Shin Megami Tensei II
8.3
Shin Megami Tensei II

Jeu de Atlus (1994Super Nintendo)

[Spoilers] D'abord l'abnégation, ensuite la transcendance.

Cette critique s’adresse principalement à ceux qui envisagent de se lancer dans SMT II.


Si vous n’êtes pas familier avec SMT, cet opus n’est pas le bon point de départ pour vous mais je vais tout de même "succinctement" résumer le principe de la série :
Les SMT sont des rpg japonais atypiques dans lesquels le personnage que vous incarnez erre dans un monde post-apocalyptique et a la faculté de passer des pactes avec les « démons » qu’il croise.
Même si le jeu emploie le terme démon, il s’agit en fait de diverses figures mythologiques. Vous pouvez ainsi croiser le cerbère, Horus, Loki, Lucifer et bien d’autres.
Au lieu de combattre ces entités, vous pouvez donc les convaincre de rejoindre votre cause au cours d’une phase de négociation. Si vous y parvenez, ces démons pourront combattre dans votre équipe et pourront même être fusionnés en d’autres démons.
On peut voir dans ce concept, l’ancêtre de Pokémon. Mais alors un pokémon en plus trash, beaucoup plus trash. L’univers des Shin Megami est sans commune mesure avec ceux relativement gentillets de FF et DQ : le monde dans lequel vous évoluez est soit en ruine, soit une société totalitaire.
Les personnages importants que vous croiserez ne sont absolument pas sains d’esprits et les rares amis que votre personnage se fera n’hésiteront pas à le trahir au nom de leurs idéaux extrémistes. Vous n’aurez donc pas à entendre ces exaspérants discours de shonen sur la force de l’amitié ou de l’amour dans un SMT classique.


Une des caractéristiques principales des SMT est que l’on peut forger la destinée de notre avatar et du monde dans lequel il évolue. En effet, la dernière partie du jeu sera différente selon votre choix. Vous pouvez par exemple vous alliez avec des anges bibliques afin de faire régner l’ordre et la loi sur le monde, au risque de créer une nouvelle société totalitaire, tout comme vous pouvez embrasser le chaos et libérer les hommes de l’emprise des sociétés et de ses normes au risque de provoquer l’anarchie.
Bon, c'est simplifié, mais l'idée est là.


Si vous voulez en savoir plus, je vous renvois sur une recherche google qui vous mènera sans doute à de bons dossiers sur le sujet. Celui de jeuxvidéo.com n’est pas trop mauvais mais si vous êtes anglophone, il y’a moyen de trouver bien mieux.


Bon, Shin Megami Tensei II !


Après quelques minutes de jeu, il est déjà évident que cet opus n’est pas aussi accessible et bien conservé qu’un FF de la même époque. Il ne faut pas s’attendre à des graphismes chatoyants ou même acceptables ou a un gameplay agréable et une interface léchée. Non, non, SMT II est un de ces nombreux jeux retro qui va très rapidement rebuter les moins persévérants.


Si des épisodes plus avancés de la saga Shin Megami comme Nocturne, SMT IV, Devil Survivor, Soul Hackers ou Digital Devil Saga ont trouvés écho en vous, c’est qu’il y’a néanmoins une forte chance pour que vous puissiez apprécier SMT II à sa juste valeur et ce serait fort dommage de ne pas tenter l’aventure.


Si vous avez uniquement fait Persona 3 et/ou 4, il faut savoir que ces derniers sont bien différents des SMT « classiques » et il est tout a fait possible d’adorer ces Persona et de détester les autres SMT. Les deux séries n’ont pas grand chose en commun, au point où les fans des SMT classiques et ceux de Persona ont pris l’habitude de se mépriser mutuellement.

Persona 3/4, c’est un bon comme un bon ami qui vous caresse dans le sens du poil et avec qui tout est simple et ludique alors qu’un SMT traditionnel cherche à nous violenter, nous mettre sous pression et accessoirement nous faire réfléchir. (Non, je vous jure, j’aime quand même ces Persona)


Revenons à nos moutons. SMT II est donc techniquement daté et utilise une horrible vue labyrinthique à la première personne et avec un déplacement case par case hérité des anciens jeux de rôle américains sur ordinateur. Etrian Odyssey sur DS a le mérite de rendre cette vue presque agréable alors que dans SMT, elle est juste à s’arracher les cheveux.
Vous allez vous cogner dans des murs, souvent, très souvent et si comme moi, vous êtes une bille en sens de l’orientation, vous allez vous perdre régulièrement. Vous n’avez pas comme dans Etrian ou Strange Journey la carte constamment sous vos yeux, vous devez l’afficher manuellement, ce qui rend la progression encore plus difficile. Surtout, que dans un donjon, tout se ressemble.


