La perfection: un fantôme qui laisse de bien réelles douleurs.

Et voilà. La boucle est désormais définitivement bouclée pour l’une des plus prestigieuses séries que le jeu vidéo ait jamais connue. Accouché sur fond de crise chez Konami ayant abouti au triste départ de son célèbre créateur Hideo Kojima, ce Metal Gear Solid V The Phantom Pain marquera le divorce officiel entre un auteur et son œuvre ; œuvre susceptible de se poursuivre sans lui si les têtes pensantes de l’éditeur Japonais le jugent nécessaire. Attendu par des hordes de fans, pour certains capables d’aller jusqu’à débourser le prix fort pour un simple prologue payant de deux heures incarné par Ground Zeroes, autant dire que cet ultime épisode revendiqué par Kojima lui-même comme étant l’aboutissement de son travail sur la série, constitue un véritable évènement en soi. Censé apporter toutes les dernières pièces d’un ambitieux puzzle scénaristique débuté avec le premier Metal Gear sur MSX, et ayant pour objectif de proposer l’aboutissement du jeu vidéo d’infiltration, le dernier Metal Gear estampillé Kojima se dévoile enfin, fort de ses nombreuses ambitions, mais souffrant de quelques douleurs loin d’être aussi fantômes que son titre. Précisons à toutes fins utiles qu’en dépit de ma volonté d’essayer de ne pas trop spoiler, certains éléments décrits ici pourront peut-être gêner ceux qui souhaiteraient tout découvrir par eux-mêmes.


On s’en doutait quelque peu à l’issue de la lecture des premières previews, MGS V bouscule nos habitudes en optant pour une approche beaucoup moins linéaire que les épisodes classiques sur consoles de salon. Bien plus proche de l’esprit du Metal Gear Peace Walker de la PSP, le dernier né des studios de Kojima Productions emprunte pour la première fois la si populaire direction du monde ouvert, semblant presque aujourd’hui devenir le passage obligé de tout gros jeu qui se respecte. Un chemin qui peut s’avérer très engageant, tant il peut être profitable pour garantir au joueur une grande liberté d’action, un contenu souvent pléthorique souvent synonyme de durée de vie exemplaire, et une immersion totale dans l’univers du jeu. Mais de par les nombreux à-côtés segmentant et altérant forcément le rythme de la quête principale, et la difficulté à rendre un ensemble aussi vaste suffisamment vivant, varié et exempt d’un florilège de bugs, il peut aussi s’agir d’un chemin parfois plus dangereux que sécuritaire. Hideo Kojima semblait penser que sa vision du jeu d’infiltration idéal passait par la création d’un environnement ouvert. Et après avoir passé près de 70h sur ce MGS V, d’un point de vue gameplay, je ne peux que lui donner raison. Si un Dishonored, avec ses environnements semi-ouverts, avaient déjà donné un bel aperçu de ce qu’on pouvait gagner en terme de possibilités, force est de constater que MGS V frappe encore plus fort de ce point de vue-là. Le secret : une liberté d’action poussée ici suffisamment loin pour qu’elle redéfinisse les règles habituelles de l’infiltration, octroyant au joueur une maîtrise totale sur les différentes façons dont il pourra jouer une même mission. D’abord, je le disais, grâce à ces zones ouvertes, au nombre de deux, que sont les contrées désertiques de l’Afghanistan, puis un peu plus tard, les paysages plus verdoyants du continent Africain. L’avantage de ces environnements, finalement assez petits au regard de ce qui se fait dans la plupart des productions occidentales actuelles, sera de nous permettre de vivre la plupart des évènements d’une façon différente en fonction du chemin emprunté. Contrairement à un jeu plus linéaire qui nous forcerait à comprendre comment les programmeurs ont pensé tel ou tel passage obligatoire afin de trouver la méthode la plus appropriée pour passer, c’est ici au joueur de décider comment gérer les choses en fonction de ce qu’il souhaite faire, ses choix pouvant redéfinir les objectifs d’une mission en cours de route. Ainsi, les grands espaces proposés offriront plusieurs opportunités de chemins pour aborder un même lieu, donnant ainsi la possibilité de varier les situations, surtout dans ceux que l’on sera amené à visiter plusieurs fois. Un autre facteur qu’il conviendra de prendre en compte se situe dans les conditions météorologiques. Une tempête de sable gênant la visibilité des ennemis ou une grosse averse masquant le bruit de vos pas précipitera sans aucun doute votre volonté d’agir vite. Dans le même ordre d’idée, les joueurs désireux d’être le plus discrets possible préfèreront attendre la nuit, là où les amateurs de passages en force verront moins d’inconvénients à foncer dans le tas par grand soleil.


