Shadow of Memories
7.1
Shadow of Memories

Jeu de KCET, KOE R&D, Junko Kawano et Konami (2001PlayStation 2)

Shadow of Memories m’avait toujours intrigué. Un jeu traitant à la fois de voyage temporel et d’alchimie, en tant que fan de Chrono Trigger, Back to the Future & Fullmetal Alchemist (respectivement meilleurs jeu vidéo, film et manga ever, et non, ça n’est évidemment pas négociable), avait en effet tout pour me séduire… Et puis avec un KCET au sommet de sa forme aux commandes (ISS Pro Evolution, Symphony of the Night, Silent Hill 2…), la (mal)chance de tomber sur une bouse était infime…


Il est assez difficile de définir précisément ce qu’est Shadow of Memories. Pour ma part, j’y vois un jeu d’enquête style proto-L.A. Noire, agrémenté de quelques mécaniques inspirées du point & click et saupoudré d’une forte composante narrative. Mais bon, je suppose que la plupart des gens se ne casseront pas la tête et le classeront comme étant un jeu d’aventure… L’intro nous lance directement dans le bain : on incarne Eike, en train de se balader tranquillou sans faire chier personne dans les ruelles du pittoresque village de Lebensbaum. Enfin tranquillou… On sent que quelque chose n’est pas net, comme si une présence nous observait en catimini. Et effectivement, tout à coup, paf ! ça fait des cho…ah non pardon, paf, une ombre se glisse subrepticement dans notre dos et nous poignarde mortellement ! On ne le sait pas encore, mais cette mort n’est que la première de toute une série…


À notre grande surprise, on se réveille finalement bien vivant dans une étrange pièce un brin bordélique, accueilli par un maître des lieux non moins curieux : se présentant sous le nom d’Homonculus, il nous propose son aide pour changer notre destin de futur cadavre, en nous confiant le Digipad, un appareil permettant de voyager dans le temps, et ce, sans aucune contrepartie en échange, tout au plus nous explique-t-il que ce marché sera à long terme bénéfique pour tout le monde… Bizarre, bizarre… On se retrouve alors de nouveau dans la rue, une demie heure avant de passer l’arme à gauche, à se demander comment empêcher la fatalité de s’accomplir…


On le sait tous, écrire un scénario avec le voyage temporel comme toile de fond, c’est souvent casse-gueule. J’ai beau adorer la trilogie de Zemeckis, je suis tout à fait conscient des petites incohérences qui font que la déchirure du continuum espace-temps tant redoutée par Doc aurait dû intervenir plusieurs fois…rien que dans le premier opus ! Dans Shadow of Memories en revanche, toutes les relations de cause à effet inter-temporelles tiennent plutôt bien. C’est d’autant plus remarquable qu’on alterne entre 4 époques différentes, dont les développeurs ont eu la brillante idée de bien distinguer en jouant sur les couleurs : de ce fait, plus on remonte dans le temps, plus les tons employés se ternissent, comme pour accentuer leur éloignement dans le passé. Les années 80 arborent ainsi des teintes très pâles, renforcées par l’épais manteau neigeux qui recouvre la ville. Le début du XXe siècle est pour sa part complètement noir et blanc, semblant singer l’industrie cinématographique de cette période. Quant au XVIe siècle, il affiche carrément un grain sépia similaire aux antédiluviennes photos de nos (arrières-)arrières-grands-parents…


Rentrons dans le vif du sujet. S'il y a bien un truc que l’on peut reprocher un truc à Shadow of the Memories, c’est sa relative linéarité. Ce qui est assez paradoxal sachant qu’on sera globalement amené à arpenter la ville très librement (excepté curieusement au tout début). Mais pour clore un chapitre, c’est à dire empêcher notre nouvelle mort pouvant prendre diverses formes (poignardement, défenestration, poison, renversé par une voiture…), s’il peut y avoir plusieurs cheminements subtilement variés selon quelque action réalisée dans le passé, selon certains pnj rencontrés ou selon certains choix de dialogues effectués, il y aura toujours une ligne directrice générale, ainsi qu’une seule et unique solution. Le chapitre 5 par exemple, celui où l’on crève lamentablement dans la rue victime d’un empoisonnement, consistera ainsi quoi qu’il arrive à découvrir quel type de poison nous a tué, quel remède fabriquer, et surtout où récupérer un certain ingrédient qui n’existe plus à notre époque…


