Etait-ce le dernier représentant du jeu d'aventure japonais AAA ?

Enfonçons joyeusement les portes ouvertes : The Last Guardian a pour moi un statut tout à fait particulier, celui de chef d'oeuvre raté.
Si la proposition reste excellente et inédite à bien des égards, la copie n'en demeure pas moins truffée d’écueils qui ternissent considérablement le tableau.
Le temps ayant adouci mes souvenirs, j'estime aujourd'hui avoir planté les derniers clous de mes regrets dans le cercueil vermoulu de mes attentes disproportionnées. La hype, cette vieille catin vérolée, m'aura fait du gringue jusqu'à l'épuisement total d'intérêt pour un projet particulièrement ambitieux. Peut-être un peu trop. Changeant de prisme, le pitch de The Last Guardian prenait une direction radicalement opposée à celle d'Ico, faisant du joueur le protégé fragile et non le protecteur invincible.


Un coup d’œil rapide sur la jaquette et sa différence d'échelle ne vous ne vous aura pas trompé : Trico ou Teu-ri-co comme le personnage l'appellera avec sa petite voix fluette, incarne ici l'attraction qui canalisera vos efforts, afin de s'extirper vivant de cette grande citée malade.
L'art véritable de The Last Guardian ne réside pas dans une direction artistique somptueuse et cette mélancolie poétique caractéristique des œuvres d'Ueda, mais dans ce souci du détail maniaque qui tend à rendre la chimère, cette grande supercherie, plus vraie que nature. Assemblé de bric et de brocs, cette somme de bouts de codes savamment mis bout à bout parvient, le temps d'une petite douzaine d'heure, à faire fondre le cœur de n'importe quel fan endurci de Full Metal Alchimist. C'est brillant, et le seul exemple qui me vienne en tête quand je voudrais parler du design d'une intelligence artificielle serait sans doute le xénomorphe d'Alien Isolation.


L'autre trait de génie de TLG réside dans cette intelligente conception de l'oeuvre autour d'une synergie presque parfaite entre le game design et la narration. La porosité entre ces deux dimensions aux interactions bien trop souvent unilatérales est permanente et savamment entretenue tout au long du périple de l'étonnant binôme. Les péripéties font office de prétexte à la construction progressive d'une relation contre nature entre un homme et une chimère. Si le frein le plus trivial à l'épanouissement des liens entre les deux protagonistes est tout simplement la barrière de la langue, le jeu parvient à habilement distiller des éléments de compréhension sur l'énigme Trico. À l'image du jeune homme, isolé dans le mausolée d'une civilisation qu'il n'a jamais connue, le joueur apprend à connaître l'animal. Ce processus d'apprentissage est d'ailleurs d'une justesse incroyable, mettant en exergue le travail titanesque abattu sur l'IA de la bestiole. Cet ensemble cohérent permet de faire écho à ce que traverse n'importe quel propriétaire d'animal : craintes, défiance, curiosité, peurs, incompréhension, frustration, complicité, tendresse et une montagne d'empathie.


Et c'est sans doute sur ce point que TLG a laissé le plus de joueurs sur le carreau, tant il parvient à générer de la frustration au travers de longs moments d'incompréhension, où les ordres flous de l'enfant n'amènent pas le résultat escompté. Parfois s'adapter sera synonyme de succès, mais pour d'autres une séance de répétition agaçante sera nécessaire. Comme avec n'importe quel être vivant, la phase de construction d'une relation demande du temps, de la patience et de la pédagogie. Le degré de crédibilité était tel que je me suis pris à invectiver vivement la créature, empli parfois d'une éprouvante frustration. Mais c'est le sel du jeu : ce game design de la frustration est conçu dans cet exact but.
Les heures passent sans se ressembler, à mesure que les liens entre les deux êtres se resserrent les possibilités de gameplay s'étoffent, en parallèle de l'affection que nourrit le joueur à l'égard de la créature.


Mais à la marge de ces points forts, TLG porte également les stigmates de son développement douloureux. À tel point qu'il me semblerait injuste de ne pas lui en tenir rigueur. Car oui, la technique dégrade grandement l'expérience de jeu. Les problèmes récurrents de caméra handicapent souvent l'exploration et la lisibilité de l'action, alors que le framerate complètement à la ramasse donne des arrière-goûts de séance diapo indignes de ce que le jeu semble pourtant afficher.


C'est en définitive à vous de déterminer si vous serez en mesure de faire fi de ces contrariétés pour vous lancer corps et âme dans une production qui restera sans aucun doute unique, tant dans son propos que la virtuosité de son gamedesign, sans doute la dernière oeuvre de cette envergure.

YvesSignal
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma ludothèque PS4, Les meilleurs jeux de la PlayStation 4 (PS4) et Les meilleurs jeux vidéo de 2016

Créée

le 30 janv. 2018

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Yves_Signal

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