Bien évidemment, cette liberté d’action tire aussi sa force de la richesse de son arsenal. Du classique pistolet tranquillisant au destructeur lance-roquettes à tête chercheuse (le très pratique Killer Bee), en passant par l’incontournable carton de camouflage décorable, inutile de vous dire que vous en aurez pour votre argent. Vos Pims, en l’occurrence, monnaie nécessaire au développement de tout nouvel objet. Mais la trouvaille la plus singulière de ce Phantom Pain reste sans aucun doute son système Fulton, moyen d’extraction rapide par ballon qui vous permettra d’envoyer facilement à votre QG, sans passer par votre hélicoptère, à peu près tout et n’importe quoi. Si on se contentera, au début, d’extraire essentiellement des gardes ou des animaux préalablement endormis ou assommés, il sera plus tard possible d’extraire véhicules, tanks, containers de ressources, voir même certains boss! Tout juste devrez-vous faire attention à éviter d’extraire les personnes en mauvaise santé, difficilement capables de supporter le voyage, ou dans des conditions climatiques difficiles, limitant vos chances de réussite. Toutefois son utilisation principale devrait se situer dans l’exfiltration de gardes qui, au-delà de devenir un de vos meilleurs atouts pour faire disparaître leur corps trop voyants, sera l’un de vos moyens les plus efficaces pour remplir les effectifs de votre QG : la Mother Base.


Et ne comptez pas ignorer cet aspect du jeu, tant son développement s’avèrera indispensable au bon déroulé de vos futurs missions. Concrètement, c’est dans cette Mother Base dans laquelle vous pourrez revenir quand bon vous semblera, que seront, entre autres, développés vos futures armes et équipements, et où auront lieu un certain nombre d’évènements clés. Décomposé en différents secteurs comme la recherche et développement ou la communication, vous devrez augmenter les compétences de chacun d’entre eux, soit en agrandissant les plateformes qui les accueillent moyennant une partie de vos finances et de vos ressources, soit en recrutant du personnel supplémentaire. Et une grande partie de ces derniers seront recrutés par vos soins sur le terrain en extrayant soldats ennemis ou prisonniers, d’autres pouvant vous rejoindre volontairement à l’issue d’une mission ou pouvant être recrutés via des missions passives réalisées par vos propres troupes de la section Unité de Combat. Evidemment chaque garde a des compétences plus ou moins grandes dans chaque discipline ce qui vous obligera à gérer soigneusement vos troupes en fonction des résultats que vous souhaitez obtenir, et à essayer à terme lorsque vous aurez amélioré vos jumelles, de vous atteler uniquement à l’extraction de personnes réellement douées. Il faudra également faire attention aux fauteurs de troubles qui pourront rapidement pourrir vos effectifs, provoquant souvent bagarres ou maladies, rendant temporairement indisponibles leurs victimes, les fautifs le devenant eux aussi après avoir été emprisonnés. Ce petit aspect gestion pourra sembler fastidieux à certains, mais le négliger ne sera que difficilement viable, se traduisant par l’impossibilité de développer de nouvelles armes. A titre d’exemple, il vous sera bien difficile de venir à bout des missions 7 et 8 sans avoir augmenté un minimum vos équipes, alors incapables de vous fabriquer un lance-grenade ou du C4, nécessaires à leur réussite. Cet aspect rebutant sera tout de même minimisé par l’interface assez ergonomique de votre I-Droid, sorte de petit PDA par lequel vous gérerez à peu près tout, des lancements de nouvelles missions à cette fameuse Mother Base. Notons également que vos régulières visites dans les différentes plateformes la composant pourront aussi être égayés par de nombreux secrets, qu’il s’agisse d’objets cachés ou tout simplement de cinématiques, parfois optionnelles, ne se déclenchant que sous certaines conditions, beaucoup s’intéressant à la vie des coéquipiers qui pourront vous seconder sur le terrain.


