient moisies (sauf les animaux capturés vivants). Toutes ces mécaniques de gameplay font de MGS 3 un jeu unique, bourré de détails comme on peut les retrouver sur l’ensemble de la saga. Mais Kojima a su trancher avec l’ADN de la série en transformant ce troisième épisode en véritable survival. Évidemment, cela reste souvent des gimmicks, et en mode normal, on tombera rarement à cours de bandages. Mais le jeu devient bien plus exigeant et passionnant dans les modes de difficultés plus élevés. Kojima force aussi, une fois de plus, le joueur à ne pas tuer en utilisant de nombreuses techniques, notamment le corps-à-corps grâce au CQC : il est possible de finir le jeu sans dessouder personne. L’affrontement contre The Sorrow pourrait être bien plus pénible si votre parcours a été jonché de cadavres.


Metal Gear Solid 3: Snake Eater est un grand jeu. Il ne rassurera pas ceux qui trouvent les cinématiques trop longues et les jeux trop bavards, mais il bénéficie de la meilleure histoire de la saga, et arrive même à se savourer sans connaître grand-chose à l’univers de Metal Gear. Passionnant dans son gameplay et arrivant à renouveler la licence avec une maestria incroyable, c’est aussi l’histoire d’une relation trouble entre l’élève et son mentor, Snake et The Boss, l’histoire d’une femme remarquable et d’un homme qui ressortira profondément marqué par cette aventure. Aventure qui influera toutes les autres.

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le 8 janv. 2016

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Cronos

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