Zappons poliment le laborieux récap de la série MGS pour passer directement à l’introduction de cet ultime épisode de la saga. Annoncé comme « the final one » par Kojima himself, à l’instar du 2e, 3e et 4e épisode avant lui, le jeu avait pour objectif annoncé de boucler l’histoire de Big Boss et de faire le lien avec le tout premier Metal Gear sorti en 1987 (vous savez, celui auquel personne n’a réellement joué).
Au programme : déchéance d’un héros, descente aux enfers et avènement de Outer Heaven. Enfin ça, c’est ce que nous, pauvres joueurs, croyions. Car entre les fantasmes d’une fan base arrosée à coup de somptueux trailers et la vision du maitre d’œuvre, c’est bel et bien un gouffre qui s’est creusé. En route pour un jeu qui a tout remis en cause !


De l’importance d’une communication mesurée



Un constat s’est vite imposé à tous ceux qui ont attendu et joué à MGS V : nous avions déjà tout vu avant même la sortie du jeu. Réalisé de main de maître et avec la passion d’un véritable amoureux du cinéma, les trailers concoctés et dirigés par Kojima lui-même ont fait l’erreur de dévoiler toute l’histoire.
Il s’agit d’un véritable problème qui n’est pas à sous-estimer et qui a, selon moi, grandement participé à la déconvenue scénaristique vécue par les fans. Telle la montagne qui accouche de la souris, les trailers nous ont laissé croire à une plongée en enfer épique au cœur de laquelle Big Boss se révèlerait tel que nous croyons le connaitre, pour finalement prendre tout le monde à contre-pied. Passée une première heure de « jeu » démesurée, l’aventure prend un tour crépusculaire totalement inattendu. Les moments de bravoures propres à la saga MGS ne seront distillés qu’au compte-goutte, dilués à travers une épopée tantôt monotone, tantôt redondante, jamais à la hauteur de ce que nous espérions.
Erreur de communication de la part de Konami ou fantasme créé de toute pièce par les joueurs eux-mêmes ? Débordement d’orgueil d’un Kojima qui se savait condamner ou rejet d’une communauté trop habituée à avoir ce qu’elle demande ?
Nous n’aurons jamais la réponse, mais je reste persuadé qu’une communication mieux orientée aurait évitée bien des déconvenues. Si toute la shitstorm autour de No Man’s Sky nous a appris que les joueurs ne sauront jamais modérer leurs attentes face aux idées qu’ils se font d’un jeu avant sa sortie, la promotion d’un titre ne doit jamais s’emballer au point de ruiner l’expérience des joueurs. Quand TOUTES les scènes cinématiques d’un titre ont déjà été aperçues dans les trailers, c’est qu’il y a un très gros problème dans la façon dont la promotion du soft a été dirigée.


V has come to… nothing?



Si le scénario brille par sa torpeur, la narration pêche quant à elle par son manque de dynamisme et son incapacité à enchainer les évènements de façon fluide. La cause de cet éparpillement est notamment due au découpage de l’histoire par mission, ou chacune d’entre elle commence par un mini-générique façon série télé. Une erreur de plus, cette fois-ci à mettre sur le compte de l’approche voulue par Kojima, car dévoiler le casting présent au cours de ladite mission empêche logiquement toute sorte de surprise (les apparitions de skull face, par exemple).
L’autre erreur majeure de cette narration hachée est d’avoir eu recours aux cassettes audio. Ce genre de procédé peut, en temps normal, faire figure de bonus sympa et de complément à l’histoire. Or, 80% du scénario de ce MGS se raconte au travers de ces cassettes ! Kojima a fait le choix de diminuer la fréquence des cinématiques, pourtant la marque de fabrique de la série, pour privilégier l’immersion du joueur et lui laisser le choix de suivre complètement, ou non, le scénario.
Une démarche compréhensible et louable dans la mesure ou ce MGS privilégie avant tout le gameplay, mais qui se transforme en véritable chemin de croix pour tous les fans qui, évidemment, vont se taper des dizaines et des dizaines de conversations insipides pour attraper au vol un petite information essentielle qui aura été lâchée là, sans crier gare.
Ce calvaire devient d’autant plus laborieux pour toutes celles et ceux qui ne sauront pas se passer de sous-titres. Certes, le jeu nous propose de lancer les cassettes en fond et de poursuivre notre mission pendant que les sous-titres défilent en bas de l’écran, sauf qu’il ne s’agit pas d’un film ou d’une série, n’en déplaise à Kojima, mais d’un jeu-vidéo ! D’infiltration qui plus est ! Rester attentif à l’environnement et alerte face au danger tout en suivant les conversations enregistrées sur cassettes, lesquelles regorgent de termes complexes et propres au jeu, relève tout simplement de l’impossible.
La solution ? Ecouter les cassettes dans l’hélicoptère, ou dans le mother base, ce qui équivaut à poireauter des heures entières sans rien faire. Pour un jeu qui veut mettre son gameplay en avant, autant dire que c’est totalement contre-productif.


