Le genre survival n'allait pas fort dernièrement, rattrapé par la tendance "tout-action" dont les éditeurs gavaient les joueurs (enfin ceux que ça intéressait encore) au travers de suites de qualité discutables dans les principales licences, les autres semblant avoir tranquillement disparu dans les limbes (Clock Tower, Fatal Frame...). Shinji Mikami, créateur de resident evil (et gros repompeur d'Alone in the dark, il l'a lui-même reconnu) s'est remonté les manches pour sortir cet "Evil Within" annoncé comme un renouveau, une "leçon" de survival.

Et le moins qu'on puisse dire, c'est que Mikami a VRAIMENT fait de ce jeu une "leçon".

Le jeu est un condensé de bonnes idées en terme d'ambiance et de mécaniques de gameplay, jouant sur le stress et l'instinct de survie du joueur, le confrontant régulièrement à des épreuves où l'analyse de la situation, la rapidité et la précision sont indispensables pour éviter de mal finir : pièges, monstres, boss increvables, tout y passe, savamment dosés pour provoquer un stress fatal au héros puisque la moindre hésitation ou panique est synonyme de mort. Personnellement, c'est ce que j'appelle "Survivre" dans un jeu et non pas "Arroser une horde de zombie à la kalachnikov comme un teubé" (n'est-ce pas, RE ?). Sur ce point, le jeu est parfaitement pensé, d'un sadisme raffiné et pour une fois, servi par une intelligence artificielle un peu mieux foutue que certains adversaires d'autres licences , occupés à vous chercher dans les murs pendant que vous les alignez : dans "the evil within", les monstres vous guettent derrière une porte fermée pour vous sauter à la gueule, se planquent pour vous aligner à distance et vous finir tranquillement à la main pendant que vous agoniserez ou appellent leur petits copains lorsqu'ils vous repèrent .

Côté gameplay, pas mal de possibilités également : une sorte de "liquide dopant" permet de booster le héros et les choix des capacités/compétences améliorées définiront beaucoup la stratégie du joueur. Il est possible d'axer davantage son jeu sur l'infiltration ou l'usage de pièges plutôt que la confrontation, même si celle-ci est parfois inévitable. Sebastian peut ainsi améliorer son temps de rechargement, son rythme de tir, la quantité de balles qu'il peut porter, l'efficacité des objets de soin, la puissance de ses coups au corps à corps, sa vitesse de course, etc...Même s'il semble préférable de rester axé "action", le choix laissé au joueur reste appréciable.

Côté ambiance, là aussi, le jeu a été soigné - même si c'est ici que commencent les (pour ne pas dire LE) principaux défauts de "Evil Within". Le jeu propose des environnements poisseux et anxiogènes, dont la principale mécanique d'angoisse est la déconstruction permanente du décor, la désorientation et l'impossibilité de se fier à la topographie des lieux. Sebastian traverse le sol, passe d'un environnement à l'autre sans crier gare, tombant d'un piège dans un autre, d'une mécanique de survie à une autre, impliquant totalement le joueur dans l'angoisse de la découverte de lieux instables et imprévisibles. Mention spéciale à la salle de sauvegarde, supposée être le seul lieu sûr, qui parvient à être le plus inquiétant de tout le jeu selon moi (vous n'écouterez plus le clair de lune de Debussy de la même manière après ça...). Pourtant...c'est aussi là que réside le gros problème du jeu, à savoir son identité, sa cohérence et de manière globale son intrigue.

Là où Silent hill, par exemple, avait une identité très forte en terme d'ambiance et de symbolique, "The evil Within" a davantage des allures d'inventaire de tout ce qu'on peut mettre dans un survival horror. Il mélange joyeusement les classiques du survival et de l'horreur (Alone in the dark pour le héros, Resident evil pour les mob principaux, Silent Hill pour les boss, Project zéro ou Alien pour certaines créatures...) sans qu'il y ait de réelle cohérence artistique ou scénaristique entre ces différentes inspirations. Témoin, ce clin d’œil très appuyé à Pyramid Head avec un boss dont la tête est un coffre-fort et dont la symbolique est tout simplement complètement absente. J'ai eu réellement l'impression de voir mis bout à bout toutes les idées et les inspirations de l'équipe de développement qui ont listé tout ce qui serait classe, percutant, impressionnant. C'est classe. C'est percutant. Et ça n'a aucune cohérence artistique. En fait, certains chapitres ne servent tout simplement à rien niveau intrigue, la remisant de côté pour explorer un pan de gameplay différent avant de reprendre là où l'histoire s'était arrêtée.

Résultat : si l'intrigue est de prime abord intéressante, elle est incomplète. Sans rien spoiler, vous terminerez le jeu en ayant des dizaines de questions mais pratiquement aucune réponse claire ou même ébauchée, à commencer par la principale "Mais il nous voulait quoi, l'antagoniste, berdel ?". Parce que la seule réponse que fournisse le jeu, sous la forme de démonstration pratique, était "nous tuer", ce qu'on aurait pu comprendre tout seul, il me semble. Et très franchement, je ne suis pas certain que tout le monde apprécie de jouer dix heures à un jeu pour se faire gratifier d'un "à suivre" à l'arrivée.