Au nombre de cinq, ils sauront représenter une réelle valeur ajoutée à vos compétences. Outre l’hélicoptère qu’on peut inclure dans le lot pour sa capacité à vous couvrir si vous faîtes appel à lui dans les lieux hostiles ; on pourra ainsi compter sur D-Horse, cheval qu’on utilisera principalement pour parcourir de longues distances, même si le peu d’intérêt que lui manifesteront les gardes pourra également le rendre utile au cours de certaines phases de discrétion. Le D-Walker, sorte de mini Metal Gear pourra lui aussi faire office de véhicule, mais l’augmenter lui permettra à terme de devenir un équipier autonome très utile quel que soit le cas de figure. Mais mes deux favoris resteront D-Dog et Quiet. Le premier constituera certainement votre meilleur allié dans le domaine de l’infiltration pure, capable de marquer tous les points d’intérêt (gardes, prisonniers, animaux, etc…) d’une même zone en un temps record, vous faisant gagner un temps précieux. En plus de pouvoir distraire les ennemis, les étourdir ou encore les tuer ; il lui sera de plus possible, à terme, de procéder lui-même à des extractions Fulton basiques. Seul son manque de résistance pourra constituer un handicap en cas de pépin ce qui fera de Quiet un soutien de choix si vous vous faîtes repérer. Snipeur hors-pair, elle vous couvrira efficacement en cas de conflit ouvert avec les gardes, pouvant même aller jusqu’à nettoyer seule toute une zone alors que vous étiez caché en attendant que ça se calme. Mais elle pourra aussi s’avérer utile si vous optez pour la discrétion, Quiet pouvant elle aussi, dans une moindre mesure que D-Dog, marquer les ennemis, ou même se débarrasser ou endormir une cible désignée en silence, une fois les fusils sniper adéquats débloqués. Seuls bémols, ses récurrents refus d’exécuter certains adversaires sans raison apparente ou son obsession à systématiquement tirer dans la tête des adversaires, la rendant moins efficace face aux ennemis casqués.


Car l’un des autres éléments qui contribuera à renouveler l’expérience réside dans l’intelligence artificielle évolutive des adversaires qui, pour compenser l’absence de choix de niveau de difficulté, s’adaptera à votre façon de jouer. Abusez des tirs dans la tête et de plus en plus d’ennemis porteront des casques. Infiltrez-vous majoritairement de nuit et certains d’entre eux seront munis de lampes de poche ou de lunettes de vision nocturne. Vous êtes plutôt du genre bourrin ? Alors ils finiront par s’équiper d’armures anti-émeute, de boucliers et de fusils à pompe. De quoi vous obliger à renouveler régulièrement vos tactiques ce qui donne d’autant plus envie au joueur de tenter toutes sortes de choses. L’IA se révèlera d’ailleurs plutôt compétente, surtout en groupe, s’adaptant souvent de façon crédible aux situations, et en évitant le syndrome mémoire de poisson rouge en ne faisant jamais abstraction de votre possible présence si vous vous êtes déjà fait repérer au cours de la mission. On pourra évidemment toujours critiquer les limites du champ de vision des gardes soumis à des scripts de distance occasionnant parfois des situations bien ridicules, comme leurs régulières longues hésitations à vous identifier comme une menace si vous vous situez à plus de 10m d’eux, ou leur absence quasiment totale de vision périphérique. On y ajoutera un certain manque de réactivité lors de certaines situations tendues, comme leur incapacité à vous voir même s’ils passent devant vous avec un autre objectif en tête, par exemple la recherche d’une cachette ; ou encore quelques bugs de pathfinding si vous les contraignez à crapahuter sur certains rochers. Mais difficile de trop faire la fine bouche ici, au regard de ce qui se fait ailleurs. Il faut bien être clair, d’un point de vue gameplay pur, la richesse des possibilités offertes par The Phantom Pain le situe au sommet de ce que la série avait pu proposer jusqu’à présent. Ce qui est paradoxalement…regrettable. Regrettable parce qu’à mon sens, ce Metal Gear Solid V foire à peu près tout le reste. Et le principal responsable se trouve dans ce qui s’était révélé jusqu’ici être son meilleur allié : son monde ouvert.


