Papers, Please
7.4
Papers, Please

Jeu de Lucas Pope et 3909 (2013PC)

C'est assez drôle, quand je joue durant mes pauses, que des gens passent derrière en me demandant ce que c'est et que je leur dit que c'est un simulateur de douanier, ils me rient au nez. Faut dire que "simulateur de douanier", c'est aussi sexy que les ouates milles Farming Simulator sur le marché. Quoiqu'ils trouvent le public, mais bon passons. D'autant plus que j'ai réussi à en convertir un ou deux plus curieux que la moyenne.

Réduire Papers Please à un simulateur de douanier est quand même fichtrement réducteur. Ça pourrait aussi s'appeler "Le jeu des 7 différences dans un régime totalitaire", ça marcherait aussi bien. Non, Papers Please est plus une immersion dans un monde en friche, Arstotzka. J'ai l'impression d'être revenu en 1989 à Berlin. Un petit pays qui s'ouvre aux autres mais avec une marge de sécurité de plus en plus dingue. Le jeu remonte de plus en plus la difficulté, on se retrouve avec tellement de papiers qu'on s'y perd et ça nous rend dingue. Les joies de l'administration.

Ma partie finale n'a pas été de tout repos. Au début je faisais mon job, au maximum, pour mettre des économies de côté pour ma famille. Je profitais de la relative facilité des premiers jours pour empocher un max d'argent. Sans discuter. Je laisse passer très peu de choses. Quand un des gardes arrive pour me proposer un deal, celui de me filer du fric pour chaque personne arrêté, je n'hésites pas. Je n'hésites plus. J'aurais pu juste mettre un petit tampon rouge histoire de les reconduire en douceur, mais non, dès que j'avais l'occasion, je les faisais arrêter. J'ai bien fait quelques entorses au règlement, en sauvant deux soeurs d'un mac un peu trop agressif, ou de permettre à une famille de se retrouver. J'avais droit à deux pénalités gratuites par jour, et si je me débrouillais bien, sans faire d'erreur normalement, j'arrivais à pardonner mes actes. Même si je savais que ça ne suffirait jamais, j'avais découvert dans mes autres tentatives que les mecs trop honnêtes, ça ne gagne rien non plus.

Puis il y a eu ces mecs de l'Ordre. Genre message secrets et tout. Ils me demandent de faire passer des personnes en particuliers. Peut-être que ça serait eux la solution. Je fais passer un agent sur les deux, surtout parce que j'étais tellement envahi par les papiers que je ne faisais plus gaffe aux noms, seulement aux différences. Quand la routine administrative vous enlève tout recul, ça fait peur. Plus que les bombes qui explosent dans le coin. On me file même un fusil tranquilisant pour arrêter les mecs à temps. Et en plus, j'ai une prime si j'arrive à les toucher. Je ne me prive pas. Puis ça va me permettre d'acheter une boîte de crayon de couleurs pour l'anniversaire de mon gosse. Il était tellement heureux qu'il m'a fait un dessin où j'apparaissais en héros. Innocence, quand tu nous tiens. Je l'accroche au mur de mon poste, tout fier. Juste le jour où l'inspecteur passe et me dit que c'est interdit, avec pénalité en prime. Monde de merde.

Et puis il y a ce garde, qui arrive en poste à la moitié du mois. Je me souviens plus de son prénom, juste que c'était un bonhomme vert. On va l'appeler M. Vert. Il était cool, souriant, il venait me parler de temps en temps, en parlant du pays, du fait que c'était dur. Je l'aimais bien, M. Vert. L'un des rares mecs sympas que je croisais, même si parfois les gens qui disaient des méchancetés se ravisaient souvent quand on était pas méchant. Et un jour, M. Vert me dit que sa bien-aimée devrait arriver dans les jours qui viennent. Il sait qu'elle n'aura pas les bons papiers et me demande de la laisser passer. Je peux bien faire ça pour lui, il est là pour me protéger. Deux jours plus tard, elle arrive, tremblante, un ange dans ce monde de brutes. Elle me parle de M. Vert. Elle n'a quasiment aucun papier, juste son passeport. Je n'hésite pas, et lui met un tampon vert. Et puis je profite de la scène, où M. Vert aperçoit sa fiancée, abandonne son poste et vient à sa rencontre. Ils restent quelques secondes là, enlacés, tandis que j'oublie mon travail durant ces instants magiques. Il regagne son poste en la raccompagnant à sa sortie. Quelques minutes plus tard, un homme en moto débarque à la frontière. J'ai saisi mon fusil trop tard: il réussira à abattre tous les gardes présents, ainsi que M. Vert. Monde de merde.

Je vais bientôt avoir un audit. Un mec de l'Ordre vient me dire qu'ils vont bientôt passer à l'action. Ces mêmes mecs qui ont abattu M. Vert. Je ne sais plus quoi faire. Et puis il y a Jorji Costava, un mec étrange, toujours positif, qui me faisait marrer avec ces contrefaçons toutes pourries, et qui ne bronchaient même pas quand les gardes venaient le chercher. Il passe parfois juste pour me dire bonjour. Un brave gars. Et là, il passe pour me dire qu'il connaît un mec qui fait des faux papiers, le meilleur soi-disant, pour pouvoir entrer en Obristan. Tout ce que j'ai à faire, c'est de confisquer des passeports de gens qui viennent de là-bas, autant de passeports que de gens de ma famille que je veux faire sortir. C'est risqué. Je tiens à ma vie, et je sais qu'en Arstotzka ils ne plaisantent pas. L'audit approche. Je confisque trois passeports Obristan en tout, tant pis pour l'oncle et la belle-mère. Le dernier jour, deux motos attaquent de front le mur de la frontière, les même mecs qui ont tué M. Vert. Je sais que j'ai parfois aidé l'Ordre à faire rentrer des agents, et que si je ne fuis pas, l'Arstotzka va découvrir mes liens avec eux. Je prends la clés, j'abats avec un vrai fusil, les deux mecs avant qu'ils fassent sauter la bombe. Sans remords. Malheureusement. Je sais que si je reste, ils vont me déclarer coupable pour avoir aider l'Ordre. Je dépense toutes mes économies pour les faux passeports. Et je fuis avec ma femme et mon fils. Je laisse mon oncle et ma belle-mère rentrer à Minsk, en sachant très bien que je les laisses aller à une mort certaine. Monde de merde.

On arrive à la frontière Obristan, après avoir voyagé. Je sais que les passeports ne sont pas géniaux. Je me retrouve devant le garde-frontière, et d'un seul coup, je suis à la place de toutes les personnes que j'ai vu passer devant mon poste, espérant de toute leur âme pouvoir passer dans heurts. L'inspecteur d'Obristan prend nos trois passeports, la grille se ferme, et on entend des bruits étranges à l'intérieur. Ça y est, c'est foutu. Le mec a aussi un garde qui le paye au nombre d'arrestations, il a sûrement une famille à nourrir lui aussi. Il va nous envoyer en tôle, c'est fini. Le rideau se lève. Le mec nous tend nos passeports: "Bienvenue en Obristan!". Soulagement. Nous allons pouvoir enfin vivre heureux dans un pays (peut-être?) moins pourri. Le monde est pas complètement merdique, après tout.
Cronos
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le 10 mars 2014

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