Critique 100% Spoiler free.
Ueda Fumito est une personne qui a les défauts de ses qualités. Par exemple, il écrit des jeux trop ambitieux pour la technologie disponible au moment de l'écriture sus-mentionnée. C'était le cas pour Ico, à l'origine prévu sur une Playstation incapable de le faire tourner avant d'être reporté sur PS2. C'était aussi le cas pour Shadow of the Colossus, prévu et sorti sur une PS2 à bout de forces alors qu'il n'est finalement à l'aise que dans sa conversion PS3. Et c'est encore une fois le cas pour The Last Guardian, initialement annoncé sur PS3 alors qu'il ne tourne correctement que sur une PS4 Pro qui, comme le hasard fait bien les choses, est sortie peu ou prou au même moment. Oui, M. Ueda utilise plus que de raison les ressources dont il dispose.
Mais il y a une raison à cela : c'est un créateur qui transmet des choses très fortes, bien plus grandes que le cadre étriqué d'un écran de jeu vidéo. L'isolement, la peur, le froid, la trahison mais aussi la confiance, l'attachement, la fidélité, l'amour. Et pour faire vivre tout cela, il faut des moyens hors norme. Quitte a faire plier la machine à 5 frames par seconde, à livrer une caméra qui fait n'importe quoi, ou à proposer une maniabilité tellement bancale qu'elle peut rendre fou.
Voila donc le dilemme. Peut-on pardonner, sous couvert de faire vivre une expérience unique, des défauts qu'aucun service qualité digne de ce nom ne laisserait passer si le nom Ueda n'était pas associé au projet ? La réponse est oui, cent fois oui. Il faut vraiment voir la prouesse que représente The Last Guardian, à tous les niveaux : l'animation et l'IA de Trico, absolument époustouflantes et qui lui octroient derechef le titre de PNJ le plus convaincant de l'histoire des jeux vidéo, le level design souvent brillant qui frôlerait presque le sans faute si les combats n'étaient pas aussi brouillons, la direction artistique absolument somptueuse... Les 10 ans de développement ne sont plus une surprise, il n'existe rien de comparable, sur aucune autre plateforme.
Mais le plus important n'est pas là. La grande réussite de The Last Guardian, c'est ce sentiment d'avoir vécu et partagé une aventure unique. Trico est là, il bouge, il respire, il vit, il lutte aux cotés du joueur. Inévitablement, inexorablement, l'attachement devient réel. Jusqu'à un final déchirant dans tous les sens du terme dont il est impossible de ne pas sortir boulversé. J'ai fini le jeu hier, après une grosse dizaine d'heures, et Trico me manque déjà.
Alors d'accord, la jouabilité est globalement médiocre, la faute principalement à une caméra à la ramasse et à un contrôle vraiment imprécis et délicat. Ok, Trico n'en fait souvent qu'à sa tête, quelquefois en dépit du bon sens, et peut à lui seul bloquer le jeu pendant plusieurs minutes, voire plusieurs heures. Mais en fait on s'en fout. The Last Guardian est certes très imparfait, mais Dieu que le voyage est beau.