Il est d’ailleurs possible de louper des pans entiers de scénario selon ces choix ; j’ai beau avoir eu la chance (ou le talent ? :p) de tomber sur la fin A dès ma première partie, la meilleure à mon sens (et probablement la canonique), celle avec la happy end de rigueur, dans laquelle toutes les questions trouvent leur réponse, chacun finit dans sa timeline respective et où les méchants ont tous eu le cul botté, j’ai découvert à ma grande stupéfaction tout un background lors de mes deuxième et troisième parties dont j’avais à peine effleuré la surface la première fois, notamment avec le dr. Wagner, avec l’ancêtre du réalisateur relou dont j’ai oublié le nom, ou encore dans une moindre mesure avec la petite Sybilla (le passage où on lui offre un chat)…


L’ambiance d'ailleurs, quelle que soit l’époque traversée, est vraiment une réussite, et à coup sûr le point fort du titre. Tout au plus peut-on regretter un certain vide dans les rues, qui auraient mérité de se garnir de quelques pnj supplémentaires avec lesquels taper la discut’, ou tout simplement des véhicules arpentant les voies. Mais les situations rencontrées sont à chaque fois pertinentes, les dialogues sonnent toujours très justes, et même les voix anglaises sont plutôt correctes pour l’époque. Et ça vaut mieux pour lui car, quand on y réfléchit posément, "on ne joue finalement pas beaucoup". Ah ça c’est sûr, on cavale souvent à droite à gauche à travers toute la ville et les époques (et notamment pour récupérer les "pastilles temporelles" qui rechargent la batterie du Digipad), mais on passe surtout régulièrement et inlassablement de cinématiques en cinématiques, dont certaines ne peuvent même pas être passées. Ceux qui n’aiment pas être un peu trop passifs devant leur écran (au hasard, les haters de Metal Gear), vous voilà donc prévenus…


Et malgré toutes les éloges que je lui ai faites, je me dois tout de même de confesser une certaine gêne qui m’a poursuivi tout au long de l’aventure, à propos d’une (très) grosse facilité scénaristique. Ça n’enlève évidemment rien aux réelles qualités évoquées tout au long de la prose, mais je tenais à le signaler car c’est à mon sens primordial : ce couillon de Eike ne cherche JAMAIS à découvrir directement l’identité de son assaillant ! C’est pourtant la première chose que je ferais si j’étais réellement à sa place dans cette boucle temporelle funeste, tant il me semble logique que connaître mon agresseur augmenterait drastiquement mes chances de survie. On dirait limite notre gouvernement adoré, toujours plus enclin à traiter les conséquences que les causes des problèmes… :D


Sans doute les développeurs avaient-ils peur du fameux et tant redouté paradoxe temporel ? Bah oui, en levant le voile sur ce mystère, c’est à dire en découvrant que (mini spoiler) l’assassin vient d’une autre époque que la nôtre, il suffirait de ne jamais remonter le temps, et donc de ne jamais le rencontrer, et donc il n’aurait jamais de ressentiment envers nous, et donc il ne voyagerait jamais jusqu’à notre présent pour nous trucider…alors qu’il l’a bel et bien fait ! Quand on vous dit qu’écrire sur le voyage temporel c’est super casse-gueule ! Et puis même sans aller jusqu’au paradoxe, en restant tout simplement logique, qu’est-ce qui nous empêche, une fois l’identité de notre bourreau découverte, d’aller éliminer le mal à la racine, avant même qu’il ne devienne notre futur bourreau, même si c’est pas super classe de buter quelqu’un qui techniquement n’a encore rien fait… Sauf que là, on serait privé de toutes les péripéties du jeu, que l’on finirait d’ailleurs hyper vite… Et pour être tout à fait complet, je n'ai toujours pas pigé pourquoi le tueur n'utilise à son tour le voyage temporel que pour chercher à nous buter, au lieu de profiter des avancées scientifiques de notre époque pour résoudre son problème originel... Bref, ce sont quelques petites coquilles qui font un peu tâche dans un océan de qualités scénaristiques...


Oh et l’alchimie dans tout ça ? Il m’est malheureusement impossible d’en dire ne serait-ce qu’un minimum, sachant qu’elle est au cœur de l’intrigue et fait le lien entre toutes les époques et leurs évènements. Mais si vous avez lu/vu FMA, vous connaissez déjà les grandes lignes (la pierre philosophale, la quête de la vie éternelle, la resurrection des morts, toussa…) que Shadow of Memories étend en lui imputant encore plus de possibilités… Mais pour les découvrir, il faudra jouer au jeu par vous-même (ou mater un let’s play, je suppose que ça marche aussi :p)…

Wyzargo
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le 11 mai 2018

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