Du lourd, du pesant, du solide : un beau jeu

Très clairement un des meilleurs RPG de ces dernières années, Pillars of Eternity est un jeu de rôle à l'ancienne, héritage assumé de Baldur's Gate II, qui a pu voir le jour grâce aux dons de la communauté. Communauté remerciée d'ailleurs par l'inclusion d'une tonne de personnages (inutiles) mais dont la boîte de texte est écrite par les donateurs. Bref, un jeu de passionnés pour les passionnés et ça se sent à tous les niveaux. Pillars of Eternity est d'une très grande générosité en terme de contenu et de durée de vie. J'ai terminé le jeu principal et le DLC The White March en 75h, j'y jouais à petite dose depuis octobre derniers.


La première grande qualité du titre qui me vient à l'esprit, c'est tout d'abord son écriture, évidemment. Ici, il ne faut pas avoir peur de lire l'équivalent d'un ou deux tomes de romans de fantaisie, il y a beaucoup de dialogues, de descriptions et d'informations à recueillir. C'est clairement un jeu à l'ancienne car aujourd'hui, les jeux vidéos sont maigres sur ces aspects-là, RPG compris (regardez Fallout 4). La pléthore de dialogue a ses avantages comme ses inconvénients, je m'explique, arrivé à 75h au compteur, on ne lit plus forcément et on commence à zapper. Disons que Pillars of Eternity manque d'ambition sur les dernières longueurs et l'ennui gagne vite, le DLC quoique original avec ses nains enfermés dans leur forteresse, lasse aussi. Les quêtes, les tâches secondaires sont très nombreuses aussi et pas toujours des plus intéressantes. Mais dans l'ensemble, Pillars tient la route notamment grâce à la possibilité de résoudre les quêtes de multiples manières, et ça c'est vraiment un élément clé du jeu de rôle. Le choix du dialogue a une réelle importance (en fonction de ses statistiques) et permet des issues parfois originales, violentes ou non, le joueur termine une quête comme il l'entend. Combien de boss difficiles ai-je terminé en discutant simplement avec eux ? Alors, certes, ça peut paraître ridicule mais dans Pillars, il est possible de manipuler les PNJ, de trouver un accord à l'amiable pour éviter la castagne, leur mentir etc. Je ne vous évoquerai pas la liberté accordée aux joueurs de terminer certaines quêtes en faisant preuve d'un sadisme ou d'une cruauté mal placée... C'est génial et bien pensé !


Côté scénario, Pillars of Eternity est plutôt complexe mais l'ensemble tourne autour de la manipulation des âmes et des découvertes scientifiques voire magiques associées. J'ai bien aimé même s'il y a des hauts et des bas, le discours de fond est en réalité assez conservateur, on n'aime pas les changements éthiques dans Pillars, j'ai trouvé le propos sympathique. Les quêtes secondaires sont plus ou moins en lien avec cette question des âmes, certaines sont plus classiques : tuer des méchants voleurs, assassins, esclavagistes etc. Néanmoins, je trouve dommage que les enjeux ne soient pas clairement mis en avant. Certaines quêtes affiliées à vos principaux personnages se terminent au détour d'une ruelle ou d'un arbre au bout de 50h de jeu, comme ça, de but en blanc. Sans aucune récompense, sans cinématique, rien. Dommage. En revanche, contrairement au 3/4 des jeux d'aujourd'hui, lorsqu'on parle de conséquence liée au choix dans les dialogues ou dans les actions, ce n'est pas uniquement pour les quêtes secondaires, cela marche aussi pour la principale, entendons-nous bien ! En gros, ce que je veux vous dire, c'est qu'il est possible de plier la quête principale assez rapidement, passé un certain stade (mais ce sera la mauvaise fin, genre tout le monde meurt) ou alors continuer pendant des heures pour débloquer d'autres fins sympathiques. À bon entendeur, salut.


Le gameplay est un petit bijoux de technicité. Au début, on se sent un peu perdu et au fur et à mesure de la progression, on prend conscience des possibilité INFINIES des approches de combat. Il y a des tonnes de sorts, des tonnes d'enchantements, des tonnes de possibilités pour chaque personnage... C'est franchement vertigineux. Tous les personnages ne se valent pas selon moi, l'équilibre n'est pas parfait mais on s'en moque. Cela permet de tester un peu tout ce que l'on nous présente et de faire ses propres choix. Vous aurez la possibilité d'engager des personnages principaux ou des mercenaires achetés dans une auberge. Les perso principaux vous permettent de dialoguer avec eux et de débloquer des quêtes qui correspondent à leur but, à leur destin. Ce qui est fou dans Pillars, c'est qu'il est pratiquement impossible de savoir qui sont les personnages principaux à recruter. Il faut vraiment faire gaffe au dialogue car rien n'est automatique ! J'ai vu des parties sur internet où des gars avaient des personnages (un nain par exemple) que je n'ai jamais croisé ! Très clairement, on a une certaine rejouabilité pour les plus accros d'entre vous, ne serait-ce que la possibilité de monter son paladin de manière complètement différente, de finir les quêtes autrement etc. Le bât blesse sur la micro-gestion (que l'on réalise dans Pillars en mettant pause en plein combat), l'IA de vos personnages est un peu idiote et a vraiment du mal à trouver son chemin. Très souvent vous aurez droit au perso qui court dans le vide, qui reste en retrait parce qu'il n'arrive pas à passer entre deux PNJ, vous condamnant parfois à perdre le combat (notamment si c'est votre putain de tank qui est en retrait et que vos mages se font poutrer à la truelle frontline). C'est très agaçant. Ce problème de pathfinding se retrouve également lorsque vous demanderez à un mage de lancer un sort et que le range sera insuffisant, il n'est pas rare que le personnage fasse un détour de 17 km, ou mieux encore, fonce littéralement dans la mêlée pour jeter sa boule de feu. Nul à chier !