Malgré tous ces errements et choix de narration douteux, l’histoire n’est pas à jeter, loin de là ! Assez cryptique et, on va le dire, très opaque, elle est à des années lumières de ce à quoi la série nous avait habitué. A tel point que même les nouveaux arrivants peuvent s’y retrouver, une hérésie quand on pense que la saga a pour réputation d’être hermétique aux néophytes…
Alors oui, celui qui n’a pas joué au reste de la saga risque de ne pas comprendre la façon dont cet épisode s’imbrique avec les autres et dans quelle mesure il chamboule une grande partie de l’histoire que nous pensions connaitre. La révélation finale n’aura d’ailleurs pas la même conséquence pour eux que pour tous ceux qui suivent cette série depuis des années.
L’histoire se tient toutefois à elle-seule et reste suffisamment accessible pour permettre aux nouveaux arrivants d’en profiter telle quelle. L’apprécier reste toutefois une autre paire de manche car, comme je l’ai dit plus haut, celle-ci se trouve être plutôt cryptique et difficilement digeste en première lecture.
Que ce soit les motivations des personnages, leurs actions ou leurs psychologies profondes, rien n’est explicité et il appartiendra aux joueurs de pousser la réflexion plus loin. Les théories et décryptages ne manquent pas sur le net, et il est réellement intéressant de s’y attarder pour tous ceux qui, comme moi à l’époque, ont l’impression d’avoir été lésés. Vous jetterez alors un nouveau regard sur l’inertie d’Ocelot, sur les parallèles manqués entre Skull Face et Venom Snake, sur tout ce qui se joue en toile de fond et, finalement, sur le traitement de Big Boss, son identité et, surtout, son rapport au joueur. Le travail réalisé sur le traitement des personnages se révèle autrement plus complexe et fascinant que de prime abord, et la diabolisation de Big Boss finalement moins factuelle que symbolique.


L’autre thématique majeure du jeu tourne autour des mots, de leur pouvoir et de leur nuisance, pris sous le prisme de la guerre. « Words can kill », comme le dit si bien l’antagoniste principale du titre lors d’un speech à la mise en scène étrange. Speech qui fut d’ailleurs révélé en partie dans le trailer « Elegia », rendant la vidéo tout à fait mémorable mais diminuant, en contrepartie, son effet in game.
Ce thème est également traité au travers du personnage de Quiet. Si son chara design très discutable et sa mise en scène douteuse aurait tôt fait de faire fuir n’importe qui d’à peu près sain d’esprit, il faut tout de même reconnaitre que son arc scénaristique, en grande partie rattachée au thème central du jeu, reste touchant et conclu avec émotion.


Bien évidemment, Kojima ne s’arrête pas là et, une fois n’est pas coutume, plonge dans ses sujets fétiches à bras le corps, bien connus des fans, parmi lesquels la guerre, le nucléaire et les enfants-soldats sont de la partie. Toujours avec justesse et toujours dans cet esprit de dénonciation qui accompagne la saga depuis ces débuts.


