The Song of Saya
7.2
The Song of Saya

Jeu de Gen Urobuchi, Nitroplus et Jast USA (2003PC)

Saya no Uta est probablement l'œuvre la plus malsaine et glauque qu'il m'ait été donné de lire. Elle rassemble à elle seule une rare quantité de vices, de sang, de scènes crues et grotesques de sadisme. Il ne s'agit pas d'une bête succession de gore-perversion comme dans les Guinea Pig ou d'autres œuvres d'horreur ; Saya no Uta ne se contente pas de s'imaginer le pire et de l'exposer pour nous dégoûter physiquement. Saya no Uta est un conte horrifique avec des personnages très humains, bien construits, que nous verrons peu à peu plonger dans l'enfer. Lorsque Saya no Uta nous expose scènes atroces, tripes et boyaux, on les voit avec le regard de ces personnages, ce qui nous fait ressentir l'horreur de l'intérieur de nous-même.


Saya no Uta nous raconte l'histoire d'un jeune homme, Fuminori, qui suite à un accident de la route traumatisant (les corps de ses parents furent écrasés et mêlés entre eux au point qu'il a été difficile de les séparer), va subir une opération qui va transformer sa perception des choses. Il ouvrira les yeux de nouveau sur un monde fait entièrement de boyaux, les murs, le lit, les meubles, et verra les êtres humains sous forme de monstres de chair sanguinolente. Sauf une fille, Saya.


Un des plus gros attraits de l'œuvre doit être son ambiance et son monde très immersif et bien construit.


Saya no Uta instaure dès son commencement une ambiance malsaine et un univers torturé : le vn se lance sur un bruit de gargouillement métallique, une parcelle de chair distendue à la couleur jaunâtre, un son de guitare strident, un dialogue incompréhensible. Pour peu que le lecteur soit réceptif, un sentiment de malaise commence de s'installer chez lui dès ce moment-là.


L'immersion est donc immédiate et efficace, et se maintiendra au même niveau pendant tout le jeu (excepté pendant certaines scènes) ; tout est pensé pour plonger le lecteur dans l'œuvre.


L'ambiance sonore est excellente, avec des bruitages effrayants et bien placés, des doublages corrects (j'ai adoré la voix de Ryouko notamment). Les ost sont sublimes et collent très bien à l'œuvre : perfidie, mal-être, violence, horreur, peur, souffrance. Il n'y a qu'une seule ost véritablement calme et apaisante, "Sabbath", mais elle sera peu utilisée au cours de l'œuvre, et même elle est assez mélancolique. Chacune des autres ost est soit violente et/ou oppressante et/ou triste, soit faussement calme : des ost comme Sin, Song of Saya I et II, et Sunset, mélangent habilement des sons doux et gracieux à des sons inquiétants et distordus, ce qui fait que le malaise ne nous quitte jamais tout du long de l'œuvre, hormis lors de rares moments de répit (qui n'en sont même pas vraiment). Il y a toujours un mal qui rôde dans Saya no Uta.


Visuellement parlant, les backgrounds sont écœurants, les illustrations sont très belles, le chara-design possède une réelle personnalité.


L'écriture est aussi excellente, le style est fluide, cru et très expressif ("le visage n'était pas couvert de pus, de dépôts visqueux ou de tentacules ressemblant à des vers de terre") et nous sommes plongés avec succès dans la psychologie de chaque personnage, rendant l'identification très facile. Le rythme est parfait et je n'ai décelé aucune lenteur.


Chacun de ces éléments forment une alchimie presque parfaite pour nous faire apprécier l'œuvre, s'il n'y avait pas des coupures dont nous parlerons plus tard.


Porté par une forme presque parfaite donc, le scénario est une réussite totale, le pitch de départ étant lui-même original et donnant tout de suite un plus à l'œuvre. La construction de l'intrigue ne souffre pas de longueurs et je ne vois pas vraiment de plot-holes, tout est parfaitement huilé. Les personnages très bien construits, comme dit au début de la critique : c'est peut-être le point le plus fort du vn. On réussit à s'identifier à eux et à les comprendre très facilement, j'ai trouvé qu'on rentrait vraiment dans leur psyché, l'expérience est vraiment vécue de l'intérieur et de plusieurs points de vue : les pensées de Fuminori pendant qu'il fait face au monde extérieur, son glissement vers la folie et sa perte de morale progressifs, l'incompréhension des personnages face à Fuminori et leur changement de mentalité face à l'horreur.


