The Forgotten City
7.6
The Forgotten City

Jeu de Modern Storyteller et Dear Villagers (2021PlayStation 4)

Au moment d’acheter ce The Forgotten City je ne connaissais strictement rien de l’histoire si particulière de ce jeu.
Ce ne fut qu’en lançant ma partie qu’un doute m’a subitement monté à l’esprit.
Ces visages figés. Cette mise en scène très dépouillée. Ces décors forts jolis mais bien vides… Tout ça ne faisait pas très jeu PS4– il y avait comme quelque chose qui clochait – et très rapidement j’ai voulu savoir ce qui expliquait ce rendu si intrigant, à mi-chemin entre la bonne production double A et le jeu d’amateur un peu cheap qu’on aurait codé dans un garage.
Du coup, après ma première session de jeu, je me suis rancardé. Et c’est là que j’ai appris.
C’est là que j’ai découvert qu’avant d’être un jeu à part entière, The Forgotten City était un mod de Skyrim
…Et j’avoue que ça m’a un peu scié.


N’étant pas un joueur PC dans l’âme – et encore moins un programmeur – j’avoue que l’image que je me faisais des communautés de modeurs se réduisait à mes yeux qu’à de simples gars patchant un jeu qu’ils aimaient bien pour le rendre un peu plus beau et un peu plus fun.
Je suis donc tombé des nues quand j’ai appris que, sur Skyrim, des communautés de modeurs s’étaient amusées à concevoir des missions alternatives toutes entières ; missions parmi lesquelles on comptait donc la version initiale de ce Forgotten City.
Alors certes, je ne sais pas trop ce qui – entre la version d’origine et cette version à laquelle j’ai jouée – diffère exactement, mais le fait est que le résultat que j’ai eu en main m’a particulièrement interpellé… Et je tiens à préciser : dans le bon sens du terme.


C’est fou de se dire à quel point un type (initialement) tout seul est capable de produire un jeu au final bien plus enrichissant, innovant et efficace en termes de gameplay que des studios dotés d’armées de développeurs.
Alors certes, dans toute cette histoire, Nick Pearce a pu s’appuyer sur le travail accompli par des centaines de personnes pour aboutir au moteur physique de Skyrim ; moteur qu’il utilise ici pour la base de son The Forgotten City et qui se montre encore aujourd’hui particulièrement séduisant et efficace…
…Mais pour tout le reste !


Pour tout le reste The Forgotten City a le don de court-circuiter un paquet de conventions et d’en enrichir considérablement d’autres. Et même si le résultat n’est certes pas exempt de tout reproche, le fait est qu’il ouvre une voie en termes d’écriture, de rythme et de gameplay que, moi, je trouve particulièrement rafraichissantes.


Déjà – premier gros point fort – à peine avais-je passé une heure à pratiquer ce jeu que j’avais déjà l’impression d’être confronté à un titre singulier qui allait m’obliger à sortir de mes réflexes habituels.
J’ai d’autant plus été enclin à requestionner mes habitudes de jeu que je sentais que l’aventure qu’on m’offrait là avait été réfléchie dans les moindres détails pour que ma partie ne se perde pas dans des détails inutiles.


Tout dans The Forgotten City se justifie.
Il y a le lieu d’abord. Au départ on déambule dans une cité qui semble d’un côté bien vide de choses signifiantes et de l’autre inutilement chargée de fioritures dispensables. Et puis finalement on découvre que le lieu en question constituera notre seule et unique zone de jeu et qu’elle fourmille de détails et informations ; détails et informations qu’il conviendra d’agencer par nous-mêmes pour lui donner du sens.
L’égarement initial cède rapidement la place à la familiarisation progressive. L’errance nous amène à prendre nos repères par nous-mêmes, et comme le lieu n’est pas bien grand, on finit vite par trouver ses marques.
En ressort une première impression agréable d’avoir apprivoisé un espace à notre façon et non en se contentant de naviguer tout droit d’un « point mission » à un autre. (Pour ma part j’ai désactivé toute forme d’indication visuelle et je ne le regrette pas, l’immersion n’en fut que plus importante. Si j’avais vous comptez vous y mettre, c’est une pratique que je vous conseille fortement.)


Ensuite, au-delà du lieu, il y a aussi l’intrigue. Et sur ce plan aussi The Forgotten City a su faire un choix des plus payants.
A l’image d’un très bon Return of the Obra Dinn ou d’un excellent Outer Wilds, Nick Pearce a opté pour une intrigue bâtie autour d’une grande énigme qu’il nous faudra résoudre par nous-mêmes. Pas de fil narratif linéaire servant à justifier l’enchainement de missions scriptées donc. A la place on a une intrigue ouverte qui nécessitera de notre part d’aller découvrir tous les personnages qui peuplent cette cité.
Bien évidemment chacun d’eux à son histoire mais – surtout – un élément de résolution qui nous permettra d’en savoir plus sur cette cité oubliée dans laquelle on se retrouve mystérieusement prisonnier…
Nick Pearce a poussé la malice en rajoutant à ce principe-là un principe de boucle temporelle qui, toujours à la manière d’un Outer Wilds mais aussi à la manière d’un Majora’s Mask avant lui, nous oblige à considérer l’avènement de certaines péripéties et – surtout – à réfléchir sur notre manière d’infléchir sur eux afin d’arriver à la résolution tant recherchée.


