Silent Hill 4: The Room
6.9
Silent Hill 4: The Room

Jeu de KCET, Team Silent et Konami (2004PlayStation 2)

La saga Silent Hill comprendra 3 jeux sur toute la sixième génération de console et parmi eux le moins réputé est sans conteste Silent Hill 4 The Room, dernier sorti de cette gen, dirigé par Suguru Murakoshi qui avait alors notamment travaillé sur les cinématiques de l’illustrissime Silent Hill 2. Ça sera d’ailleurs le dernier jeu de la saga développé par la Team Silent qui était à son origine et qui sera dissoute par la suite. Rétrospectivement, c’est dommage qu’ils soient sortis de la scène vidéoludique sur une note mitigée mais ça ne veut certainement pas dire que j’y trouverai forcément une mauvaise expérience et c’est pour le découvrir que je me suis lancé dans l’aventure. La critique étant longue, je vous recommande le magnifique thème chanté Room of Angel pendant la lecture.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆



La cinématique d’introduction mêle déjà les grandes forces esthétiques du titre, entre démence et mélancolie, en ayant même la démarche originale de mêler séquences de jeu en temps réel, extraits de cinématiques et angles de caméra improbables dans les environnements du jeu. J’ai été choqué par les choix radicaux qu’ils ont pu prendre pour cette intro dérangeante au possible et si ça peut être hors-sujet dans bien des contextes, ça ne l’est absolument pas dans le genre de l’horreur. Ça l’est encore moins pour ce jeu qui réussit l’exploit d’aller peut-être encore plus loin dans l’aspect cauchemardesque du design de ses créatures monstrueuses, alors que la série a toujours été sans gêne sur la question.


Si le titre n’était pas immédiatement prévu pour faire partie de la saga principale, apparemment même pas de la saga selon certaines sources d’information, il s’inscrit complètement dans les intentions artistiques traditionnelles de Silent Hill. Il y aussi des idées visuelles parfaitement inédites consistant en l’utilisation de filtres graphiques très prononcés (rayures, grain…) et de certains effets de montage (saccades, vitesse accélérée ou ralentie…) pour rendre l’image très peu lisible et dérangeante, l’image étant déjà souvent dérangeante en elle-même, ça renforce ce sentiment très approprié pour un Survival-Horror.


Les angles de caméra sont toujours aussi travaillés pour une mise en scène en temps réel particulièrement bien élaborée avec notamment ces positions en biais pour lequel un tournant est suivi par un mouvement qui bascule le point de vue sans quitter cette position de biais et sans que ça ne pose de problème de lisibilité. C’est assez difficile à décrire mais en jeu ça procure des sensations assez particulières et adéquates à l’ambiance sans s’accompagner de problèmes, et c’est ce que je retiens. Bien qu’on retrouvait ces qualités-là dès le premier épisode de la saga, ça fait toujours plaisir de les retrouver ici.


Mais surtout, Silent Hill 4 est le premier jeu de la saga à ne jamais modéliser Silent Hill en elle-même, tous les environnements y sont séparés, bien que le jeu n’oublie pas son titre et n’hésitera pas à puiser a minima son inspiration dans chacun des épisodes de la saga (hôpital, forêt, métro...) en y apportant ses petites touches ici et là. Pour moi, l’identité visuelle de Silent Hill ne se résume pas à la ville, bien qu’elle en soit les premiers fondements, qu’un épisode, même principal, s’autorise à en sortir ne constitue pas un problème, mais ça ne sera peut-être pas votre cas, ce que je comprendrai tout à fait.


Sur le plan technique, Silent Hill 4 profite d’une réalisation solide pour son temps et son support, sans aller jusqu’à en repousser les limites, il y fait très bien honneur. Le jeu sait garder en mémoire très longtemps l’emplacement des cadavres de nos ennemis et comme même dans la mort ils pourront continuer d’impacter le jeu, ce n’est pas rien. La qualité d’animation est assez impressionnante sur les ennemis, les humains blessés traînant la patte… Bref, nous sommes au niveau technique auquel je pouvais attendre le jeu même si dans l’ensemble Silent Hill 3 m’aura plus marqué sur ce point de par l’évolution avec son prédécesseur.


