Le sentiment qui prédominait était le même : la confusion. Qu'est-ce que c'était que ça ? Une même incapacité à appréhender ce à quoi je venais d'assister, et surtout à décider si je l'aimais ou non.


La première fois devait être en 2007, ou 2008, je ne me rappelle plus précisément. La seconde, dix ans plus tard, en décembre 2017.


Y aura-t-il une troisième fois en 2027 ? Et surtout, aurais-je d'ici là digéré la deuxième fois comme je l'ai fait de la première ? Pas sûr… car ce n'est pas qu'une question de temps. J'ai bien réfléchi à l'une comme à l'autre, pour une conclusion différente selon chacun des cas.


Mais je vais trop vite en besogne. La première fois dont je parle, c'était alors je venais de finir le jeu PC Star Wars Knights of the Old Republic II : The Sith Lords. La deuxième, c'est lorsque je suis sorti du cinéma où je venais de voir Star Wars Épisode VIII : Les Derniers Jedi.


De fait, ceci n'est pas une vraie critique du jeu KOTOR2 en tant que tel. Je ne parlerai pas du tout de son gameplay, de ses graphiques, etc. Il s'agit avant tout d’une étude essentiellement comparative entre ce que je considère comme les deux médiums SW ayant été le plus loin dans leur tentative de redéfinition de l'essence et de l'identité mêmes de la saga depuis la fin de la première trilogie de films de George Lucas en 1983.


Avant toute chose, un bref état des lieux : objectivement parlant, je pense qu'il est juste de décrire KOTOR2 comme la suite prématurée et controversée d'un jeu extrêmement populaire. Prématurée, car les créateurs se virent contraints de le terminer avant Noël, pour des raisons commerciales. Controversée, car si pour cette raison KOTOR2 s'en est allé longtemps rejoindre le purgatoire des jeux inachevés et couverts de bugs, il est notable qu'au gré des ans et d’un patch de reconstruction, il semble avoir gagné une solide réputation de chef-d’œuvre mésestimé.


Ce qui est certain cependant, c'est qu'en termes de controverse, Les Derniers Jedi ne joue résolument pas dans la même cour. Non seulement la nature délibérément provocatrice du scénario et de la mise en scène sema très vite la discorde parmi les légions de fans, mais les insultes et menaces subies par divers membres du casting, les propos désobligeants du réalisateur et de la productrice, et d'une manière générale le nombre incessant de polémiques sur la gestion de la vénérable franchise par son acheteur Disney, ont mis de l'huile sur un feu qui n'a pas encore fini de brûler au sein d'une communauté déboussolée.


À quelques mois de la sortie en salles de l’Épisode IX, L'Ascension de Skywalker, et à l’occasion de ma 150ème critique, je souhaite me pencher sur les deux volets qui auront contribué le plus, pour le meilleur et pour le pire, à changer ma vision et mon approche de cette saga si chère à mon cœur. J'essaierai d'être le plus impartial possible, mais vous l'aurez probablement déjà compris, ma préférence va nettement à l'un plus qu'à l'autre.


KOTOR2 comme Les Derniers Jedi ont la particularité d’être dominés par une figure centrale qui n'est pas le héros à proprement parler : dans un cas il s'agit du personnage de Kreia/Darth Traya, de l'autre de celui du maître jedi Luke Skywalker. Tous deux ont en commun, sur leurs vieux jours, d'être passablement désabusés par l'état de la galaxie et surtout le degré d'implication de l'Ordre qu'ils représentent ou ont représenté, censé apporter la paix et la justice mais incapables de stopper le cycle infernales des guerres ayant tué des milliards d'innocents et plusieurs fois anéantis leurs fondations mêmes. En d'autres termes, par l'entremise de ces deux personnages, le jeu comme le film posent la question : qu'est-ce qui fait Star Wars ? Pourquoi y-a-t-il la guerre dans les étoiles ?


Dans un cas comme dans l'autre, on a donc un point de départ plus introspectif, presque philosophique, où la guerre semble une fin en soi plutôt que le moyen pour tel ou tel personnage/entité de rétablir la démocratie ou de la balayer. Sauf que le traitement diffère très rapidement.


D'un côté, on a Luke, qui a choisi de s'exiler aux confins de l'univers, lorsque la jeune Rey vient le chercher pour le convaincre de l'aider dans sa lutte contre le maléfique Premier Ordre. De l'autre, Kreia a été déchue par ses pairs, et lorsque son chemin croise celui d'un(e) autre éxilé(e) dans des circonstances nébuleuses, elle compte bien en faire la pièce maîtresse de son grand jeu visant à revenir sur le devant de la scène pour changer les règles à jamais.