La difficulté est au rendez-vous, le début sera difficile, le milieu sera difficile et la fin sera virulente. Si vous ne tuez pas tout ce qui bouge sur chaque tableau, vous aurez parfois du mal contre certains boss. J'en ai pris des fessées notamment contre le dernier groupe de mercenaire au Siège de Crägholdt : humiliation et soumission furent mon leitmotiv. Conseil, ne pas insister et revenir plus tard avec un stuff un peu plus conséquent et un ou deux level de plus cela fait franchement la différence.


D'un point de vue du contenu, c'est riche, je l'ai déjà dit mais on peut quand même exprimer une petite réserve sur l'inventaire et le stuff. Bon déjà, vous disposez d'un inventaire infini, vous pourrez absolument mettre tous les objets de la Terre à l'intérieur. C'est très étrange comme choix de gameplay, surtout pour un jeu de rôle où l'on est tous habitué à devoir faire, à un moment donné, des choix draconiens lorsqu'on arrive à la limite de poids. Ensuite, les items de personnalisation (armure, gant, bague, collier, pantalon, botte, chapeau, cape, armement...) sont un peu tous les mêmes. De la première à la dernière heure de jeu, on a toujours des items faiblards, pas légendaires comme tout rôliste serait en droit de s'attendre. C'est dommage. Alors, je pèse mes mots. Il y a bien des armes uniques en fin de jeu qui peuvent s'agrémenter de quelques pierres précieuses pour devenir plus puissantes mais guère plus. Au passage, ces armes ont d'ailleurs des skins sympathiques. Mais avoir un personnage level 14 (dernier level avec le DLC) avec des vieilles bottes de merde à 1000 pièces d'or qui vous octroie un superbe "+3 en agilité", ça fait mal au fion. Et pourtant je fouille tout, j'achète tout car je suis enfin riche après en avoir bien bavé au début. Donc, une légère redondance dans la customisation de ses personnages, on aurait souhaité plus d'ambition dans le stuff. On appréciera tout de même de voir que chaque item équipé est représenté en temps réel sur votre personnage en plus de pouvoir choisir la couleur de tous ces éléments. Beaucoup de gens ont critiqué la possibilité de créer sa forteresse, son village en le retapant (c'est exactement le même concept que dans Assassin's Creed 2) et bien sûr en investissant de l'argent. J'ai trouvé que c'était plutôt bienvenu, après à la question - "est ce que c'est indispensable ?" - je répondrai assurément que non, mais cela permet au joueur d'avoir son petit chez soi et renforce ainsi la crédibilité de l'ensemble. Puis c'est toujours agréable de voir un champs de ruine devenir un village en pleine santé. On reprochera le manque de vie de certaines parties de la carte, dont la forteresse Caed Nua souffre un peu, hélas.


Graphiquement, c'est superbe. Obsidian Entertainment nous livre un mélange subtil entre décor en deux dimensions et éléments en trois dimensions tels que les personnages, les ennemis (dont on admirera la grande diversité), certaines parties du décor également. C'est de toute beauté, les paysages sont classiques mais toujours dépaysants, la magie opère. Cela manque de prise de risque, certes mais dans l'ensemble c'est très correct, je vous laisse le soin de taper Pillars of Eternity dans la barre de recherche, vous constaterez qu'il y a du gros boulot derrière : tous les tableaux sont uniques. Gros point faible, particulièrement pénible : les temps de chargement. Ils sont omniprésents et longs alors que je fais tourner le jeu sur une grosse machine. Franchement, ça casse le rythme et on fini par les tenir en horreur. Pour un jeu principalement en deux dimensions (hommage réussi à Baldur's Gate), je ne comprends pas le pourquoi du comment. Parmi les trucs chiants, il est à noter que vous rencontrerez quelques bugs du type, un script qui ne se lance pas, une phase de combat qui ne se termine jamais ce qui a pour effet que, si vous avez un personnage mort (au hasard, le prêtre...), vous ne pouvez plus aller nul part car il est impossible de quitter un tableau sans vos six personnages vivants et groupés. Résultat, relance le jeu ma couille ! Et si tu as sauvegardé il y a une heure, hummm, bon appétit ! Je suis cynique, en réalité les bugs sont rares par rapport à la durée de vie totale du jeu. J'ai dû croiser cinq, six bugs (grand max) sur un total de 75h de jeu (et j'ai un peu tracé sur la fin). Soyons honnêtes, Pillars of Eternity est solide.


Pour conclure, je ne peux que vous recommandez d'essayer la bête. Il ne faut pas avoir peur de s'y perdre pendant des heures et des heures, Pillars of Eternity est très loin des standards de son époque et fait un joli pied de nez à tous les faux jeux de rôle qui sortent en ce moment. C'est du fait maison (très tendance) et un bel hommage au mythique Baldur's Gate. Je ne vous ai pas parlé des musiques parfaites qui vous accompagneront dans votre aventure, ben voilà, c'est fait. Pour les rôlistes, ceux qui aiment les statistiques, les scénarios non manichéens, la découverte d'un univers fouillé et complexe. De loin, le meilleur RPG 2015.

Créée

le 13 mars 2016

Critique lue 3.4K fois

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silaxe

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