Après avoir vécu quelque chose comme The Beginner’s Guide, on a du mal à coucher les mots sur le papier, ou non, plutôt, on ne veut pas. Ecrire, c’est limiter, borner, figer. On préfère que ce qui vient de s’emparer de nous continue à infuser, à nous stimuler, le cœur et l’esprit, inlassablement. Mettre en mots ce que nous transmet Davey Wreden à travers son jeu, c’est en appauvrir la portée. Peu importe le vocable déployé, peu importe la maitrise du verbe, tout ce qui sort parait si loin – si lointain – de ce bout de vérité qui nous a frappé. Ou qui ressurgit plutôt, comme une madeleine de Proust, froissée en boule quelque part, que The Beginner’s Guide raplatit d’un coup d’un seul, violemment, comme une évidence enfouie. Une vérité donc, mais pas une certitude. Quelque chose qu’on avait oublié, qui nous revient, qui va de soi, mais qu’on se met à questionner, jusqu’à nous hanter : tant de temps passé sans s’en apercevoir, c’en est presque angoissant. Alors on y pense, et on y pense, et on y pense. Sans jamais vraiment vouloir le partager – tout s’évaporerait. Transmettre, articuler, c’est banaliser, donc perdre. Il y a finalement dans The Beginner’s Guide quelque chose de la vertu nietzschéenne, celle qui se tait mais élève, celle qui fait l’homme. Davey Wreden est sans doute le premier développeur-essayiste à prouver que le jeu vidéo est un fantastique véhicule philosophique. D’autres parlerons plutôt d’expérience, quand d’autres encore, plus détachés, oseront le « documentaire ». Peu importe, puisque l’existence même de ce conflit sémantique prouve à quel point The Beginner’s Guide explore un territoire encore vierge. Il initie un nouveau langage, une nouvelle voie d’accès au joueur. Il ne s’agit plus de systèmes à assimiler ou d’interactions à entretenir, mais d’un sens du tout qui installe le dialogue sur un tout autre plan, quasi-astral, ou au moins supérieur au commun en ce qu’il est indescriptible. Alors on se tait, on vit cet instant, on le prolonge dans nos pensées, on l’habite et on le revisite, c’est notre vertu – la nôtre seulement. Quant aux autres, on espère juste qu’ils joueront à The Beginner’s Guide.


(Pour une critique - géniale - plus terre à terre, voir ici : http://www.senscritique.com/jeuvideo/The_Beginner_s_Guide/critique/69670790)

DocElincia
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le 12 oct. 2015

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