Remarque : depuis cette critique, le jeu a reçu beaucoup de mises à jour qui ont corrigé la plupart des problèmes mentionnés. Aujourd'hui, le jeu est bien meilleur et libéré de nombreux problèmes, avec une partie gestion beaucoup plus complète et une communauté très productive, en quantité et en qualité. Toutefois, il s'agit bien d'une critique d'une version commerciale du jeu, le texte et la note resteront donc inchangées.


Cela fait quasiment 10 ans que Frontier a entamé le projet Planet Coaster. Si on prend en compte l’argent amassé grâce à Elite Dangerous, les largesses des joueurs qui ont payé des sommes mirobolantes (c’est leur choix, certes) pour un accès à l’alpha mais, surtout, l’expérience immense que le studio a accumulé sur RCT 3, les Thrillville et le portage Xbox du 1er RCT, je dois admettre que j’en attendais un peu plus de ce Planet Coaster, qui est aussi enthousiasmant sur certains aspects qu’il peut être décevant sur d’autres. Un produit mutant, très moderne dans ses qualités comme dans ses défauts, qui met dos-à-dos d’évidentes qualités de conception à des paresses de mise en œuvre qu’on pourra avoir du mal à pardonner ; un jeu du futur sur les aspects de la personnalisation et de l’ambiance, mais dont toute la partie gestion appartient au passé, et dont l'ensemble baigne dans une dimension communautaire qui est à la fois la force et la faiblesse du titre, et comme un aveu de mollesse de la part d’un studio qui peut, mais ne veut pas toujours bien faire.


Planet Coaster est le jeu de construction de parc d’attraction parfait, à condition d’accepter que vous allez devoir en bâtir vous-même la colonne vertébrale. Les développeurs ont concentré l’essentiel de leur travail sur la mise en place d’une architecture de création : de décors, de montagnes russes, d’allées principalement. Le jeu vous livre l’outil, à vous de fournir la matière première. Au contraire d’un RCT 3 et à l’image d’un Thrillville (en plus accentué), Planet Coaster ne vous livre qu’un petit nombre de « blueprints », des plans préconçus d’attractions ou de scènes à placer dans votre parc pour l’embellir et le rendre amusant. Le reste se fera soi-même ou ira se chercher sur le workshop. D’un côté, cela favorise la créativité. De l’autre, RCT1 et 2, développés par une seule personne dans son garage, proposaient environ cent fois plus d’éléments préconstruits, qu’il s’agisse de thèmes de décor, de plans de montagnes russes ou d’attractions originales. En l’état, Planet Coaster est également plus pauvre que RCT 3 et ses extensions, pourtant vieux de déjà 10 ans. Une posture que je ne peux pas vraiment tolérer surtout après avoir suivi les étapes du développement de ce jeu et en lui connaissant les innombrables facilités de financement dont il a bénéficié.


Les points positifs de Planet Coaster sont pourtant nombreux, à commencer par son apparence festive et très immersive. La propreté des graphismes, la diversité et la qualité des animations du public, la possibilité de passer à tout instant en caméra subjective d’une attraction et surtout d’un visiteur sont, paradoxalement, des qualités plus grandes encore que les possibilités de personnalisation du parc, qui sont certes imposantes, mais qui renvoient davantage à du développement qu’à de la création. Car les sublimes cartes et attractions visibles sur le Workshop sont l’œuvre de joueurs patients et doués qui constitueront une infime portion du public réel du jeu, de la même façon que la communauté de Little Big Planet doit tout à une minorité de joueurs dédiés à la cause.


Dans les faits, la création de structures personnalisées est trop chronophage, avec une interface de création radicalement « low level » dont les possibilités, mais aussi et malheureusement l’ergonomie renvoient à un moteur de jeu vidéo classique. Le joueur se retrouve à errer dans une arborescence relativement confuse de « props » qu’il peut placer et assembler à sa guise. Les développeurs ont concentré l’essentiel de leur attention sur l’auto-magnet des éléments entre eux, et la création de groupes d’éléments qu’il est possible de fusionner en une seule attraction physique qui peut être sauvegardée dans ses blueprints et partagée avec les autres joueurs. Bien que le résultat sera probant pour qui s'en donne vraiment la peine, la spatialisation 3D et la liberté totale de placement des éléments (quoique régis par un système de grille quand on en a besoin), tout en donnant au parc un aspect très organique, empêche parfois la création d’ensembles harmonieux. A moins de passer littéralement des heures sur le décor d'une attraction, il sera presque impossible de lui donner un cachet satisfaisant. Quant à l’outil de terraformation, il est encore trop restrictif au niveau des possibilités de relief, dont le réalisme et l’ « exploitabilité » dépendent étroitement de la patience du joueur qui utilise l’outil – j’ai beau avoir l’habitude de prendre en main ce genre d'outil, les limites m’ont ici rapidement sauté aux yeux, entre la raideur des creusements, la lenteur d’opérations simples comme la création d’un cours d’eau… Frontier a encore une certaine marge d’amélioration sur l’ergonomie générale, qui ressemble ici un peu trop à celle de leur précédent jeu.