L'autre principal problème de "Evil Within" est son héros. Dans un jeu vidéo, soit les créateurs mettent en place un personnage dont le background et la personnalité sont au cœur même de l'intrigue et auquel le joueur s'identifie (Silent Hill), soit ils se contentent de personnages plus génériques qui sont des "costumes" que le joueur enfile afin d'être mieux immergé dans le jeu (Alone in the Dark ou le premier Resident Evil. On peut pas dire que Chris Redfield soit un protagoniste hyper profond...). Et si Sebastian Castellanos semble au départ appartenir à la seconde catégorie (il parle peu et reste finalement assez "neutre" de prime abord), le jeu laisse rapidement filtrer une réelle personnalité taciturne et blasée plutôt qu'une totale absence de développement. Qui plus est, le background et la personnalité de Sebastian nous sont dévoilés au travers des pages de son journal, trouvables à côté des points de sauvegarde. Nous avons donc un personnage accrocheur mais extrêmement mal dosé : mis en retrait d'un côté, mais pas assez transparent pour que le joueur le voit comme une simple coquille vide qui lui serve d'avatar. Et le moins qu'on puisse dire c'est que Sebastian n'est PAS VRAIMENT troublé par ce qui lui arrive (au passage, bravo pour la jaquette mensongère du jeu, je n'ai pas souvenir d'avoir entendu le personnage hurler une seule fois malgré les évènements). Comme cela est clairement lié à son caractère plutôt qu'à une volonté d'en faire un personnage générique, il désamorce beaucoup l'angoisse générée par les situations, pour ne laisser qu'un stress pur. Pour schématiser, se faire courser par une sorte de Leatherface amélioré armé de sa tronçonneuse et vociférant file les mêmes sensations que celles de l'être par un gang de voyous décidés à vous démonter la gueule à coup de clef à molette. Et l'ambiance en prend un coup puisque l'emballage "horrifique" est partiellement sabordé par le laconisme du héros. Qui se contenterait d'un simple "Merde !" en se faisant tronçonner les mollets dans une sorte d'abattoir rempli ras la gueule de zombies ?

J'ai pourtant apprécié Sebastian, qui ne nous gratifie pas de cette assurance démesurée ou ce besoin d'étaler sa testostérone, manies ô combien crispantes de la plupart des mâles du jeu vidéo d'action. Plus important, il incarne à la perfection ce désir de survie, cette rage de s'en sortir, sous une apparente placidité. Les concepteurs ne se sont pas vautrés dans la facilité des extrêmes : ni totalement minet, ni totalement "gueule cassée", Sebastian est très expressif et parfaitement crédible en flic vétéran, marqué par l'expérience et tiraillé entre son professionnalisme et son drame personnel. Si son background est d'un consternant classicisme, il n'en reste pas moins efficace.

Le héros de "The Evil within" résume bien le jeu en fait : pas de réelle prise de risque ou d'originalité mais une grande maîtrise des mécanismes du survival et une excellente mise en application de ces mécanismes de survie, une bonne gestion du stress du joueur, au travers d'une multitude de réinterprétations et de réappropriations de classiques du genre avec un savoir-faire exemplaire. Le problème c'est qu'à tant vouloir en faire, le jeu perd son propre fil narratif au point de ne pas le développer complètement (voire pas du tout) , s’appesantissant sur des séquences ou des monstres certes très efficaces en terme d'ambiance mais complètement hors sujet (Qu'est-ce qu'un fantôme japonais vient foutre dans un jeu d'horreur se déroulant aux États-Unis ?). "The Evil within" multiplie tellement les clins d’œils à ses prédécesseurs qu'il oublie de regarder devant lui. Résultat : un héros ni suffisamment développé pour donner satisfaction au joueur, ni suffisamment en retrait pour n'être qu'un rouage narratif, une histoire incomplète, percluse de trous énormes qui amènent le joueur à une fin frustrante et nébuleuse où l'on s'aperçoit qu'à l'instar du héros, on est guère avancés.

Belle leçon de survie et de gameplay réussi, donc, mais paresseuse sur le traitement de l'histoire et des personnages...probablement volontaire d'ailleurs, tant la fin appelle une suite. C'est toujours agréable de payer pour un demi-jeu...sur ce point-là, "The Evil Within" ne fait que suivre la tendance des éditeurs du moment, qui prennent ouvertement les joueurs pour des palmipèdes sauvages. Non, ce n'est ni un renouveau, ni la bouffée d'oxygène attendue puisqu'il reprend les techniques mercantiles qui parasitent le milieu depuis un certain temps. Le jeu reste cependant un hommage très efficace au genre.
SubaruKondo
7
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le 12 nov. 2014

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SubaruKondo

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