Alors que sur les écrans s'étalaient la guerre des Clones, version triviale et décomplexée du conflit à l'Américaine, les comics Star Wars commencèrent à distiller un autre visage de ces batailles. Là, les Jedi n'étaient plus face à des droides drolatiques, mais obligés d'affronter de vraies personnes, dont les motivations étaient parfois même tout à fait légitimes et se bornaient à vouloir quitter cette République qui leur prenait plus qu'elle ne partageait. La série, c'est Republic de l'autre côté de l'océan, ici restituée sous 10 volumes nommés « Clone Wars ». Mais devant la maturité du traitement qui relève en tout point à une guerre civile, on est en droit de se demander : est-ce une grande première dans l'univers Star Wars ? Non, par le passé déjà, ces thèmes avaient été abordés, et bien plus en profondeur. C'est le cas de KOTOR 2 : Sith Lords, création d'Obsidian.

La République est exsangue. Ces dernières décades n'ont apporté qu'une longue et fastidieuse série de guerres, de conflits armés, brutaux, face auxquels elle n'était pas préparée et qui n'ont cessé de creuser des brèches dans la gestion galactique de ses ressources. On compte la désormais fameuse Guerre des Mandaloriens, quand les légions de casques à visière en « T » ont déferlé sur la Bordure, avant de tenter une percée jusqu'au coeur du noyau dur républicain. Que s'est-il passé ? Simple, la République a cru bon d'abandonner la Bordure, de fermer les yeux sur ces troupes mandaloriennes en pensant qu'elles finiraient par rebrousser chemin dans l'espace inconnu, mais il n'en fut pas ainsi. Et quand les soldats d'élite commencèrent à se rapprocher, la République se tourna vers les Jedi. Que répondirent ces derniers ? Ils dirent tout simplement « non ». Leur rôle se borne à maintenir la paix, pas à l'imposer, même quand la lutte est justifié. C'était la ligne directrice de l'Ordre, mais elle n'était pas partagée par tous et certains suivirent Revan et son ami, Malak. Ces derniers croyaient que c'était juste d'outrepasser la décision du Conseil pour venir en aide aux forces républicaines plongées dans la tourmente. En un sens, ils avaient raison. En un sens, ils avaient tort. Forts de leur maîtrise de la Force et suivis par des centaines de Jedi, ils purent venir en aide aux soldats. Mais dénués de formation militaire, lancés dans les ravages et l'horreur de la guerre, tous furent touchés par le côté obscur. Tous durent tuer. Prendre des décisions inacceptables en tant normal. Et continuer ainsi jusqu'à la fin de la guerre. L'Exilé, héros de cet opus, était l'un d'eux. L'unique à revenir au Temple Jedi de Coruscant pour y accepter un jugement – simple au demeurant : l'exil. Un héros qui a subi, par le passé, une fêlure extrême, étrange et aberrante : il a été coupé de la Force, de façon permanente.