Comme je le disais plus haut, s’il est indéniable que le gameplay d’un jeu puisse tirer le meilleur parti d’un bac à sable, il existe en contrepartie un certain nombre d’écueils qu’il convient d’éviter pour permettre au titre de rester digeste et équilibré d’autant plus pour une licence comme Metal Gear Solid, jusque-là habituée à être beaucoup plus balisée, de manière à maintenir un rythme constant, notamment sur le plan narratif. Malheureusement, les équipes de Kojima sont tombés dans un certain nombre de ces pièges, probablement faute d’expérience suffisante dans le domaine. On a ainsi souvent l’impression que les développeurs se sont sentis effrayés à l’idée de proposer des environnements aussi grands, de peur d’être incapables de les maîtriser. En conséquence, de subtiles mais évidentes limites viendront troubler nos pérégrinations. En premier lieu, la topographie générale, gorgée de montagnes rocheuses et autres divers obstacles, nous obligeant à emprunter certaines routes rallongeant inutilement certains trajets. Pour peu qu’ils aient le malheur d’être clairsemés d’avant-postes et que vous ayez opté pour un autre compagnon que D-Horse, vous serez alors contraints soit de perdre votre temps à nettoyer la zone, soit de fuir en espérant que les locataires ne seront pas en mesure de vous faire trop de dégâts, sachant que posséder un véhicule hors tank ne changera en rien la donne. Irritant à terme, en plus de nous rappeler quelques mauvais souvenirs inhérents à certain Far Cry 2. On pourra également parler des missions principales qui, à la manière d’un Assassin’s Creed, vous bloqueront systématiquement dans une zone précise, vous mettant sous la menace d’un Game Over si vous en sortez. Cette fameuse liberté en devient donc parfois toute relative.


Mais le point essentiel qui fâche réellement, et que même un gameplay aux petits oignons ne saurait masquer, est sans conteste sa répétitivité. Et il est assez fou de constater qu’une partie de la faute en revienne, là-aussi, à une des pourtant meilleures trouvailles de ce MGS, le système d’extraction Fulton. Comprenez-moi bien. Vous allez, de base, déjà user et abuser de ce système. L’ennui vient du fait qu’une grande partie des missions principales vous proposeront principalement pour objectifs de l’extraction, de l’assassinat, ou de la destruction. Sauf qu’en pratique, vous vous rendrez vite compte que dans les deux derniers cas, vos cibles auront plus d’intérêt vivantes que mortes, ne serait-ce que parce qu’elles représenteront des atouts de choix dans le développement de votre Mother Base. Résultat : une fois votre système Fulton suffisamment développé, la finalité quasi unique de chacune de vos sorties résidera dans une extraction. Au bout de plusieurs dizaines d’heures, il me semble légitime d’éprouver un léger sentiment de saturation. Et cette redondance sera bien volontiers accentuée par la relative petite taille des deux continents proposés, sans doute trop avares en lieux clefs. Parce que croyez bien que vous allez finir par les connaitre par cœur, ces diverses installations hostiles en quantité un peu trop réduite que vous allez visiter pour certains cinq ou six fois, simplement pour aller extraire un nouveau prisonnier, parfois susceptible de se trouver exactement au même endroit que celui d’une mission précédente. Un recyclage censé compenser le sacrifice du nombre par un contenu néanmoins généreux, mais qui, faute de renouvellement suffisant, finit par en devenir parfois écœurant. J’admettrais volontiers que l’illusion fonctionne la moitié du temps, principalement grâce à la richesse du gameplay et à l’aide de quelques missions qui savent sortir des sentiers battus. Mais difficile de ne pas céder à la lassitude à force d’arpenter ce techniquement superbe, mais interminable désert d’Afghanistan où tout se ressemble ; ou cette un peu moins belle et surtout triste forêt d’Afrique, qu’on aurait aimé un peu plus vivante et luxuriante. Ce recyclage se manifestera jusque dans les missions principales, la majorité de celles du Chapitre 2 étant de simples redites d’anciennes déjà finies, qu’on nous invitera à refaire dans des conditions plus difficiles. Si les plus tolérants argueront à raison qu’elles ne sont pas indispensables à l’obtention de la vraie fin du jeu, l’obligation de les remplacer par l’accomplissement d’un nombre indéfini de tâches secondaires ne m’enlèvera pas l’idée que les développeurs sont tombés dans le piège de la durée de vie artificielle. On se forcera alors à achever une partie de ces opérations plus ou moins optionnelles aux objectifs souvent similaires en espérant faire avancer l’histoire, ne serait-ce que par l’obtention d’une des innombrables cassettes audio du jeu, ou par une inutile et obligatoire visite à la Mother Base ayant pour seul intérêt de nous faire endurer quelques temps de chargement supplémentaires. On se sent alors pris en otage par un titre usant de tous les artifices pour ralentir notre progression histoire de rallonger la sauce, et de préserver le plus longtemps possible les mystères d’un scénario perdu dans les méandres d’une structure dans laquelle Hideo Kojima a spectaculairement échoué à lui trouver une place.