Le sound-design est encore une fois très oppressant, même si parfois le malaisant va un peu trop loin, comme le bruit de rot des infirmières, là franchement c’est du mauvais goût, mais on qualifiera ça d’accident. Les musiques, toujours composées par Akira Yamaoka, comptent toujours quelques thèmes chantés absolument splendides, mention spéciale au thème principal dont je vous ai proposé l’écoute en introduction de cette critique. C’est dans les hauts standards de qualité de la saga et ce n’est en aucune façon sur la réalisation ou l’esthétisme que j’ai pu être déçu à quelques niveau que ce soit.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆



Le jeu est né de l’idée principale de son scénario, un homme piégé dans son appartement devenu cauchemar et portail vers des lieux encore plus cauchemardesques. C’est une idée à laquelle j’adhère, encore faut-il bien sûr que tout ça prenne corps et sens pour surprendre, émouvoir… comme ont pu le réussir notamment deux de ses prédécesseurs à mes yeux. Ça réussit plutôt bien le travail en exploitant le concept jusqu’au bout avec des événements dans l’appartement et dans les mondes cauchemardesques qui peuvent être liés ou à lier par le joueur avec subtilité et pertinence.


On retrouve donc déjà ce parti pris, qu’avait un peu abandonné le troisième épisode, laissant un rôle premier à l’interprétation du joueur des événements cryptiques auquel il peut, ou non, assister. Beaucoup de passages de l’appartement peuvent être très facilement esquivés pour le joueur impatient ou inattentif, et c’est très bien comme ça. C’est aussi ce qui fait la force et la singularité de cette narration qui a toujours trouvé ses réfractaires, ça ne m’empêche pas de l’apprécier et je suis même content que cette voie soir reprise avec cet épisode qui n’a pas cédé à la tentation d’une narration plus classique et générique.


On retrouve encore une fois un soin du détail très poussé dans la signification scénaristique de certains designs, animations… Par exemple , des personnages humains meurent dans le jeu et reviennent en tant que fantôme ennemi, leur design, leurs animations, leurs attaques... seront inspirés par la manière dont ils ont été tués et nous rappelleront ces moments potentiellement forts en émotion. Il est aussi assez appréciable que les conditions nécessaires pour avoir une bonne fin, puisqu’il y a 4 fins possibles, font aussi sens scénaristiquement, même si ça ne sera pas aussi poussé que pour Silent Hill 2 qui battait un record en la matière.


Mais il y a un problème central et personnel majeur à tout ça, le protagoniste est très effacé et presque spectateur du récit, pour que l’on s’identifie facilement à lui sans doute. J’avoue que ça n’est pas ce que je préfère, j’aurais préféré incarner un personnage plus impliqué dans le récit, comme Eileen par exemple. Les révélations sur la signification des environnements parcourus, des ennemis affrontés… m’auraient peut-être plus impacté et ému si je les avais vécu aux commandes de ce personnage auquel il manque peu pour partager un vrai lien avec l’antagoniste principal et les versions cauchemardesques des environnements.


De plus, Eileen aurait pu commenter chacun des personnages futurs victimes de Walter Sullivan, reprocher à Cynthia de se conduire comme une traînée, à Andrew d’être excessivement antipathique… On aurait pu imaginer une suggestion comme quoi Eileen serait peut-être responsable de leur mort parce que peut-être que ce monde cauchemardesque est généré par son subconscient, il y avait une vrai carte à jouer avec elle et je trouve dommage qu’elle ne soit pas abattue pour développer un personnage aussi insipide qu’Henry. Comme il est chantée dans Room of Angel : I don’t feel enough for you to cry.


Ce problème très personnel mis à part, la narration est subtile et élaborée pour un scénario mature et profond, j’en ressort donc relativement convaincu et si je m’étais davantage investi dans l’intrigue à travers son protagoniste, j’irais même jusqu’à dire qu’il y avait le potentiel de se rapprocher du prodigieux scénario de Silent Hill 2. Mais ce n’est pas le cas et ce n’est pas très grave non plus, voyons désormais ce que j’ai pu penser de la dimension ludique du titre à proprement parler alors que Silent Hill 3 avait pour lui un gameplay très abouti, plaçant la barre haut pour cet épisode.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★☆☆☆



Silent Hill 4 est peut-être le premier Silent Hill à s’éloigner du système de jeu hérité du premier épisode. Tout d’abord, on a des phases en première personne, qui souffrent par ailleurs d’une certaine incohérence pour sa perspective qui fait qu’on peut penser ne pas pouvoir passer par un endroit où on le peut, et inversement. Au moins le concept est original pour l’époque, même un peu avant-gardiste tant le survival-horror entièrement avec cette vue pourra percer sur le génération suivante. Ensuite, on a les phases plus traditionnelles avec la caméra reculée et qui constituent le cœur du jeu et surtout de ses combats.


