Dans la neige, personne ne vous entendra bailler.

L'avatar ouvre ses yeux. Au moment où on lui enlève sa cagoule, son visage est dévoilé. Un Haut-Elfe. Un regard sur le côté découvre son voisin, enchainé lui aussi. Prisonniers. Pourquoi ? Vous ne saurez jamais. On vous dira que c'est pour le côté mystérieux, ou parce que cela n'a pas d'importance, ou encore parce que les scénaristes veulent que vous imaginiez votre raison. Roleplay, bitch. Bullshit, plutôt.

« — Toi aussi tu es mené vers ta mort ? Tu as fait quoi ?
— ...
— Ce sont ces salauds d'Elfes qui t'ont dénoncés à l'Empire, on devrait les exterminer ! »

Ca ne fait pas une heure que je joue (oui, la personnalisation du personnage prend du temps) et déjà, la nullité de la scénarisation me frappe de plein fouet. On ne pouvait pas faire deux phrases introductives, dont une spéciale pour les Elfes ? Sérieusement ? Ou alors, admettons, interdire les Elfes à la création ? Ou mettre un message du style « Attention, cette race n'est pas prévue pour s'intégrer parfaitement dans le scénario, et vous la choisissez en toute connaissance de cause ! » ? Et bien non, je ne suis pas d'accord. Je suis au bord de quitter le jeu, j'ai déjà envie de tuer un développeur. C'est symptomatique, et je sais déjà ce qui m'attend. Et je ne veux pas.

L'Empire s'apprête donc à me couper la tête. Un dragon apparait, et la j'ai le choix. Soit je m'enfuis en suivant mon co-prisonnier. Soit je m'enfuis en suivant un soldat impérial qui me propose de m'aider. MAIS VOUS VOULIEZ ME COUPER LA TÊTE IL Y A TROIS MINUTES, BORDEL !
Mmpph. Voila en tout cas un poncif qui sera mis en action plus tard, me dis-je : je sens gros comme une maison que je vais devoir choisir entre ces deux factions à un moment ou un autre. Quoiqu'il se passe en tout cas, on finit avec le Nordique qui a échappé à la peine de mort grâce à l'intervention draconique. Et il nous dit « Il y a un village pas loin, vous pourrez toujours aller chez ma sœur, dites lui que vous m'avez aidé. » Pas d'idée sur le pourquoi nous sommes là, pas de but, pas de quête, pas de fil directeur, fin du tutoriel, bienvenue dans Skyrim.

J'ai donc arrêté le jeu, pour ne plus jamais le relancer.
Pendant 2 ans.

C'est quand même dommage de passer à côté d'un Elder Scroll qui va me durer des dizaines voire centaines d'heures pour un morceau de tutoriel de quelques minutes, non ? Alors je n'ai qu'une chose à faire. M'y remettre.

Alors, Skyrim, c'est Oblivion (ou Morrowind, prenez votre préféré, intégristes), mais en plus beau. Mêmes quêtes, mêmes actions, mêmes guildes auxquelles se dévouer et dans lesquelles nous progresserons jusqu'au grade suprême. C'est bien écrit ces petits arcs scénaristiques, d'ailleurs, c'est sympathique. On prend vite ses aises, on se soigne en boucle pour grimper de niveau, mais on ne saute plus sur place en même temps que fureter, car cela ne monte plus l'agilité ni l'endurance. Bien. L'interface est pire que les précédentes, l'influence console est très marquée et insupportable, mais rien qu'un mod ne puisse arranger.

La difficulté ? Bah, c'est pourri. C'est un Elder Scroll, hein. L'adaptation du niveau des mobs, c'est toujours aussi mal maitrisé, et on est loin d'un Diablo III 2.0. Mais bon, un Elder Scroll, quoi.

Les bugs ? PARTOUT. Les quêtes qui ne marchent pas, les textures qui gênent, les scripts qui ne se déclenchent pas... Bref, un Elder Scroll. Après tout, pourquoi payer des développeurs quand des fans font des patches non officiels gratuitement ?

Et me voila, au bout de 70 heures de jeu, à la tête des guildes des mages (la première pour avoir l'équipement dont mon mage aura besoin dès le début) des voleurs (la seconde afin d'avoir les receleurs et les fonds nécessaires aux autres activités) et des assassins (parce que c'est cool. Et ça tombe bien, c'est la seule suite de quête intéressante du jeu pour de vrai) mais également à devoir choisir un camp. J'ai le choix. C'est cool. C'est un choix cornélien. C'est cool, c'est comme The Witcher, donc ? Non ! Tu as TOUT faux, Coco.