Car on ne peut évidemment pas parler d’un nouveau Metal Gear Solid sans en évoquer le scénario, la série ayant su, au fil des années, se forger une véritable mythologie censée répondre, avec cet ultime épisode, aux quelques zones d’ombres encore subsistantes. Lourde tâche, même pour un auteur aussi talentueux que Hideo Kojima, à fortiori parce qu’il se devait de relever avec ce cinquième épisode un double challenge. Le premier était de faire taire les critiques s’étaient insurgées contre l’excès de cinématiques dans Metal Gear Solid 4 Guns of The Patriots, reléguant trop souvent le joueur à un rôle de spectateur. Si, de ce point de vue, opter pour un Open-World était sans aucun doute un choix judicieux, cela impliquait aussi et surtout un autre défi encore plus corsé, à savoir raconter une histoire riche et complexe sans pour autant en sacrifier le rythme, problème rencontré par nombre de jeux arborant cette structure. Car le vrai souci avec les environnements libres qui souhaitent raconter une histoire vient du fait que c’est finalement le joueur qui va décider en fonction de ses actions à quelle fréquence elle avancera. Tandis que l’un tentera de boucler l’aventure principale le plus vite possible afin de s’immerger au mieux dans le scénario ; d’autres la mettront de côté, parfois durant des heures entières, par simple envie de découvrir le monde qui les entoure, soit en accomplissant toutes sortes de quêtes annexes, soit tout simplement en explorant les possibilités offertes par le gameplay, sans avoir forcément de but précis. Et c’est d’abord ici que les choix de Kojima trahissent une nouvelle fois son inexpérience en la matière. Car, passé un prologue haletant quoique sans doute encore une fois un peu trop contemplatif, la narration, bien trop espacée et parfois alourdie par un certain nombre de passages à l’utilité contestable, peine à maintenir un intérêt constant. Du coup, à trop vouloir éviter la passivité consécutive à une overdose de cinématiques, le créateur Japonais est passé d’un extrême à l’autre, occultant le fait que réduire le nombre de cinématiques dans un système de jeu peu propice au développement d’une histoire ne ferait que mettre en évidence son côté poussif. Et les nombreux à-côtés, à l’image de l’exigeante gestion de la Mother Base, ne font qu’accentuer cet état de fait. Pourtant, sans doute conscient des manques qu’une telle économie provoquerait, Kojima a décidé de compenser en intégrant à ce Metal Gear Solid V d’une part un découpage en épisodes façon série TV, et d’autre part ce si controversé système de cassettes audio, destiné à raconter tout ce qui n’a pas pu l’être durant les cinématiques. Deux choix qui, à l’usage, se révèlent pour ma part hautement contestables.


Si l’on peut aisément comprendre le bien fondé de vouloir décomposer l’histoire de manière épisodique pour permettre de facilement en reprendre le fil directeur si l’on s’en écarte trop longtemps, certains détails maladroits ont tendance à en altérer la pertinence. Ainsi, si l’on pourra se réjouir de pouvoir zapper les crédits de fin de chaque épisode, on regrettera plus volontiers que ceux du début se hasardent à nous spoiler allègrement tous les protagonistes présents à chaque mission. Mais le plus incompréhensible reste ces moments, ou un épisode prend le parti de s’arrêter sur un cliffhanger, tel à l’issue de la mission 30, qui nous laisse face à un des plus menaçants adversaires du jeu, un magnifique « à suivre » clôturant la séquence. Et puis…rien ! Nous voici de retour dans notre hélicoptère comme si de rien n’était, prêts à lancer la prochaine mission qui reprendra exactement là où la précédente s’était arrêtée. Ou pire ! Libre à nous de désamorcer totalement la tension de la situation en allant détruire quelques chars ou en allant extraire un ou deux ânes trainant sur un autre continent. Idéal pour nous maintenir sous pression ! Si encore Kojima s’était servi de ça pour jouer un peu avec les codes du jeu vidéo comme il avait l’habitude de le faire dans les épisodes précédents, alors pourquoi pas ? Mais rien dans ce Phantom Pain ne vient justifier une démarche aussi maladroite, nuisant complètement à l’immersion.