Ces affrontements ont d’ailleurs été repensés différemment, les combats au corps-à-corps sont plus poussés que jamais avec un nouveau système d’esquive et d’endurance, on peut presque faire tout le jeu sans recourir aux armes à feu rares et peu utiles tout compte fait. Ce n’est pas un mal en ce qui me concerne, ça peut même être une belle innovation en ce sens que ça rend les combats un peu plus impactant en terme de ressenti, on est forcément plus proche du danger... Il est à noter également que c’est le premier épisode qui abandonne les tank controls et je n’ai pas senti personnellement que ça s’accordait mal avec la caméra, contrairement à certains, la commande pour replacer la caméra derrière le protagoniste fonctionnant très bien si besoin.


Si c’est le premier épisode qui perd les objets iconiques de la lampe torche et de la radio, le sound-design ultra efficace fait appel à des ressorts très proches de l’utilisation de cette radio et quelques phases avec une torche enflammée se substitueront à ces mécaniques, donc je n’ai pas trop ressenti de régression là-dessus. Les énigmes ont quant à elles été mises au second plan et il n’y a pas de choix de difficulté qui leur dédié, alors que pourtant elles sont bien impactées par le choix de la difficulté, là par contre c’est une bête régression à mon sens.


Toujours concernant le maniement, on va aussi avoir pas mal de phases de coop avec un bot allié et il aurait été agréable de pouvoir donner au moins un ordre, par exemple « suis-moi », à notre camarade de fortune. Certes, elle va avoir une utilité en combattant les ennemis en étant ni trop forte ni pas assez, mais son comportement agressif peut s’avérer handicapant quand on veut juste fuir, notamment des ennemis qui de toute façon sont invincibles. Ça donne quelques phases frustrantes qui auraient pu être facilement évitées, mais par rapport à d’autres phases d’escort d’autres jeux, on s’en tire pas si mal.


Plutôt que de parcourir une succession de niveaux assez longs, ils sont ici plutôt courts pour finalement être reparcourus dans une seconde version. C’est un choix qui a été souvent critiqué mais que j’ai personnellement apprécié, je trouve que le rythme en sort meilleur et la variation au second passage est réelle et pertinente dans la plupart des cas, d’autant que le level-design de base est assez bien élaboré avec une idée centrale à chaque niveau. La répartition des portails vers le lieu de repos et sauvegarde est assez généreuse mais comme le nombre de sauvegardes est sanctionné par le score et que la deuxième partie du jeu va recréer de la difficulté en impactant le repos possible, ça ne rend pas du tout le jeu trop facile.


Par contre, si la saga avait eu jusque-là le bon goût d’éviter la contrainte de l’inventaire limité et sa malle vers laquelle il faut faire des allers-retours aussi redondants qu’inutiles, cet épisode y a par contre cédé, avec en bonus la confusion entre objets clefs, armes et consommables, l’impossibilité de déposer un item sur le sol... C’est dommage mais pas suffisamment contraignant sur l’ensemble de l’expérience de jeu pour poser un sérieux problème, d’autant que c’est aussi l’occasion de le voir pour la première fois à gérer en jeu et dans un menu de pause, un choix plus immersif. Par contre, il est assez curieux que le jeu soit littéralement coupé en deux avec une deuxième partie où la mécanique devient beaucoup plus importante, et donc frustrante, que dans la première.



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



Silent Hill 4 The Room est un survival-horror à la fois authentique et original pour sa saga en proposant une aventure avec un réel potentiel horrifique et émouvant tout en revoyant profondément son game-design et ses personnages. Je n’adhère pas parfaitement à tous ces choix, notamment au protagoniste très en retrait du récit et à l’inventaire très limité, mais ça n’enlève rien à ses nombreuses autres qualités, notamment son ambiance horrifique absolument splendide, peut-être bien le plus important critère de qualité en l’occurrence. Ce n’est pas un Silent Hill de trop ou trahissant l’état d’esprit de la série, c’est un Silent Hill qui a tenté de nouvelles mécaniques, avec plus ou moins de succès, mais sans jamais perdre de vue l’essentiel.

damon8671
7
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le 28 nov. 2019

Critique lue 278 fois

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damon8671

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