La force de Knights of the Old Republic 2 est sa capacité à brouiller les cartes : il n'y a pas de méchants ici, pas de manichéisme facile pour départager les pnjs à tuer de ceux qui constitueront votre équipe. Ici, il n'y a que de l'égoïsme, des motivations personnelles, des passés brisés et des destins frustrés. Pas d'Ancienne République en vaillante défenseure des valeurs démocratiques : c'est un état hégémonique, qui ponctionne dans les ressources des planètes-greniers pour faire vivre ses centres économiques. L'écriture du jeu refuse de trancher, de juger les personnages comme les évènements. L'un d'entre eux ira même jusqu'à vous expliquer pourquoi Dark Revan aurait été plus bénéfique à l'espace connu que l'institution républicaine : le Côté Obscur de la Force a le sens de la gestion – même autoritaire – de l'économie et des infrastructures locales certain. Aucun Jedi rencontré ne peut résolument se présenter en héros de la liberté. Des Maîtres rencontrés sur Dantooine à Atris et son Académie délirante sur Telos, les Jedi aussi sont les incarnations du traumatisme subi sur des années de guerre, d'évolution forcée de la société. Ils sont les représentants d'une époque révolue et l'on regarde Atris s'enfoncer lentement dans la folie, à force d'essayer de ressusciter son Ordre bien-aimé. Et que dire des Sith dont la présence outrancière est le sous-titre du jeu ? Ils sont beaux. Réellement. Ils explosent en terme de charisme le pauvre Dark Malak. Terribles parce que brisés, effrayants parce qu'outrepassant les limites de la Force et de la raison, le Triumvirat est le centre du jeu, le pilier sur lequel repose l'intrigue. Et tous les trois jouissent d'un effort, d'un travail remarquable. Dark Scion, invulnérable mort-vivant, ressuscité mainte et mainte fois par le Côté Obscur, dont le corps n'est qu'une plaie pâle, cherche inlassablement à détruire tout ce qu'il aime. Non pour se couper des sentiments, tout au contraire : pour souffrir. Car pour souffrir, il faut vivre de passions, aimer puis détruire. Il est le Lord of Pain. Dark Nihilus, figure de proue des forces sith, silhouette fantomatique recluse dans un immense navire en ruine, est le Lord of Hunger. Il est un esprit dans la Force, une bouche immense, insatiable, qui n'a qu'une velléité : dévorer toute vie. Il n'est pas fait de pensées conscientes, de motivations humaine. Il est au-delà. Vous l'apprendrez en côtoyant son apprentie, Visas, étrange Mirakula qui semble vouer un culte au sith qui en a plongé dans l'oubli tout son peuple. Et enfin, le dernier sommet de cet étrange triangle, Dark Traya... mais point est besoin d'en révéler trop sachez seulement que ses motivations sont dantesques, son idée est délirante et qu'elle doit sans doute plus à Ozymandias qu'à Dark Sidious dans son développement.

Quant à l'histoire... elle n'apparaît que comme un véhicule pour amener le joueur à se plonger dans l'univers que dépeint KotOR 2 : sordide et désorienté. Mais chaque rencontre paraît unique et aménage régulièrement un éclairage nouveau sur l'univers de Star Wars. Coupé de la Force, votre personnage doit à nouveau apprendre à s'en servir, à développer ses dons et Kreia, vieille Jedi, ancienne Maîtresse de Revan, son élève le plus prestigieux, vous y aidera. Mais ses enseignements ne portent pas la marque des discours d'un Yoda sur l'application et l'implication morale du Jedi face à autrui. Sur Telos, parti retrouver un ancien membre de votre commando de l'époque, vous rencontrez Atris, ancien Membre du Conseil Jedi. La demoiselle se lance alors dans un règlement de compte, reprochant au personnage les choix qu'il a fait durant la Guerre Mandalorienne : vous voici à devoir défendre une conception du devoir d'un Jedi, et, de fait, à repenser la place d'un être doté de la Force dans une communauté : sachant que partir en guerre pourrait entraîner votre chute dans le Côté Obscur, pouvez-vous accepter de sacrifier l'enseignement Jedi contre ce que vous considérez comme moralement juste ? Est-ce que le choix d'un seul homme doit peser contre la décision rendue par le Conseil Jedi ? Un dialogue des plus incroyablement prenants, et qui ne fait que cristalliser ce que KotOR essaye de présenter : un univers réflexif, qui s'interroge sur ses actes, sur ses positions, sur sa construction, à mesure qu'il déroule une histoire habitée – disons plutôt hantée – par ces figures angulaires, ces fantômes, en décalage avec la réalité décrite, qui survivent dans un monde qui se transforme tout comme il s'écroule autour d'eux.

Certes, on pourra reprocher à Sith Lords d'être graphiquement dépassé – à l'époque même de sa sortie – et de ne pas apporter beaucoup au système de jeu, se contentant, dans les grandes lignes, de reprendre le travail opéré par Bioware pour le premier KotOR. On peut aussi reprocher qu'au final, les combats ne constituent pas un obstacle gênant à la progression de notre héros et qu'à nouveau, il est plus facile de jouer un personnage « gentil » qu'un méchant – quoiqu'à nouveau, un tel jugement moral serait encombrant tant le jeu juxtapose les nuances de gris. Mais en terme de qualité d'écriture, Obsidian livre un bijou, une histoire prenante et dérangeante avec, en toile de fond, l'univers coloré de Star Wars, revisité et réincarné. Si je pouvais faire un parallèle, je dirai que KotOR 2 est à Star Wars ce que Watchmen est aux comics de super héros : un vrai regard introspectif sur un univers parfaitement maîtrisé, une histoire violente et brutale, agressive, qui déroute par la profondeur de ses réflexions.

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le 21 juin 2011

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