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Fin Juin 2020, c’est la sortie d’un jeu vidéo que beaucoup attendent depuis maintenant sept ans : la suite du phénomène The Last of Us. Œuvre quasiment unanime chez les joueurs et chez la critique, sa deuxième partie ne bénéficie pourtant pas de la même bienveillance. En effet, elle est sujette à de nombreux retours cinglants et obtient des notes très décevantes de la part d’une partie des joueurs, creusant ainsi davantage l’écart avec la notation élogieuse de la presse. A l’heure où les conflits abscons fleurissent et où les polémiques dominent, que vaut vraiment The Last of Us Part II ?



The Last of Us



L’œuvre initiale correspondait sans aucun doute à un must-have dans le cœur des joueurs. Grâce à une combinaison ingénieuse de quelques sources d’inspirations bien connues et d’une originalité propre, le titre phare de Naughty Dog a marqué profondément les esprits au point de proposer une œuvre post-apocalyptique unique, puissante, et intime. Dans le chaos maintenu par les infectés et par les derniers survivants, nous avons vécu un récit assurément simpliste mais doté d’un développement expert pour forger une histoire impressionnante et immersive.


L’avantage fut celui de suivre le périple tortueux de deux personnages qui ont tout perdu et qui ont trouvé l’un chez l’autre un parent de substitution. En effet, la mise en place d’un duo adulte-enfant a permis de dépeindre l’importance du lien humain dans un monde si dévasté par la mort et la désolation. D’abord par le personnage d’Ellie, une petite fille qui ne connait que le monde post-apocalyptique dans lequel elle est née et qui abandonne toute son innocence pour survivre. Puis avec le personnage de Joël, père endeuillé par la transition brutale de l’ancien monde et du nouveau, mais qui retrouve la joie de vivre à travers Ellie. C’était le message à la fois simple et fort de Naughty Dog : la notion de protéger et d’aimer surtout dans le monde de The Last of Us à travers une histoire remarquable et touchante.


Voilà maintenant sept ans que les joueurs ont imaginé une suite au plan final et magistral de The Last of Us. De longues années qui ont permis de faire naître d’innombrables fantasmes chez des millions de fans désireux de continuer les aventures d’Ellie et de Joël. Toutefois, le fait est que The Last of Us pouvait facilement perdurer comme un one shot intouchable sans que la production d’une suite n’en devienne obligatoire. Qu’on le veuille ou non, la deuxième partie vient de débarquer avec ses propres convictions, ses nouvelles méthodes, et ses choix scénaristiques conflictuels. En effet, le titre opte pour quelques parti-pris et s’émancipe radicalement du premier jeu au point d’engendrer légitimement de vifs débats. Alors que le nouveau terme à la mode « review bombing » est sur toutes les lèvres pour justifier les mauvais retours sans chercher une seule seconde à comprendre la déception d’un nombre important de joueurs, la raison d’un tel durcissement à l’égard de cette suite apparait pourtant de manière logique. The Last of US Part II décide d’aborder son aventure d’une façon intrigante qu’on peut légitimement juger autant de manière audacieuse que de manière désastreuse en fonction du point de vue. A mon sens, la narration de cette suite s’avère schizophrène sur bien des aspects, oscillant régulièrement entre l’excellence et le nullissime.



Œil pour œil



L’histoire prend place quelques années après les événements du premier The Last of Us. Joel et Ellie sont maintenant les membres intègres d’une grande communauté qui s’organise afin de créer un semblant de civilisation. Nos deux personnages se sont aussi parfaitement adaptés à leur nouvelle situation, vivant de jours heureux à travers une relation père-fille. Toutefois, cette paix prospère est rapidement anéantie lorsque le passé de Joel refait surface. Comme on pouvait facilement s’en douter les actes de Joel dans l’hôpital Saint-Mary deviennent le fondement de cette nouvelle intrigue et régissent les règles de l’histoire. Peu de temps après le début de l’aventure, les ex-lucioles retrouvent le vieil homme et l’assassinent violemment sous les yeux d’Ellie, impuissante. Une scène qui s’agrippe à notre âme et subjugue par son sens aiguisé de la mise en scène et de la tension. Conformément à la Loi du talion, l’histoire s’engage alors dans une quête de vengeance pour le meurtre de Joel.


Avec ce récit de haine vécue principalement à travers la fureur vengeresse d’Ellie, le jeu est conçu de manière à élaborer une réflexion sur le cycle infernal de la vengeance et les nombreuses victimes de cette déesse dévorante. Thème intéressant sur le papier, cette suite ne parvient pourtant pas comme le premier jeu à travailler son évidente simplicité pour forger quelque chose d’unique. Plus on progresse dans l’histoire, plus on est anesthésié face à tous les écueils qui heurtent l’aventure la rendant parfois fastidieuse à suivre. On reste tout du long du périple avec un concept bancal et banal du thème de la vengeance sans que le titre ne parvienne à s’émanciper des trop nombreuses œuvres qui traitent du même sujet. Pire, The Last of US Part II tente également d’établir l’évidente morale que la vengeance entraine inéluctablement la vengeance tel un cycle sans fin. Ainsi, quand Ellie torture et massacre les fautifs du meurtre de Joel, c’est toujours pour passer la seconde suivante dans un temps de réflexion pour affirmer encore à quel point la vengeance est une mauvaise chose.