Pour Kouji par exemple, on le suit depuis ses débuts et on comprend qu'il a une personnalité ferme, gentille et raisonnée, puis on le voit peut à peu se déséquilibrer et se laisser gagner par le désespoir et une colère-peur aveugle à mesure qu'il découvre des choses que son esprit ne pouvait pas accepter. Le Docteur Ryouko suit à peu près le même chemin que Kouji ; elle rejette ce dont elle a peur et son esprit humain ne supporte pas le choc que lui procure l'irrationnel.
Fuminori est torturé en permanence sauf en présence de Saya, et on l'observe balayer peu à peu son éthique apprise pour adopter une morale fondée uniquement sur ses émotions brutes : il est dégoûté par la forme que prennent les êtres humains, il va donc les considérer comme moins que des bêtes même en connaissant objectivement la sensibilité qui les habite ; il aime Saya et la voit comme seule chose belle du monde, il va donc appliquer une forme de morale instinctive sur elle (il la protège, ne veut pas la blesser, se préoccupe d'elle au contraire des autres), tout en s'étant débarrassé de sa morale apprise : il a une relation amoureuse et sexuelle avec Saya tout en pensant qu'elle est une enfant. Il n'écoute donc plus que ses sentiments/émotions et ses pulsions, comme une sorte de bête sauvage, mais dans une version sadique et consciente, ce qui fait peu à peu de lui un monstre.
Saya, elle, soulèvera des questionnements quant à sa nature et sa moralité tout au long du livre : qu'est-elle ? Peut-on appliquer une morale humaine sur elle ? Est-elle une enfant ? Que faire d'elle ? Pourrait-elle devenir plus humaine qu'elle ne l'est devenue, se détourner de son but complètement ? On éprouve souvent de l'empathie pour elle, puisque ses états d'âme sont sincères, avant de sombrer dans le dégoût face à ses actes, mais on peut se demander si elle est véritablement monstrueuse ou non, étant donné sa nature et sa situation.


Chacun des personnages de l'œuvre porte donc une personnalité très différente dont on nous décrira le basculement ; on teste la réaction de chacun face à la folie, et pas seulement avec les personnages principaux (l'épisode du voisin est une bonne illustration de ce thème).


Le seul bémol au niveau des personnages vient peut-être de certaines réactions, une en particulier qui casse un peu une scène poignante dont la puissance aurait pu être décuplée sans ça


(lorsque Kouji trouve le cadavre d'Oumi dans le congélateur de Fuminori… le dessin est littéralement écœurant, le souvenir d'Oumi et tout le contexte prêtent le lecteur à être choqué de la scène (j'ai trouvé personnellement que c'était la scène la plus marquante de tout le vn), mais la réaction de Kouji est beaucoup trop pauvre. Même en se doutant qu'il s'agit de son amante, il est à peine choqué, ce qui enlève du potentiel à la scène. Sa réaction peut néanmoins être expliqué par sa détermination du moment, je comprendrais donc qu'on la trouve cohérente.)


Finalement, un des plus gros défauts de l'œuvre vient pour moi des scènes de sexe : le vn est parsemé de scènes de sexe plutôt longues, et très perverses (pédophilie, """viol, esclavage sexuel etc"""). 5 min après avoir lancé Saya no Uta, après une introduction très bonne, on se retrouve face à une scène de sexe écrite de manière scandaleusement mauvaise, du lolicon en plus, qui dégoûte certes comme le vn est censé dégoûter, mais qui nous coupe du reste car pensée pour que le lecteur lolicon se branle dessus. Les autres scènes de sexe, pourtant justifiées scénaristiquement, ont toutes le même travers : c'est mal écrit, c'est ridicule, et c'est pensé pour stimuler le lecteur. L'horreur de ces scènes fait qu'elles réussissent à coller à l'œuvre malgré tout, mais j'ai trouvé qu'elles faisaient tâche de par leur forme. C'est peut-être normal et obligatoire dans un eroge, mais sans se soucier des catégories, je pense que ça nuit à l'œuvre, qui aurait été plus complète si elles étaient mieux écrites et construites (elles constituent une partie non négligeable de l'œuvre et on ne sait jamais quand elles vont arriver). Telles qu'elles sont, elles sont un grand poids pour l'œuvre.


Mais le reste est si excellent que le lecteur sait apprécier le vn malgré tout ; il est écœurant, beau, poétique, émouvant, effrayant, original et les différentes fins sont toutes émouvantes, en particulier les deux fins "longues", qui relèvent presque du génie. Saya no Uta soulève de véritables questionnements quant à la morale, la folie, les sentiments, l'âme, la perception que l'on a du monde, et on pourrait presque écrire un essai pour analyser toutes ces questions au sein de l'œuvre. Les fins nous laissent avec des questions dans la tête, une odeur de sang et un pincement au cœur, à la fois mélancolique et malsain.

CaptainAkiba
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le 1 juil. 2018

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