Puis restent ces fameuses cassettes audio. En théorie facultatives mais obligatoires pour certaines selon la méthode que vous choisirez pour obtenir la vraie fin, leur écoute s’avèrera en fin de compte indispensable à la bonne compréhension du scénario. Il semble qu’une partie des joueurs aient su s’en satisfaire, mais ce procédé narratif constitue, pour moi, un absolu non-sens vidéo-ludique. Soyons clairs. Certaines sont passionnantes, bénéficient parfois d’un réel soin de mise en scène et clarifient nombres de points obscurs. Elles en deviennent alors d’autant plus frustrantes qu’on passe son temps à se demander pourquoi elles n’ont pas fait l’objet de cinématiques et sont totalement coupées du reste de la narration. Avec les technologies actuelles, il ne me semble pas déraisonnable d’espérer qu’un jeu vidéo souhaitant raconter une histoire ait au minimum la décence de la faire vivre au joueur. Alors pourquoi diable Metal Gear Solid V, nourrissant de ce point de vue-là des ambitions démesurées fait-il usage d’un système aussi archaïque? Cela aurait éventuellement pu se comprendre il y a un certain nombre d’années, à l’époque où les supports CD ou DVD dont la taille limitée ne permettait pas de stocker un grand nombre de cinématiques. La communication par codec initiée par le premier volet avait avantageusement contourné l’obstacle, son intérêt étant de parvenir à nous laisser au cœur des évènements, en dépit des contraintes techniques. Mais ces contraintes n’ont aujourd’hui plus lieu d’être. D’autant plus que contrairement au codec, ces cassettes ne nous raconteront aucunement les évènements manquant en temps réel. Et c’est alors que naît ce fâcheux sentiment d’être régulièrement exclu du récit, les fréquents appels d’Ocelot pour nous raconter ce qui se passe renforçant cette impression. On a bien trop souvent du mal à se sentir impliqué à cause de cette narration trop souvent éclatée ne faisant même pas partie intégrante d’un titre qui va jusqu’à nous obliger à tout simplement arrêter de jouer pour lancer des bandes magnétiques via l’interface de notre I-Droid. Alors, oui, il est effectivement possible d’écouter librement ces fameuses cassettes tout au long de nos pérégrinations sur le terrain. Une riche idée, parfaite pour nous déconcentrer et nous empêcher de profiter de ce que l’on est en train de faire. Là où j’y vois un non-sens, c’est que Kojima souhaitait favoriser une infiltration libre et une histoire riche grâce à une narration présente sans être trop étouffante mais qui serve cette direction. Alors pourquoi partir sur une formule à contre-courant, détachée de l’aventure principale, nous demandant carrément d’arrêter de jouer ? J’ai personnellement toujours considéré Hideo Kojima comme un visionnaire et un acteur majeur de l’industrie vidéo-ludique. Mais si je peux comprendre sa volonté de ne pas vouloir emprisonner une nouvelle fois les partisans du gameplay dans un développement scénaristique trop pesant, le voir partir sur une méthode si rétrograde dans un média pourtant très polyvalent me déconcerte un peu. C’est un peu comme si un cinéaste décidait de ne filmer que ses scènes d’action pour raconter tout le reste via de longs cartons textuels. Ca n’aurait aucun sens et irait totalement à l’encontre de l’essence même d’un long-métrage. Et c’est exactement ce que je ressens ici. Et tout cela vient malheureusement ternir encore plus un scénario quelque peu bancal, en dépit de certaines circonstances atténuantes.