Cette suite perd finalement en maîtrise dans sa méthode pour nous conter son histoire et aborder son thème. En effet, le jeu opte pour une narration éparpillée à travers le périple d’Ellie ainsi qu’une seconde partie où nous incarnons Abby. On y découvre ainsi toutes les facettes de l’histoire, mais c’est toujours pour charcuter une narration déjà bien malmenée. Incarner Abby n’est qu’un élément de plus pour construire des situations mélodramatiques dans le but d’émouvoir et de mieux comprendre le personnage, mais celles-ci s’avèrent le plus souvent inconsistantes. Ce long moment que nous passons avec Abby avait sans doute l’objectif de créer une situation miroir avec celle d’Ellie, afin de nous prouver que ces deux vengeances s’articulent en réalité de la même manière. Une ambigüité morale rendant le meurtre de Joel par Abby tout aussi légitime que la vengeance d’Ellie. Mais le message parait grossier tant il est explicite mais pourtant étudié lourdement en long, en large, et en travers. En résulte une narration schizophrène qui dessine un chemin psychologique hasardeux, accentuant ainsi le caractère creux de certaines situations et de certains messages. Seule la mise en scène hérite du savoir-faire de Naughty Dog au service d’une tension intenable qui n’épargne jamais le joueur lors de scènes violentes et cruelles comme rarement dans un jeu vidéo.



Direction Seattle



The Last of Us Part II n’a pas modifié grand-chose de son prédécesseur concernant l'exploration et le gameplay, au point de conserver tous les bons éléments qui caractérisaient le premier jeu. Cette suite mise donc sur son ambiance mémorable pour nous amener le plus régulièrement possible dans un état contemplatif. A l’instar de la grande majorité des œuvres de Naugthy Dog, la moindre pause pour admirer le panorama ou le moindre décor intérieur ravagé tape dans l’œil. Le fait qu’on se retrouve en fin de génération de console ne change rien à cet aspect car l’impression donnée est celle de jouer à une œuvre qui aurait sa place parmi les futurs jeux de la PlayStation 5. On ne note donc aucun manque de netteté ni aucune petite texture disgracieuse au cours de l’aventure, en plus d’évoluer auprès d’une direction artistique qui insuffle une véritable âme à ce nouveau terrain que nous parcourons. A ces phases de contemplation s’ajoutent les habituelles situations stressantes où le danger rode constamment dans un rythme si particulier : impossible de véritablement être tranquille, notamment avec une bande originale ingénieuse et des bruitages saisissants, car ce monde post-apocalyptique nous soumet toujours à l’angoisse dès que la curiosité d’explorer s’avère trop tentante.


Avec plaisir, on retrouve également cette coexistence entre le craft et l’exploration. Le rôle de ces deux éléments reste toujours aussi important dans le sens où l’aspect survie de l’aventure demeure encore une fois dans la même idée que le premier The Last of Us. On passe donc évidemment une bonne partie de l’aventure à fouiller consciencieusement les moindres recoins et tous les tiroirs d’une maison. La curiosité paye puisqu’elle permet de découvrir des munitions, de nouvelles armes, des aptitudes supplémentaires, et des informations intéressantes à lire. Cela dit, il est aisé de regretter un manque de nouveautés de la part de Naughty Dog. Avec sept années d’écart entre les deux titres, les seuls ajouts inédits comme les coffres à déverrouiller et les quelques nouveaux collectibles demeurent bien maigres alors que le monde du jeu vidéo a bénéficié d’évolutions conséquentes.


La seule véritable innovation dans ce domaine se cache dans les scènes de combat qui sont à l’image de la narration concentrée sur la violence, la colère, et le remords. Lors des phases d’action, le fait de poignarder un adversaire se fait le plus souvent d’une manière très lente au point que l’image du couteau qui se fraye un chemin dans la chair et entre les os vous lâchera forcément une grimace. Dans une même idée, le fait de tuer un ennemi non loin d’un autre pourra de temps en temps vous procurer un sentiment de regret, car vous pourrez l’entendre hurler de douleur suite à la perte d’un membre ou énoncer une dernière parole chaleureuse à l’égard d’une personne particulière. C’est notamment le cas des chiens, nouveaux ennemis de The Last of Us Part II, qui peuvent se diriger vers le corps inerte de leur maître et rester auprès de lui pour le pleurer. Une mise en scène méticuleuse donc, doublée d’une IA qui ne se cantonne pas à sa tâche habituellement simpliste mais devient un des rôles les plus importants du titre pour véhiculer des émotions puissantes.



Conclusion



2013 fut l’année d’une œuvre qui marqua durablement l’esprit des joueurs pour indéniablement et légitimement gagner sa place au panthéon du jeu vidéo. The Last of Us incarnait la preuve que le monde du jeu vidéo n’était pas encore perdu malgré l’abondance des productions clonées qui encore aujourd’hui prônent un certain académisme par facilité. Un chef-d’œuvre synonyme d’espoir, nimbé de sincérité et de justesse dans le but de proposer une expérience mémorable avec amour et respect des joueurs.


2020 est l’année de la suite du phénomène The Last of Us. Son histoire inédite décide de ne pas épargner le joueur en lui procurant un profond malaise lors de nombreuses scènes d’une violence rarement aussi immersive dans un jeu vidéo. C’est aussi le retour de ce sentiment presque joyeux d’évoluer dans un monde dévasté et de prendre du plaisir à explorer les vestiges de l’ancien monde. Quoi qu’il en soit, le titre a malheureusement la trop grande lacune de ne jamais réussir à atteindre la justesse émotionnelle et la maîtrise du récit du premier The Last of Us. Une œuvre mitigée donc, mais qui sort tout de même du lot dans le paysage vidéoludique de ces dernières années.



Things happen... and we move on.


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le 20 juil. 2020

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Death Watch

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