Et oui, SMT II est globalement moche et les textures de décors sont très souvent les même. Il va sans doute vous falloir quelques minutes avant de comprendre que cet étrange hangar dans lequel vous arrivez au début du jeu est en fait une ville et que cet autre hangar est un donjon. A vous de faire marcher votre imagination !
Rassurez-vous, les graphismes en combat sont un peu plus honnêtes.


Venons-en à un autre point qui fâche : L’équilibrage du jeu. Nous sommes à une époque où la notion même d’équilibrage dans un rpg est perçue comme complètement secondaire. Ici, j’ai vraiment l’impression que les développeurs n’en avaient rien à faire de tester la difficulté de leur jeu (il paraît que dans SMT I, c’est pire).
Un exemple : Les magies de feu et de force que vous utiliserez. Ces magies infligent juste des dégâts ridicules et après le début du jeu, il n’y aucun intérêt à les utiliser tant les dégâts physiques sont plus importants. Les magies de foudre et de glace sont par contre utiles malgré leurs dégâts minimes car elles peuvent paralyser votre adversaire…si vous avez de la chance.

Un autre exemple ? Les combats vont vous sembler vraiment difficile si vous n’avez pas la chance de looter la bonne arme ou en gagner une dans le mini-jeu du casino. Alors, que si vous avez un peu de chance, vous allez écraser sans soucis tout ce qui barre votre chemin pendant une dizaine d’heures de jeu.
Bon, en étant gentil, je peux admettre qu’on a du voir pire et que lors de certains rares passages, la difficulté semble étrangement pas trop mal dosée.


Le Press Turn ayant été inventé pour Nocturne, les combats sont presques aussi classiques que ceux d’un autre rpg japonais au tour par tour. La seule différence majeure est qu’il est possible d’invoquer ou de désinvoquer les démons pour prêter main forte à notre personnage.


Comme tout bon jeu old school, vous allez rencontrer beaucoup de monstres, tout les quelques pas. Heureusement, sur émulateur, il est possible d’accélérer la vitesse du jeu et de rendre le tout plus supportable. Mais il y’a une chose qui même en accéléré m’a semblé insupportable : Ce sont les lonnngs allers-retours que l’on doit faire tout au long du jeu.
Il vous faudra à certains moments refaire quasiment toute la map du jeu pour trouver un objet et revenir à votre point de départ pour rendre cet objet. Tout cela en vous mangeant une bonne dizaines de fois les murs si vous n’êtes toujours pas à l’aise avec cette fichue vue à la première personne et en déclenchant un nombre incalculable de rencontres aléatoires dont vous n’avez rien à faire sur le moment. Parfois, les téleporteurs vous aideront mais ces derniers ne sont pas tous connectés entre eux.


Bien sûr, le jeu vous donne souvent très peu voir aucune indication sur la marche à suivre après avoir quitté tel donjon ou accompli telle quête. Il va falloir tomber par hasard sur un PNJ obscur très loin de votre emplacement actuel pour qu’on daigne vous donner un indice sur la suite de votre aventure. (Je pense en particulier à la quête des piliers).
Qu’à cela ne tienne, grâce à internet, vous pouvez vous armer d’un bon walktrough. Je suppose qu’i est possible de terminer le jeu sans en prenant votre temps et en étant prêt à perdre une dizaine d’heures afin de trouver où il faut se rendre pour déclencher tel événement mais je n’ai pas poussé le masochisme aussi loin.


Arrivé à ce point de la critique, il me semble que je n’ai fais que me plaindre de cet opus.
Je vais passer les autres rigidités du jeu (magnétite, menu) qui ne sont pas si terribles une fois le jeu pris en main et en venir à ce qui rend ce jeu si grandiose.
Pour surmonter une façade aussi laide et tout de même se hisser au panthéon des meilleurs RPG de tout les temps, il fallait bien que notre vilain petit canard fasse preuve de très grandes qualités.
Je pourrais dire que nous sommes en présence du SMT par excellence et m’en tenir là avec ceux qui me comprendront mais je vais tenter de préciser ma pensée.


