Abraham le patriarche !

Petit remake d'un jeu que j'avais littéralement haïe en tant qu'enfant, Oddworld m'a tout de même interpellé suite à un speed run très amusant que j'ai pu voir ([https://youtu.be/tpVj4ZWSnLI). Trouvé à 2 euros, le jeu en vaut bien une quinzaine et m'a occupé un peu plus de 10 heures.

Bon, le portage PC est graphiquement très sympathique : propre, les textures sont un peu volontairement vieillottes mais ont leurs charmes, les décors sont lisibles (ce qui était à mon sens un gros défaut de la version de 1997) et un peu plus colorés. Les ambiances entre l'usine, le désert, la forêt et le no man's land nocturne sont très bien rendus et ont même le talent de participer à la narration. J'ai pu avoir quelques soucis techniques (des boîtes de dialogues buggées ou des ralentissements dans un décor en particulier pour lequel je n'ai aucune sorte d'explication, dont un particulièrement gênant pour un ennemi qui me bloquait le passage sans bouger et qui m'a fait perdre bien 40 minutes de jeu.

L'histoire est très intéressante et a même le toupet de gagner en pertinence 20 années après la parution du jeu : Abe est un esclave Mudokon d'une usine de production alimentaire, la Rupture Farm, qui a ratiboisé la totalité de l'environnement, faune et flore, et qui est possédée par ce qui ressemble de près comme de loin, par un dictateur militaire, chef des vigiles Sligs. Abe, le héros, découvre la nouvelle manière de produire la nourriture de l'usine : transformer les Mudokons en Soleil Vert ... euh pardon, en viande. Abe, repéré, est pris en chasse et décide dans un premier temps de s'enfuir tout en cherchant à faire s'échapper ses semblables de l'usine via des portails qui apparaissent suite à une prière. Tout cela a gagné en pertinence car, ces dernières années, l'urgence écologique, la condition sociale au travail, la nouvelle verticalité des gouvernements, les ambitions révolutionnaires, la spiritualité... sont, ces dernières années, des sentiments qui touchent bien des pays actuels. Et rien que pour cela, le jeu mériterait AMPLEMENT toute votre attention pour peu que vous vous intéressiez à tout ce qu'il se passe autour de vous et que vous souhaitez découvrir un jeu à message engagé d'il y a 20 ans, et qui n'a rien d'obsolète. Le personnage d'Abe a tout d'un looser magnifique : voûté, les lèvres cousues parce que trop bavard quand il était petit, voix nasillarde et ridicule, en pagne, chétif, qui semble asse candide quant à ce qui l'entoure et enfin des gestes patauds. C'est un personnage, un vrai, qui a 2 mots de vocabulaires, mais qui est fortement attachant par sa fragilité et son ingénuité. La narration passe enfin par quelques textes, un peu rare mais très bien écrits (en VO, je ne sais pas en VF) et donc agréables à lire quand bien même nous sommes dans un jeu de pseudo-plate-forme

Car oui, malgré un univers très riche, le jeu est bel et bien vendu comme un jeu de plate-forme, même s'il s'apparente pour les 97% du temps (je garde les 3% pour plus tard) à un jeu d'énigmes. Certes, Abe saute des obstacles, attrape des rebords, tire des leviers pour faire venir des ascenseurs, grimpe sur des Elum (sortes de petits dinosaures) pour faire du parkour... Mais l'écrasante majorité du temps, le joueur doit réfléchir à la manière d'avancer et quand bien même il faille faire preuve de réflexes il faut savoir quand courir, marcher, où se cacher, sauter, faire sa prière pour contrôler tel ou tel adversaire, se rappeler quel levier active quoi, quel mot ou quelle interaction faire avec les personnages, mémoriser tel ou tel indice pour pouvoir progresser et surtout, le plus intéressant à mon avis, comment sauver le maximum de Mudokons...

Et plus on avance dans le jeu, plus la notion de casse-tête est là, bien présente, en tout cas, du moment que l'on cherche à sauver ses congénères. Car oui, on est, 20 ans après, toujours devant un jeu qui peut être terriblement cruel ! La difficulté quelque part est elle-même dosée par le joueur : si l'on s'en fiche d'être bon et que le principe sera de tracer à travers les niveaux, la mauvaise fin nous attend pour notre égoïsme. La difficulté va augmenter lorsque l'on va se tordre un peu l'esprit à sauver le plus voire tout ceux de notre espèce (apparemment c'est possible...). Les mises à mort sont brutales : on se fait abattre alors que l'on a, techniquement, pas d'arme (mis à part le contrôle mental mais qui met tellement de temps à s'activer que les combats en face à face sont inenvisageables), dévorer, piétiner, broyer, brûler... Ce n'est pas un problème, mais l'animation est en général assez lente (5 à 10 secondes). Mais, le summum de l'apothéose de l'apogée du maximum de la difficulté arrive les 2 dernières minutes du jeu que j'ai véritablement recommencé pendant 2 heures.... Pourquoi ? Parce que là, plus d'énigmes, le jeu semble totalement oublier que les contrôles sont rigides, que Abe est glissant, imprécis et réagit globalement avec un petit temps de latence plus ou moins maîtrisable à mon sens (non ma manette et mon PC vont bien). Je donnerais juste le détail du premier obstacle : il s'agit de passer sous 2 broyeuses quand leurs bras sont relevés. Elles retombent à chaque seconde vers le sol, il faut placer Abe sur certains points de repères et passer lorsque la tête de la broyeuse remonte : vous avez moins d'une demie seconde pour réagir, la boîte de collision est infâme et si vous partez de trop près ou de trop loin... même pas la peine ! J'insiste là-dessus, parce que sur les 10-11h de jeu que j'ai vécu, 2 heures à passer juste des obstacles sans astuces, à la force du doigt, alors que tout le jeu est à l'opposé de cela... Quelque chose a raté quoi : on ne change pas les règles d'un jeu comme ça ! Si l'on veut faire des énigmes on ne peut pas dire "ah beh on va terminer le jeu sur du réflexe pur et du Die and Retry uniquement... Enfin, ce qui rend le jeu un peu long c'est la manière dont sont disséminés les points de passages, parfois très rapprochés, parfois éloignés bizarrement, le découpage des niveaux est aussi un peu flou. Et puisque le jeu est aussi un D&R, on va se retrouver à recommencer plusieurs passages peu utiles.

Bref, je conseille ce jeu, car il raconte bien des choses intéressantes ce qui est assez rare pour un un plate-former et qu'il le fait extrêmement bien. Juste, il faut se préparer à une frustration saine la majorité du temps, qui est héritée de l'époque PS.