L’un des enjeux principaux de ce Metal Gear Solid V The Phantom Pain était, entre autres, de répondre aux ultimes questions laissées en suspens par les épisodes précédents. Mais là encore, si on saluera l’ambition de Kojima à nous présenter une histoire complexe et riche, quelques éléments dommageables viendront tempérer l’enthousiasme. Si l’on regrettera, encore une fois, que les soucis de narration et de rythme viennent trop souvent contrarier l’efficacité du récit, on s’étonnera tout autant de ses quelques maladresses d’écriture. Car si ce MGS V nous réserve incontestablement de très beaux moments, certains passages, vraiment ratés, m’ont parfois réellement fait sortir du jeu. J’en veux pour preuve le final de la mission 30, encore elle, et de cette fameuse scène de la jeep qui a tant fait parler d’elle. Cette séquence, qui parvient à elle seule à transformer le jusqu’alors classe Skull Face en l’un des méchants les plus ineptes que j’aie pu croiser dans un jeu vidéo, est aussi spectaculaire dans le ridicule de sa mise en scène que dans la bêtise du monologue vomi par son auteur. Pour tout vous dire, après m’avoir fait rire jaune, je me suis senti un peu mal à l’aise tant je peinais à réaliser qu’un Metal Gear pouvait rater à ce point un passage aussi important. Un sentiment accentué par l’intégration foireuse de la chanson principale du jeu, censée renforcer la gravité de la scène, mais ne faisant que décupler le sentiment qu’on vient de vivre un grand moment de série Z. Et cette scène de révélation anéantit de beaucoup l’impact d’un premier chapitre qui jusque-là ne s’en tirait pas si mal. On pourra également pester contre le focus fait sur certains passages à l’utilité discutable, là où d’autres moments bien plus intéressants se retrouvent relégués dans ces satanées cassettes. De telles erreurs sont inévitablement frustrantes, surtout au regard de quelques réflexions bien plus subtiles, ou de son final, qui bien que controversé, est intéressant à plus d’un titre. Quant aux réponses attendues, si on pourra se satisfaire d’en obtenir un certain nombre, à condition de ne pas ignorer la fastidieuse écoute des bandes magnétiques, l’ambition inhérente à l’ex-créateur des studios de Konami posera en contrepartie de nouveaux mystères, qui seront pour quelques-uns destinés à le rester. Si on ne connaîtra probablement jamais les véritables raisons qui ont mené à cette brouille entre Hideo Kojima et Konami, c’est pourtant bien elle qui semble en majorité responsable de cette conclusion incomplète. La meilleure preuve en est cette fameuse mission 51, devant répondre à un élément scénaristique plus qu’important, de laquelle il ne restera finalement dans le cœur des gens que le bonus d’une édition collector, symbole d’un jeu amputé sorti dans des conditions déplorables.


Et c’est finalement ce qui ressort de ce Metal Gear Solid V The Phantom Pain. Un titre aux ambitions démesurées, portant sur ses épaules la sans doute trop lourde responsabilité de conclure le premier cycle de la carrière d’un producteur de jeux vidéo d’exception. Réussi, le titre de Hideo Kojima et de Konami l’est sur de nombreux points, notamment grâce à son gameplay exemplaire, et aux quelques grands moments qu’il sait parfois nous faire vivre. Mais victime de la trop grande perfection recherchée par son auteur et d’un contexte défavorable, cet ultime épisode s’égare dans les méandres de son monde ouvert, à trop partir dans tous les sens, à recycler à loisir jusqu’à l’écœurement, ou à étirer plus de que de raison une aventure pourtant intéressante, mais trop maladroitement racontée et au rythme bien trop soporifique pour être pleinement convaincante. A l’heure d’en faire le bilan, et même si j’ai pu laisser penser le contraire au fur et à mesure de ma critique, j’ai aimé ce Metal Gear Solid V The Phantom Pain. Mais j’y ai vu beaucoup trop de choses qui m’ont déplu, et je m’y suis surtout bien trop souvent ennuyé pour pouvoir l’encenser autant que d’autre l’ont fait. Et c’est d’autant plus frustrant pour un titre incarnant, en théorie, la conclusion d’une série aussi majeure de l’histoire des jeux vidéo.

Arnaud_Lalanne
7
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le 18 oct. 2015

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Arnaud Lalanne

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