SMT II c’est avant tout une ambiance et quelle ambiance. Oui, c’est moche mais on finit par passer au-delà de ces décors aussi laids pour se retrouver imprégné de l’univers, complètement transporté dans cet univers post-apocalyptique. Preuve qu’il n’est toujours pas besoin de beaux pixels dans un jeu vidéo pour ressentir une immersion.
Après un début difficile, la magie finit par opérer et on se sent happé, investi dans cet univers. Je ne suis même pas certain qu’on puisse y trouver des arguments raisonnées, on le ressent. C’est aussi simple que cela.
On finit par trouver un grand charme à ces villes qui nous apparaissaient d’abord juste comme des hangars grisâtres. Tout cet univers, toutes ces conversations prennent vie dans notre esprit.

Oui, Nocturne et Strange Journey ont également une sacré ambiance mais SMT II, l’aîné fait tout cela encore mieux avec nettement moins de moyens. Peut être est-ce en partie grâce à la musique, peut être à la crédibilité de ce qui nous est présenté, peut être grâce à la force de ce scénario épique.


Les dessins de démons de Kazuma Kaneko sont particulièrement adaptés à la pixellisation 16 bit. Je dois avouer que je les trouvais un peu hors de contexte dans SMT IV mais ici, ils resplendissent.
Il y’a une identité forte, des détails marquants sur chacun de ces démons qui rendent hommage à leur origine mythologique. Nous sommes loin du design aseptisée de la majorité des jeux de notre ère et cela participe à la force de SMT.
Ces entités sont bien souvent fidèles à leurs modèles mythologiques. Puck (Peter Pan) aime jeter des sorts et rire de ses victimes. Mara, nous tentera comme il a tenté Boudha.


Les dialogues faisant avancer l’histoire ne sont pas nombreux mais sont souvent percutants. Sous nos yeux se déplie une fresque épique et le portrait net et précis d’hommes, d’anges et de créatures démoniaques qui luttent ardemment pour leurs convictions.
De simple gladiateur, notre personnage devra endosser le rôle de messie manipulé par une dictature avant de prendre pleinement part à la guerre entre Lucifer et le dieu judeo-chretien.
Je me suis retrouvé plus investi dans cette histoire que dans celle de n’importe quel jeu vidéo qui n’est pas un SMT, au point de ne plus seulement en être un spectateur.
Je faisais parti de cet univers post-apocalyptique, je partageais le doute et l’angoisse de ses occupants, je me sentais tour à tour élu et abandonné des dieux, je luttais contre les forces mythologiques qui se déchainaient sur mon parcours et bientôt, j’atteignais le créateur.


Ce n’est pas juste une timide analogie au dieu judeo-chretien qui est faite dans SMT II comme beaucoup de jeux de rôle japonais ont pu le faire. Autant dire que le portrait que brosse SMT de ce dieu unique est loin d’être flatteur. Ici, YHVH fait partie de l’intrigue du jeu et on peut littéralement le combattre à la fin du jeu. Son discours avant ce combat final est d’ailleurs particulièrement marquant. Ceci dit, difficile d’espérer voir le jeu arriver officiellement dans notre contrées du coup.
C’est ce que j’aime avec SMT et celui-ci en particulier, il n’y a pas de tabou. On ne tente pas d’être consensuel et de plaire au plus grand nombre, non, on s’adresse a un public plus réduit et assez mature pour ne pas mal interpréter le contenu.


Un bon nombre de thèmes philosophiques et de pistes de réflexions sont proposées au cours du jeu. Aussi extrêmes que soient certains personnages, leurs idéaux ont tous une certaine valeur et on nous demandera de trancher en faveur ou défaveur de certains d’entre eux.
Allez-vous laisser des hommes vivre dans un illusion agréable ou les ramener de force à une cruelle réalité que personne ne désire ? Une société dans laquelle l’ordre et la sécurité sont omniprésentes est-elle si souhaitable ?
Tout ceci est présenté en jeu fort simplement. On ne nous assène pas de dissertation, on nous montre juste des situations, des hommes et leurs convictions. On ne nous fait pas non plus l’offense de désigner un bon ou mauvais choix à notre place.


Si vous avez déjà joué à Nocturne, SMT IV, voir Strange Journey, ce que je décris ne vous semble peut être pas totalement étranger.
Les défauts que l’on retrouve dans un SMT – et il ne faut pas se mentir, il y’en a pas mal- sont ici encore plus exaspérants et rebutants pour le nouveau venu, à un stade où n’importe quel joueur sain d’esprit aura envie de renoncer dans les premières heures de jeu.
Cependant, l’ambiance et l’immersion que provoque SMT II transcende ses successeurs. Sur ce point, nous sommes en face du SMT par excellence.

Chutereve
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le 10 févr. 2014

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