C'est un choix pourri. POURRI. Non mais, rends-toi compte. D'un côté, j'aide l'Empire. Ca assure la stabilité, et tout. Multiculturels, et tout. Bon, le fait qu'ils opressent une religion pour rien, et surtout MERDE ILS M'ONT CONDAMNÉ À MORT SANS RAISON AU DÉBUT, TU TE FOUS DE MA GUEULE, ILS PEUVENT CREVER LA BOUCHE OUVERTE.
De l'autre ? Les fiers Stormcloaks, défenseurs de leurs dieux et ancêtres, vaillants et rebelles, cheveux au vent. Bon, ils laissent les autres races vivre dans les détritus, haïssent plus que tout les Elfes. Je me dis que c'est parce qu'ils les connaissent mal, sans doute. Et les bidonvilles racistes sont une coïncidence. Avant de jurer le serment de fidélité, une option de dialogue m'apparait tout de même. Leur programme politique, à ces rebelles ? Skyrim aux Nordiques, à bas les étrangers, au bûcher les non-humains ! VOUS VOUS RENDEZ COMPTE, BETHESDA, QUE VOUS M'AVEZ LAISSÉ LA POSSIBILITÉ DE JOUER UN HAUT ELFE, ET QUE PERSONNE NE DIRAIT ÇA À LA FACE D'UN POSTULANT D'ESPÈCE DIFFÉRENTE ? Bon, bah ça sera l'Empire, pas le choix, mais franchement, c'est de la merde. Et on sert les dents.

J'ai bien fait, hein, d'ailleurs. Parce qu'une quête de la quête principale ne peut être effectuée que si vous êtes encore neutre à ce moment, ou allié à l'Empire. C'est bien, il est testé en interne, ce jeu, on sent le QA efficace.

Et maintenant que j'ai exterminé les rebelles ? Et bien je continue à parcourir le monde. Et je continue à rencontrer des gens qui me parlent de choisir un camp et des difficultés de la guerre, de la nécessité de tuer Ulfric, et de trucs qui n'existent plus. Je fais des quêtes où des gens me remercient de les avoir libérés, et affirment qu'ils vont rejoindre l'armée d'en face qui n'existe plus. Je continue à faire des quêtes où l'on me traite comme un prince parce que je les ai bien fait dans l'ordre prévu par les scénaristes, alternées avec d'autres où l'on me traite comme un paysan, parce qu'apparemment j'aurais dû les faire plus tôt, ces quêtes, bien entendu.

Oh, bien sûr, je continue à faire des quêtes neutres aussi. Comme celles de ces Jarls qui m'ont serinés depuis le début qu'ils ne donnaient raison à aucun camp dans cette guerre civile et voulaient juste qu'elle s'arrête. Et pour qui j'étais Thane. Et qui maintenant me traitent comme un pestiféré parce que j'ai choisi le camp des ennemis. Je... Quoi ?

Bien entendu, je continue des donjons qui finissent invariablement sur un ennemi un poil plus fort, mais jamais un boss.
Bien entendu, « mon premier dragon tué » après celui scripté est en fait mon 20ème au moins, et je les tue infiniment plus facilement que certains « mages novices » croisés au détour d'une bibliothèque.
Bien entendu, je fais des quêtes avec des PNJ qui m'accompagnent de force et qui vont au corps à corps alors que les sorts les plus puissants de mage sont tous de zone ou très impréçis, et je dois choisir entre tuer tout le monde ou ne pas participer aux combats.
Bien entendu, que je suis devenu grand manitou de 3 guildes en un éclair, à tel point que c'en est risible, surtout comparé à ses ainés.
Bien entendu, tu vas tuer l'Empereur, mais il va donner des ordres direct à des PNJs après sa mort comme si de rien n'était tout de même.
Bien entendu, aucune quête n'a réellement d'influence sur le monde, bien entendu.

C'est bien beau de savoir créer un univers monstrueusement grand et cohérent. C'est bien beau de faire des pages encyclopédiques de manuels, histoires, contes, descriptions. Maintenant, savoir scénariser un jeu, enchainer des quêtes et maitriser un monde ouvert, ce n'est pas beaucoup plus difficile. Mais ça semble hors de portée de Bethesda qui nous ressort une soupe de sable en bac à chaque opus ; bac à sable qui se permet d'être tout de même extrêment linéraire et qui punit chaque écart. C'est frais un moment, mais même si c'est un plaisir coupable, il ne faut pas oublier la caractéristique essentielle de ce jeu, du coup : Skyrim, c'est insipide, c'est chiant, c'est mal écrit, c'est rempli de personnages vides sans personnalité, c'est buggué, c'est mal texturé, c'est mal animé, bref, c'est clairement honteux.

[Et le jeu vient de perdre un point quand je le termine enfin et que je constate que le fait de finir la quête principale ne change même pas le dialogue des PNJs les plus importants par la suite. Ni ne déclenche un joli texte-résumé-closure de jeu habituel, ce qui donne l'impression d'avoir fait cela pour rien -- Aurais-je perdu mon temps ?]