Cet élément scénaristique est important car d'emblée, il établit que l'une de ces personnages a un plan ; qu'elle est résolument active, même lorsqu'elle semble en retrait, tandis que l'autre… veut simplement qu'on lui foute la paix. C'est une énorme négligence de la part de Rian Johnson : Luke erre sans but sur une planète reculée, là où l'exil tout aussi volontaire d'Obi-Wan et Yoda faisait partie d'un plan beaucoup plus vaste : il n'était que temporaire, il s'agissait de se faire oublier de l'Empire le temps de trouver un meilleur moyen de l'abattre.


Luke a cependant ses raisons d'agir de la sorte : « les jedi sont romanticisés, déifiés. Si on balaie les mythes pour se concentrer sur leurs actions, leur héritage est l’échec. L’hypocrisie. L’orgueil. À l’apogée de leur pouvoir, ils ont laissé Dark Sidious croître, créer son empire et les éradiquer. C’est un maître jedi qui est responsable de la formation et de la création de Dark Vador. » Et comment lui donner tort ? La Prélogie a ses problèmes, mais les errements des jedi y sont illustrés de manière magistrale, culminant avec la tentative d’arrestation du Chancelier par Mace Windu dans La Revanche des Sith. Leur absurde politique de chasteté aura fait le reste, convaincant le père de Luke de les trahir pour sauver sa mère. Le roman Point de Rupture et le comics Les Meilleurs Lames vont encore plus loin en montrant qu’avant d’échouer à protéger la République, les jedi n’avaient pas réussi à conquérir les cœurs : dans le premier, un adolescent préfère prendre Jango Fett que Mace Windu comme modèle, tandis que dans le deuxième, un sénateur exténué demande leur retrait des affaires militaires.


Sauf que ce que Luke omet, c’est que l’absence des jedi ouvre automatiquement la porte aux sith, qui ne proviennent pas automatiquement du rebut de son ordre. Mais même pour les partisans d’un certain autoritarisme, force est de constater que les sith ne sont pas davantage viables : obnubilés par la puissance accumulée, ils ne recherchent le pouvoir que pour le pouvoir, et ne cessent de se trahir entre eux. Voilà pourquoi il y a un « s » à la fin de Star Wars : guerre des jedi contre les sith, des jedi contre les jedi, des sith contre les sith… le cycle est sans fin. Vador se trompe lorsqu’il dit : « la boucle est maintenant bouclée ». Elle ne l’est jamais vraiment.


« L’apathie, c’est la mort », prononcent Kreia et tous les compagnons de l’Éxilé(e) dans une des séquences les plus mémorables – et terrifiantes – du jeu. Plutôt que de fuir, la frêle vieillarde va prendre le bantha par les cornes. Loin de tout credo (« croire en un idéal, c’est déjà être prêt à le trahir »), ce qu’elle encourage l’Exilé(e), et donc le joueur, à faire, c’est de suivre de suivre non seulement son instinct, mais surtout son bon sens. « Je ne veux pas faire de vous un chevalier jedi. Je vous que vous appreniez à être humain(e) ». Aussi machiavélienne que machiavélique, elle nous encourage à faire appel à la fameuse virtù, l’esprit qui selon le philosophe florentin, était la qualité essentielle d’un leader capable de se faire aimer.


À aucun moment de KOTOR2 cette attitude ambivalente de Kreia n’est-elle aussi brillamment mise en valeur que lors de la célèbre séquence qui voit un mendiant demander de l’argent au joueur, lequel a le choix entre répondre favorablement à sa requête, ou le chasser en le menaçant de mort. Quelque soit l’option choisie, Kreia se montre agacée : « Lui donner ce qu’il n’a rien fait pour mériter revient à lui mettre du sable dans les mains. Et si en survivant un jour de plus, il engendrait un encore plus grand malheur ? Le geste le plus infime, la pulsion la plus faible, ont des répercussions qui se font ressentir tout au long de la vie. Un acte de bonté peut avoir des conséquences plus graves qu’on ne le pense… ou ne le voit. En lui accordant ce qu’il ne mérite pas, peut-être n’avez-vous réussi qu’à faire de lui une cible ». Mais faire preuve de brutalité gratuite est tout aussi potentiellement néfaste : « la cruauté engendre la souffrance. Et lorsque l’on souffre, il est naturel de vouloir partager cette souffrance ». En fait, Kreia ne désapprouve ni l’une ni l’autre action : elle pousse simplement le joueur à réfléchir en fonction des circonstances, et non à suivre un credo ou un autre, que ce soit la charité aveugle des jedi ou l’extrême brutalité des sith.


Cette scène, voyez-vous, est aussi dans Les Derniers Jedi. A été. Aurait dû être. Dans une séquence coupée au montage final, une lueur apparaît dans la nuit d’Ach-to. À Rey qui s’en étonne, Luke répond froidement qu’il s’agit de pirates venus rançonner les autochtones sans défense. Rey veut intervenir mais Luke essaie de l’en dissuader, arguant que même si elle les chasse, d’autres viendront et causeront encore plus de dégât. Rey n’en fait qu’à sa tête, court sabre laser au poing vers le village… pour se rendre compte qu’il ne s’agit que d’une petite fête locale.