D’ailleurs, des résolutions, il y en a quatre.
Pour ma part je n’en ai trouvé que trois, mais j’ai apprécié que chacune d’entre elles ait sa logique et surtout son éclairage propre sur l’intrigue.
Parce qu’en effet, entre la résolution la plus simple et celle qui est la plus tarabiscotée, il y a des pans entiers de l’intrigue qui se retrouvent révélés ou non – ce qui offre des récompenses intrinsèques et extrinsinques très habilement graduées selon nos actions – si bien que sitôt a-t-on réussi une voie de sortie qu’on est tout de suite tenté d’y retourner pour en découvrir d’autres.
Or, sur cet aspect-là le jeu est bien ficelé puisqu’il nous permet de reprendre notre ancienne sauvegarde juste avant l’acte irrémédiable qui nous conduit sur une voie plutôt qu’une autre.
Tout est donc optimisé pour qu’on explore de fond en comble cet univers et franchement on aurait tort de s’en priver.


On aurait d’autant plus tort qu’au-delà de l’intrigue, c’est enfin l’univers développé par ce jeu qui est aussi admirablement cohérent.
Parce que l’air de rien, à mixer Rome antique, punition divine et voyages dans le temps – et tout cela pour générer des mécaniques de jeu efficaces – Nick Pearce ne s’était pas facilité la tâche. Seulement voilà, en plus de proposer un mix plutôt original, l’habile modeur est parvenu à tout reconnecter et surtout à tout justifier.
Et l’air de rien cette réussite est loin d’être anodine, parce que non seulement cet ouvrage scénaristique complexe présente comme grand intérêt d’explorer intelligemment (et avec justesse) la société romaine à travers ses lieux de vie, l’histoire de ses habitants, ainsi que ses cultes et croyances, mais en plus il permet de broder tout autour de ça…


…tout un lore science-fictionnel qui sait produire son effet. Parce que si d’un côté cette histoire de dieux extra-terrestres a un petit côté Stargate-SG1 qui ne lui rend pas trop honneur, de l’autre cet aspect futuriste et galactique permet d’offrir une justification à tout et surtout se proposer de sacrés moments forts.
Pour ma part, l’entrée dans le temple de Pluton qui aboutit en bout de course à l’arrivée dans une station spatiale, j’avoue que j’ai trouvé ça particulièrement efficace.
…Sûrement mon moment préféré de toute ma partie.



Alors après, c’est vrai que tout n’est pas parfait dans ce The Forgotten City et qu’il faut savoir lui pardonner quelques approximations.
Les échanges avec les différents personnages sont par exemple très verbeux et visuellement très figés.
Le character design manque lui aussi clairement d’inspiration, sombrant parfois dans une représentativité mal venue, et l’usage de la langue anglaise – bien que justifiée par le scénario – n’en reste pas moins un élément récurrent qui nous donne davantage l’impression de nous balader dans une pièce de théâtre élisabéthaine plutôt que dans une cité romaine oubliée.
Difficile également d’ignorer les lourdeurs qui sont inhérentes à l’accomplissement de certaines tâches. Je pense notamment à l’accomplissement des « missions » que se doit d’accomplir Galerius (les initiés comprendront) et dont l’inertie se révèle vite gonflante, surtout quand elles doivent se répéter sur la fin.
Enfin, je ne saurais passer sous silence quelques errances techniques qui peuvent légèrement nuire à l’immersion et au plaisir : des temps de chargement assez longs, un maniement de l’arc un brin perfectible, ou bien encore une ambiance sonore au final assez pauvre et qui pénalise un tout petit peu le soin apporté à l’atmosphère du jeu.


Malgré tout, une fois dit tout ça, il me semble qu’il faut quand même savoir ce qu’on vient chercher dans un jeu et ce qu’il convient de notifier quand – par miracle – on parvient par le trouver.
Parce que des jeux plastiquement magnifiques, à la bande-son enivrante et aux mécaniques de jeu parfaitement rodées, personnellement j’en ai parcouru quelques-uns ces derniers temps. Ah ça !Oui, à ce niveau-là, ils étaient impeccables les Bloodborne, les Ghost of Tsushima ou autres Control !
…Mais ils étaient chiants aussi. Bien lassants. Et finalement assez quelconque.


Alors qu’à côté de ça, quelle richesse d’expérience contenue dans ce The Forgotten City !
Une aventure dense, riche, originale, ouverte, et qui en plus ne s’égare pas dans le temps.
Une aventure qui, en plus, parvient à finir d’une manière vraiment malicieuse. Une fin qui à la fois questionne le rapport au temps, à ce qu’on laisse, et à l’histoire en général.
Ah ça ! Il faudrait être bien capricieux pour ne pas se réjouir de telles qualités tout ça à cause de quelques fautes de goût et quelques manques de justesse technique !


A mi-chemin entre le jeu indé et le jeu de studios, The Forgotten City montre à l’industrie la voie à suivre.
Des jeux moins gourmands en ressources mais plus appétissants en enjeux.
Des jeux qui savent ne pas s’étaler inutilement en durée, en superficie et en mission.
Des jeux perfectibles certes, mais des jeux personnels, qui tentent quelque chose.
Comme quoi il serait peut-être temps qu’enfin, les studios se mettent eux-mêmes à moder leur propre logiciel…
…Voilà qui pourrait peut-être bien les sortir d’une boucle mortifère.

Créée

le 1 déc. 2021

Critique lue 804 fois

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