Prey
7.4
Prey

Jeu de Arkane Studios et Bethesda Softworks (2017PC)

Prey, en 2006, c'était bien. De la science-fiction sans tabou, des séquences d'exploration sidérantes, des emprunts malins à Portal (erratum : qui est sorti après, en fait) et un univers de grand malade où se côtoyaient passé et futur, mythes cherokee et vaisseaux spatiaux, tristes résidus d'un présent tout juste révolu contre promesse d'un futur glauque et sans espoir... parmi d'autres, cette image d'un bus scolaire tous feux allumés, pris dans la membrane alien d'un vaisseau ennemi, reste parmi les motifs forts d'un jeu qui n'avait alors pas peur d'imposer une vision personnelle. Au fond, et même s'il a pu souffrir de drôles de choix d'esthétique et de design (le respawn infini du personnage, les fameuses portes-vulves et autres armes demi-molles), les complications de son développement ont su passer au second plan et Prey reste aujourd'hui, à mes yeux, un certain modèle du jeu vidéo de science fiction, et un très intéressant spécimen de FPS. Bizarrement pourtant, après la relative déception Dishonored 2 et un marketing qui n'envoyait pas vraiment du rêve, ce nouveau Prey me laissait de marbre. Je ne voyais pas bien ce qu'Arkane venait faire là-dedans. Je ne voyais pas bien l'intérêt de rebooter un jeu d'un seul épisode, méconnu qui plus est. Je ne voyais pas bien pourquoi on était passé d'une suite, à un reboot, à quelque chose d'enfin complètement différent et indépendant. Je ne voyais pas du tout pourquoi, en 2017, quelqu'un, quelque part, s'était décidé à sortir un Prey. Bref, je ne comprenais rien.


Les premières minutes de ce nouveau jeu semblent d'ailleurs abonder dans le sens d'une vague méprise. Les graphismes, assez moches, ont l'air d'être antérieurs à Bioshock 1. Le scénario semble sortir des années 90, avec un personnage apparemment amnésique, un complexe scientifique bizarre et des tas d'ingénieurs idiots qui font des trucs incompréhensibles. Les personnages ressemblent à des délires de geek qui ont trop joué à Half-Life ; le premier qu'on rencontre, un gros type débonnaire, me fait immédiatement penser à Gabe Newell. Mais l'inquiétude montre sérieusement le bout de son nez quand les premiers monstres arrivent, vu qu'ils s'appellent peu imaginativement "mimics" et surtout qu'ils se transforment en OBJETS. J'y vois immédiatement une idée pourrie, un moyen pour les développeurs de faire monter le stress pour pas cher (tout le décor est potentiellement méchant, vous l'avez ?), et surtout je repense à cette kyrielle de RPG japonais qui, depuis l'aube des temps, s'amusent à placer des faux coffres qui se mettent à attaquer le joueur quand il essaie de les ouvrir. Ça, une idée révolutionnaire ? C'est un running gag chez la concurrence, difficile d'y voir une base de gameplay solide pour un jeu de 2017.


Et puis, bien sûr, je commence à comprendre que je me trompe. Je commence à comprendre que tout, dans Prey, est affaire de faux-semblants, à l'image de ces aliens métamorphes qui se transforment sans arrêt en microscope, en thermos ou en tabouret. Et je ne peux que saluer les premières minutes du titre, qui font croire sans effort à une réalité complètement fausse, avant d'en dévoiler les coulisses dans une sorte de making-of "live" qui amplifie, dans son effet de décalage, la sensation de perte de l'introduction du Prey de 2006. Ce nouveau cru livre en effet le récit d'une incroyable fable de science-fiction, donne peu à peu au joueur les clés de son intrigue à tiroirs. Par les techniques habituelles du FPS narratif (e-mails, appels téléphoniques, post-its collés sur les murs : rien de frais), il réussit à raconter une histoire hallucinante qui emprunte aux grands classiques de la littérature de science-fiction (K. Dick et Asimov ne sont pas loin), autant qu'à une certaine frange de films d'horreur futuristes. La scène d'introduction, complètement délirante, nous donne déjà quelques indices sur l'ampleur du scénario et les nœuds qu'il faudra démêler ; ce n'est pourtant rien en regard des révélations que le jeu égrènera, des doutes qu'il laissera en suspens, des retournements de situation assez cérébraux qu'il disséminera un peu partout, comme un SOMA en état de grâce. Tout en étant bâti sur les fondations extrêmement classiques des Shock et plus généralement de 99 % des FPS de survie solo, Prey fait montre d'un degré de maîtrise narrative rarement atteint dans le genre, et cela restera pour moi comme la plus grosse surprise de ce jeu.