Mais de bien des façons, cette scène symbolise tout ce qui cloche avec le film, et Star Wars version Disney d’une manière générale : elle n’est pas foncièrement ratée en soi, elle est bien jouée, bien filmée et se termine sur un bon gag… mais c’est tout. En se terminant de la sorte, une grande partie de la réflexion encouragée par Kreia est jetée aux orties. Mais surtout, cette scène a été coupée car la petite dose d’introspection restante aurait, de fait, suffi à potentiellement empêcher Rey de se ruer à la rescousse de ses amis de la Résistance… ce qui répond aux besoins d’action du script, et non à l’évolution logique du personnage.


L’humour déplacé et le manque de sérieux et de rigueur forment, à mon sens, l’une des plaies de ce film dans lequel chaque moment en passe de devenir culte de par son importance et/ou sa profondeur est banalisé par une mauvaise blague. En jouant davantage sur ses dialogues aux petits oignons signés Atton Rand (« Ce droïde doit être de caracoler dans tout le système en se payant notre tête… MA tête ! ») ou HK-47 (« Dois-je le buter, maître ? ») que sur le choc et l’absurde, KOTOR2 arrive à maintenir une bonne dose d’humour beaucoup plus organique, sans jamais se départir de sa maturité.


« Maturité » est d’ailleurs ici un euphémisme : la galaxie de KOTOR2 en est déjà au stade avancé de la décrépitude. À l’image même de son principal protagoniste, elle se réveille d’un long cauchemar et doit douloureusement panser ses plaies si elle veut se reconstruire. Cette dure réalité qui affecte la vie des citoyens lambda, le jeu la représente à la perfection via le tourment des réfugiés de Serrocco, la guerre civile sur Onderon, les luttes de mercenaires sur Dantooine… autant de « petits » conflits à l’échelle de la galaxie, mais aux répercussions immense pour ceux qui les vivent. Un peu comme toutes les guerres nées de la Première Guerre mondiale (guerre civile russe, guerre gréco-turque, guerre ukraino-polonaise…), ce que rappelle la grisaille poisseuse qui prédomine dans KOTOR2 comme dans le film La Vie et Rien d’autre de Bertrand Tavernier. Les Derniers Jedi aussi mise sur un combat périphérique, mais si déconnecté de tout et tout le monde qu’il s’apparente davantage à un dispute dans la cour de récré.


Mais dans un cas comme dans l’autre, les jedi sont-ils vraiment responsables de toute cette misère ? L’étudiant Mical s’interroge : « Mais la question se doit d’être posée : était-ce là l’échec des enseignements Jedi… ou des Jedi eux-mêmes ? » Les Jedi servent « le bien de tous », comme dit Anakin dans La Revanche des Sith, qui lui-même semble avoir du mal y croire, alors qu’ils devraient jouer les guérisseurs et de se soucier du bien-être des habitants de la galaxie. Pourtant, c’est en voulant sauver son père que Luke a contribué à sauver la galaxie dans son ensemble – presque par accident, car il ne pouvait savoir que la rédemption d’Anakin Skywalker contribuerait directement à la chute de l’Empereur, avec son Étoile de la Mort, sa flotte, ses millions de stormtroopers… à aucun moment ni Obi-Wan ni Yoda n’ont mentionné la « Prophétie de l’Élu qui doit équilibrer la Force », pour la simple et bonne raison qu’en 1983 George Lucas ne l’a encore jamais formulée.


Et voilà que trente-quatre ans plus tard, ce même Luke reproche aux jedi, et à lui-même par extension, leur « orgueil », alors que c’est précisément l’absence de celui-ci qui aura rendu possible « Le Retour du Jedi », qui devait d’ailleurs s’appeler « La Revanche du Jedi »… si orgueil il y a, c’est bien celui de Disney et Rian Johnson, d’avoir cru pouvoir s’emparer de Star Wars sans y consacrer le travail de réflexion que cette saga requiert. La fin même de l’Épisode VIII trahit l’arrogance et le côté moralisateur de ces gens, puisque Luke finit par se contredire et intervenir pour sauver la Résistance et sa sœur, là où KOTOR2 offrait le luxe de choisir quel futur apporter au rêve de Kreia : le faire disparaître avec elle et les derniers vestiges de Malachor V, tandis que l’Ebon Hawk vaque silencieusement, presque à la dérive comme au début du jeu, vers un avenir radieux... ou le planter dans les profondeurs de ce monde maudit, comme la graine d'un arbre nouveau dont les branches changeront la galaxie à jamais.


Au bout du compte, il ne reste plus qu’à espérer que Disney réalise qu’eux aussi « ont du sable dans les mains », au lieu de l’or qu’ils croyaient détenir, et qu’ils en tireront les leçons qui s’imposent. Je me demande ce qu'en dirait dame Kreia...


« C’est une chose si tranquille, de chuter. Le plus terrible, c’est de l’admettre. »

Szalinowski
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le 27 sept. 2019

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