J'ai souvent eu l'impression de perdre mon temps avec les jeux vidéo, ce qui provoquait en moi un sentiment de culpabilité, puisque j'aurais pu faire mieux usage de mon temps et de mon argent. J'étais également en proie à une forme de boulimie car j'espérais toujours trouver mon Graal dans le jeu suivant.


Les jeux vidéo, les émissions de télévision, facebook, la radio (parlée, pas musicale, quoique de nombreuses chansons peuvent y participer) et les magazines travaillent à saturer le temps, notre temps. Ils nous tiennent occupés. Et nous avons besoin d'être occupés pour combler le manque qui nous habite.


Si vous êtes habitués à zapper entre les différents canaux de télévision, à faire défiler votre mur facebook, à lire les échanges stériles de deux idiots sur un forum, ou à passer du temps sur un jeu vidéo en attendant la stimulation qui viendra récompenser cette occupation qui n'en est pas une, donner un sens à l'absurdité, vous savez de quoi je parle. Et vous savez aussi que cette récompense ne vient pas souvent.


La problématique du jeu vidéo, c'est qu'il se trouve à un carrefour bâtard entre jeu et art, moyen d'expression et de divertissement, compétition et plénitude personnelle, défis (contre un adversaire joueur ou concepteur) et découverte de l'autre. C'est donc de prime abord très complexe pour un concepteur d'avoir une vision claire, un concept harmonieux, dès lors qu'il s'écarte des genres qu'on pourrait qualifier simples comme le puzzle-game, le jeu de sport, par exemple.


Et pendant un temps, malgré les difficultés et une certaine idiotie de surface, certains concepteurs se sont attelés à proposer des jeux cohérents, du moins le plus possible. Je dis bien ; certains. Beaucoup d'autres se contentés de skinner et scénariser sommairement un défi.


À partir de la ps3 et la 360, la tendance s'est inversé, proposant une cohérence de surface qui masque (assez mal) une profonde idiotie. On déploie des talents, on fait écrire des kilomètres de dialogues, on va parfois chercher des auteurs réputés dans leur milieu artistique... mais rien n'y fait. On le dramatise, on le sérieurise, on l'émotionise, on parle de relation filiale, etc. etc... mais rien n'y fait. Car ce n'est qu'un spectre sans corps et sans substance.


Car le jeu vidéo est devenu un moyen d'occuper le temps, de tromper le vide en proposant du vide interactif qui bouge et fait du bruit, et au final les concepteurs, comme les joueurs, ne savent pas ce qu'ils font, ce qui n'empêche pas d'y prendre du plaisir.


Le jeu vidéo, comme tout moyen d'expression, est un langage, avec son alphabet, sa grammaire. Vous pouvez par exemple suivre l'histoire d'un film, mais aussi, avec un peu de pratique, saisir le langage du montage, de la mise en scène, en somme le langage du cinéma.


Mais le langage du jeu vidéo ne dit plus rien, ou pas très souvent, et ne cherche plus, du moins d'une manière intelligible et intelligente. Vous me pardonnerez (ou non !) de généraliser, vous trouverez sûrement des exceptions (le fameux Ico notamment, pourtant pleinement dans le sujet, comme Journey). Il n'a pas fonction à véhiculer quelque chose, mais à saturer notre temps, dans les élans les plus sincères comme dans les cas les plus cyniques, parfois ces deux mouvements étant liés à un même projet, d'où des questions potentiellement abyssales sur des jeux où on trouve des détails "qui tuent" au milieu de la stupidité générale.


C'est ainsi que, même si la plupart des joueurs sont des génies de la gymnastique intellectuelle pour éviter de faire face à l'évidence, de nombreux jeux proposent des défis idiots, avec des héros aux capacités absurdes et des récompenses sans lien logique avec les actions effectuées, le tout enrobé dans un scénario envahissant et sans rapport profond avec ce qui est proposé manette en mains.


Red Dead Redemption, je ne m'attarderai pas à détailler son cas, est un magnifique représentant de ce qu'on qualifie de chef d'oeuvre vidéoludique, tout en proposant un scénario qui n'a aucun sens, des personnages aux comportements et caractères souvent incohérents, des défis et activités sans rapport avec la quête du héros, ou ce qui semble être sa quête car là aussi tout n'est pas intelligible.


Ça va faire un an que j'ai revendu tous mes jeux vidéo. J'ai parfois eu le goût de réessayer pour certains titres, mais heureusement ça coûte tellement cher ! Avec le recul, je me rends compte que ce potentiel moyen d'expression formidable est devenu le représentant des aspects les laids de notre époque ; vanité, arrogance de s'imaginer renouveler et surpasser ce qu'il dévalue, ignorance crasse, goût de la récompense immédiate, continuelle et sans effort, vide spirituel, boulimie de consommation de poop culture. Un placebo qui rend malade.

BlackLabel
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le 23 juin 2018

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