Le gameplay, lui aussi très classique, reprend à son compte les contraintes d'un System Shock ou Bioshock. Inventaire, armes, points de vie, munitions limitées à ramasser un peu partout. Améliorations d'armes, pose et fortification de tourelles. Feuille de personnage, blindée de compétences à déverrouiller. Un nouveau système de recyclage d'objets, qui permet de créer ses propres munitions et packs de soins, fait figure d'ajout bienvenu et se montrera utile tout au long du jeu. En n'inventant que peu, le système de jeu réussit à garder un excellent équilibrage et un parfait dosage de ses différents ingrédients, bien aidé par un level design qui lorgne, lui, davantage du côté d'un Deus Ex ou d'un Dishonored, par sa verticalité, par ses nombreuses options de progression : réparer un disjoncteur pour éviter de se prendre le jus, ou soulever une caisse lourde qui cache un passage sûr ? pirater ce terminal pour obtenir le code de la porte, ou passer par-dessus le mur en construisant un escalier à l'aide de ce fusil à colle bien pratique ? chercher la carte d'accès de cette autre porte, ou la forcer ? Etc. On observe une réelle parité entre action et exploration, avec des cartes pleines de petits secrets dans lesquels sont disposés des ennemis aux patterns intéressantes, loin d'être limitées aux transformations énervantes des mimics (qui ne constituent que la piétaille) et qui encouragent à un usage raisonné d'armes par ailleurs sympathiques.


On pourrait aussi parler des pouvoirs psi, des embranchements du scénario, du scan des ennemis, des innombrables et passionnantes quêtes secondaires qui pullulent partout et demandent d'avoir un excellent sens de l'orientation dans ce complexe spatial explorable à l'envi, sans restrictions d'allers-retours. On pourrait parler de ce savoir-faire insolent que les développeurs montrent quand il s'agit d'assigner un objectif de quête, mettant le joueur dans une perpétuelle situation de choix (quelle route vais-je prendre ? quels objectifs secondaires vais-je tenter en cours de route ?). On pourrait parler, enfin, de cette ambiance exceptionnelle qui, derrière une technique assez modeste, évoque sans problème des grands classiques du cinéma de SF, mais aussi des films plus récents comme "Life : Origine Inconnue", dont il partage ce sentiment d'écrasement, de désespoir, de solitude, qui, de façon perverse, constitue l'un des grands attraits de Prey.


Etre paumé en apesanteur dans une brèche de la coque, avancer à tâtons dans un sas sans lumière, entrevoir dans toute cette horreur la pureté d'un espace aussi infini que menaçant : les meilleurs FPS narratifs ont toujours eu cette capacité à faire ressentir au joueur l'immensité d'un monde désolé, où il est privé d'aide et de repères. En jouant jusqu'au bout cette partition qu'on adore reconnaître, Arkane aurait pu signer un pur chef-d'oeuvre du genre, voire même dépasser certains des jeux dont il s'inspire. C'est pourtant dans un essoufflement de fin de parcours, où des problèmes d'équilibrage et de progression commencent à se faire ressentir (les deux dernières heures sont abominablement chiantes), où l'on commence un peu à être envahi par les quêtes contradictoires et autres choix tiraillants, que Prey menace de fléchir. Ça ne reste heureusement pas bien grave, tant les jeux de son calibre sont rares ; et tant pis si Tommy le Cherokee nous a quittés, s'il est retourné dans sa réserve, lorgnant peut-être les étoiles d'un œil angoissé, songeant qu'il n'aurait jamais cru qu'un(e) Morgan Yu vive un jour aventure spatiale aussi déglinguée que la sienne.

boulingrin87
8
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le 4 juil. 2017

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Seb C.

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