Dans l’ensemble, Planet Coaster est donc un jeu de construction très enthousiasmant qui répond à la plupart des fantasmes qu’évoque le genre, mais celui qui souhaite vraiment créer un parc unique devra donner de sa personne et maîtriser à la perfection une interface souvent capricieuse, et sincèrement pas aussi évoluée qu’on aurait pu le croire, surtout pour un studio aussi expérimenté. L'investissement de temps et de recherche pour construire n'importe quelle structure un tant soit peu jolie est tel qu'il faut presque être level designer soi-même pour en tirer pleinement parti. La 3D pose bien sûr d’innombrables défis d’ergonomie auxquels Frontier a globalement bien su répondre, mais en tant que fan des premiers RCT, je continue à m’interroger sur la pertinence de l’abandon de la 2D dans un tel jeu. Et je n’exclus pas que feu Chris Sawyer, qui a posé les bases du genre et de tout le travail de Frontier, aurait pu fournir une alternative intéressante en deux dimensions, tant se répètent ici des errances semble-t-il inévitables, au niveau des perspectives, de la gestion de la caméra, de la terraformation, qui étaient déjà présentes dans les premiers jeux de Frontier et qui n’ont été que partiellement contournées malgré d’évidents progrès. La quasi-totalité des éléments présents dans le jeu sont issus des précédents jeux RCT ou Thrillville, et, si on n'a pas à reprocher à Frontier le fait de capitaliser dessus, on peut par contre leur en vouloir de s'en contenter à ce point.


Mais finalement, le vrai, le gros problème de Planet Coaster réside dans son hypocrisie. Aussi brillant et excitant soit-il, ce jeu pose la question de l’honnêteté de se prétendre « community-driven » quand on se retrouve en même temps touché par les maux du jeu vidéo moderne. Le contenu de base reste objectivement faible, le nombre de blueprints n’a que peu évolué en plusieurs années de développement, il n’y a quasiment aucun parc pré-construit accessible autrement que par le workshop… Il est très clair que Frontier souhaite faire de son jeu un produit de sa propre communauté, mais l'intelligence d’une telle démarche est à prouver alors que dans le même temps, les développeurs eux-mêmes ne proposent que peu d’exemples intégrés après dix ans de boulot, que le jeu est DRM-isé à mort sous Denuvo, vendu au prix fort et qu’au final le joueur se retrouve dépendant du travail de ses pairs (ou du sien) au lieu de celui des développeurs. D'autres jeux DIY, comme Little Big Planet, ont déjà montré un souci de bien faire qui n'est pas visible ici. D’autant que sorti de l’aspect construction et visite, le titre montre très vite ses limites avec une partie gestion trop survolée. Les développeurs ont certainement eu raison de simplifier certaines tâches auparavant redondantes et ennuyeuses, comme l’entretien des pelouses ou des attractions, ici réduit à leur plus simple expression ; on peut toutefois se demander s’il était bien nécessaire de s’encombrer de nouvelles features pas vraiment raccord, comme le bonheur du personnel et le fait qu’il puisse démissionner de certaines attractions mais pas d’autres. Globalement, l’aspect gestion hérite d’une partie des mécanismes du 1er jeu de la série (l’autre partie ayant purement et simplement été jetée à la poubelle) : il se montre alors plus pauvre que ses prédécesseurs indirects, ou même que Thrillville, qui assumait pourtant un style résolument console et arcade. En résulte un jeu qui reste indispensable pour les mordus du genre, mais dont les limites, et la philosophie d’édition légèrement perverse, en atténuent le capital sympathie.

Créée

le 19 nov. 2016

Critique lue 1.6K fois

10 j'aime

Seb C.

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