Saviez-vous que la rose est un symbole vaginal ?
Angleterre, années 30. La jeune Jennifer se retrouve par hasard à proximité d'un orphelinat, et par la force des choses, va se retrouver embarquée dans une longue aventure aux confins de la raison. Avalée par le léviathan qui plane au-dessus du sinistre établissement, recrachée par le club du Crayon Rouge aux us sordides, écrasée par la cruauté de ses jeunes membres, écartelée par les révélations qui l'attendent et bien plus encore, Jennifer et son fidèle limier Brown vont passer par tous les aspects de la douleur, le tout sous la férule et avec l'aide du pire des bourreaux, celui qui veut la voir aller au bout, à terme de la souffrance, pour assouvir son seul et unique plaisir teintée d'une curiosité toute naturelle. Ce bourreau, c'est le joueur.
Bourreau qui est aussi victime, quelque part, car il ne vous faudra pas longtemps pour le découvrir : Rule of Rose mélange l'orgasme vidéoludique pur et la torture dans ses moindres raffinements.
Parler de l'histoire de Rule of Rose est un exercice hautement ardu car le risque de spoil est en permanence très élevé, et en plus, il jouit d'une des narrations les plus particulières que j'ai vu depuis Baroque. Ca ne se raconte pas, ça se vit, ça s'explore, ça se recoupe. Si vous vous contentez d'aller du début à la fin, vous allez fréquemment vous retrouver à plisser les sourcils en marmonnant "... Keuâh ?" car on aligne des mystères et des informations, pas des réponses. En outre, l'histoire transpire par tous les pores la violence psychologique, la tension sexuelle et la cruauté sanguinaire de l'enfance brisée, ce qui ne plaira pas à tout le monde. D'ailleurs, vous êtes peut-être au courant, Rule of Rose fait partie de ces jeux qui ont une réputation mal acquise parce qu'un ou deux politiques l'ont ouverte un peu trop vite sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas (et qui ne les concernent pas). Je ne vous resitue pas le contexte pour ne pas vous influencer et pour ne pas donner à ces propos une importance qu'ils n'ont pas ; si vous voulez savoir, je vous renvoie vers la liste "Oups ! J'aurais mieux fait de me taire..." qui relate bien les faits.
Pour parler du jeu en lui-même, on tombe rapidement sous le charme des graphismes qui comptent parmi les plus beaux du support avec Silent Hill : Shattered Memories, Valkyrie Profile 2 et Final Fantasy XII. Le jeu de Punchline s'avère un sans faute visuel : tous les environnements sont conçus avec un soin tellement méticuleux qu'on en sent le tabac froid des premières classes et le cambouis des cales du dirigeable, les personnages jouissent d'un chara design tout aussi calculé, chaque individu mettant au diapason son attitude et son apparence (la poitrine naissante d'une Diana au charisme écrasant, la prétention d'une Meg toute de paraître vêtue...). Rien à redire non plus sur les monstres qui rivalisent de cohérence avec les créatures d'un Silent Hill. Pour cette raison, l'exploration est un bonheur sans limite, du début à la fin.
Les oreilles vont être un peu plus difficiles à contenter. Oh, les musiques sont magnifiques, le crin-crin d'un violon et les trois notes égrenées du piano composent une dimension majeure de l'ambiance passée du jeu, rien à redire là-dessus. Mais les loops sont si courtes, les airs si entêtants et l'omniprésence du modèle A Love Suicide est si peu subtile qu'au bout de quarante minutes à les entendre en boucle, il y a des chances qu'on finisse par les vomir. En ce qui concerne le doublage, il est très peu présent et la prestation est généralement très acceptable, sauf le personnage de Meg qui est vraiment très mal joué (mais une certaine donnée en tête et cette fameuse médiocrité rend le personnage encore plus intéressant, si, si, je vous le jure).
Et là où, vraiment, il faut être plus qu'indulgent, c'est le gameplay. On le sait, par définition ou presque, un survival, c'est un jeu où la manette n'est pas votre amie. Leur essence même, c'est de vous faire jouer des personnages frêles, inexpérimentés, où vous luttez autant à les contrôler qu'eux-mêmes ne luttent pour survivre. En l'occurence, Rule of Rose fait mieux que bien avec des mouvements insupportables - surtout les demi-tours, je vous laisse constater - sans compter un maniement des armes erratique au possible et une gestion de la santé plombée par un inventaire rationné à souhait. Ici, plus que jamais, il ne vous faut pas vous battre si vous n'y êtes pas forcés. Il vous faut fuir.
Pour cela, vous allez rapidement arrêter de compter les Game Over et vous allez haïr les boss du plus profond de votre coeur. Et pourtant, si vous êtes sensible à l'ambiance et que vous voulez vraiment connaître la suite de l'histoire, vous allez certainement vous accrocher ; peu importe que vous fassiez indirectement souffrir Jennifer (qui vous le rend bien), on serre les dents et on avance. Les quinze heures de jeu qui vous attendent sauront vous résister; et vu la cote de la bête, c'est vraiment bon à prendre. N'était la rudesse et l'austérité du gameplay, j'aurais volontiers donné 10/10.
Dur à tous les niveaux, somptueux, ambitieux, fort de cette écriture chaotique qui nécessite vraiment un coup de génie pour fonctionner et adressé avant tout aux joueurs qui veulent vraiment profiter de son expérience, Rule of Rose est un jeu qui marque. A l'image du Crayon Rouge, vous voulez le détester, vous voulez sanctionner ses méthodes et son manque de tact envers vous, mais c'est impossible, tellement les raisons sont légitimes et tellement l'univers présenté lui donne des raisons de se comporter ainsi.
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