La réalisation générale du titre, quant à elle, touche au travail d’orfèvre. Appuyée par une technique irréprochable et jamais prise à défaut, Kojima nous livre un authentique petit bijou taillé à l’aide de plans séquences somptueux et immersifs au possible. Rarement un jeu vidéo aura proposé ce souci du détail, cette finesse et cet acharnement dans la précision !
Le bât blesse toutefois un peu question musicale. Malgré quelques fulgurances (V has come to, Return, Sins of the father) et une cohérence remarquable, la bande originale composait par Ludvig Forssell reste très éloignée des standards de la saga. Parfaitement dans l’esprit de ce MGS, la BO casse avec les envolées symphoniques des précédents épisodes pour revêtir un caractère plus intimiste.


« C’est quoi ce bruit ?! »



On l’aura compris, la véritable force de ce MGS réside dans son gameplay. Fini les espaces cloisonnées, fini la maniabilité d’antan et les caméras fixes ! Ground Zeroes avait annoncé la couleur, aujourd’hui Snake court, saute et plonge dans tous les sens avec une fluidité et une aisance qu’on ne lui connaissait pas.

Fort de cela et d’une toute nouvelle caméra libre, infiltrer les bases et dézinguer les unités ennemies n’aura jamais été aussi jouissif ! Trouver les failles dans les structures, comprendre le cheminement des gardes, s’en débarrasser à la moindre occasion ou, au contraire, se la jouer en mode fantôme,… Tout est réalisable et taillé pour s’adapter à tous les types de joueurs. Même ceux qui préfèreront y aller à la barbare y trouveront leur compte, ce MGS se révélant être un TPS tout à fait viable.
Ajoutez à cela des coéquipiers aux compétences propres, des véhicules en tout genre, des armes à foison, et vous obtenez le cocktail du meilleur jeu d’infiltration de tous les temps, celui qui vous fera revenir juste pour le plaisir pur de son gameplay.


On regrettera toutefois un monde ouvert sans âme et particulièrement vide, avant tout prétexte à offrir toute la latitude possible au joueur pour choisir son approche. La multitude de possibilités qui nous est offerte, et c’est peu de le dire, est malheureusement proportionnelle à l’ennui qui nous assomme entre deux missions. Cela est d’autant plus dommages quand on constate jusqu’ou Kojima à anticiper les conneries des joueurs sans s’attarder plus que cela sur le contenu de son jeu.
Passé la première partie du jeu (présenté comme telle, mais qui constitue à elle-seule 90% du scénario), on vous demandera ni plus ni moins de refaire les missions déjà bouclées des heures plus tôt dans une difficulté supérieure, sans justification ni cohérence aucune. On poursuit alors l’aventure sans réel but, tel un spectre prisonnier du jeu, poursuivant une famélique carotte qui ne finira par tomber que bien trop tard.


Une des dernières featuring du jeu concerne la gestion de la mother base, qui a le bon goût de ne pas trop gangrener le reste tout en restant fun. Reprenant les bases posées par Peace Walker, le joueur devra recruter son armée sur le terrain, dans les rangs ennemis, et renforcer sa puissance militaire en investissant temps et argents dans les diverses branches de son armée. Un programme plutôt complet qui saura vous occuper quelques heures et dont les retours se verront une fois Snake parti en vadrouille.
Autrement, l’exploration de la mother base, qui s’agrandira au fur et à mesure de votre progression, reste globalement sans intérêt.


Shining lights even in death



Aujourd’hui encore, deux ans après ce que j’appellerais un hold-up, je n’arrive toujours pas à décider si ce MGS V constitue l’une de mes plus grandes déceptions vidéo ludiques ou un chef d’œuvre dont je n’ai fait qu’entrevoir la portée. Sans doute un peu des deux, l’un n’empêchant pas l’autre.
Une chose est sure, cette impression douce-amère ne cesse de me revenir dès que je repense à ce jeu. La frustration et l’incompréhension ont laissé place au doute et à la reconsidération. Ce jeu, et tous les évènements dont les joueurs ont été témoins/acteurs (le développement chaotique, la campagne de promotion épique,…) furent une véritable expérience que je suis aujourd’hui ravi d’avoir vécu. Un grand jeu malade, marqué au fer rouge, qui, d’une façon ou d’une autre, marquera son temps.

Créée

le 13 déc. 2017

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Vendr3ll

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