Sept ans. Sept longues années que Naughty Dog jouent avec nos nerfs quant à la suite de Last of Us premier du nom, quintessence de leur virage vers le jeu vidéo pour adultes (je caricature en disant que Crash Bandicoot est pour enfants et Uncharted pour ados) avec l’envie de brouiller toujours un peu plus les frontières entre jeu vidéo et cinéma. Comme d’habitude, l’attente et le teasing régulier auront eu raison des fans, dont les attentes ont été trop fortes et, surtout, trop précises pour tolérer le moindre écart – ce que fait précisément Neil Bruckmann et sa scénariste Halley Gross.


Les haters ne manquent pas d’arguments : l’homosexualité d’Ellie, le plot twist concernant Joël, la seconde partie du jeu, le personnage même d’Abby et son physique particulier (poussant même jusqu’à lui conférer le statut de transsexuelle, ce qu’elle n’est pas : magie des “joueurs” qui ont regardé des vidéos juste pour pouvoir juger). Les différents leaks précédant la sortie n’ont pas aidés, faut dire. Pourtant, au-delà du manque total d’intelligence de la plupart de ces commentaires, celui qui me semble le plus intéressant est celui concernant l’orientation de l’histoire et des personnages : oui, Last of Us II est en totale cohérence avec le premier opus, n’en déplaise aux imbéciles qui réduisent trop vite la portée philosophique d’un jeu.


Car c’est bien de philosophie qu’il faut parler ici. Last of Us II repose tout entier sur la question du bien et du mal, et du fait que la morale est affaire du point de vue. D’où le coup de force du milieu du jeu.


En nous faisant passer du côté de la « méchante », en nous donnant à comprendre ses motivations mais aussi son univers, on se rend compte qu’une seule facette de l’histoire ne suffit jamais. La dimension politique (car oui, difficile de ne pas tenir compte que le jeu a été développé en bonne partie sous l’ère Trump) pousse même le vice de conférer aux ennemis une troisième dimension, avec leurs envies, leurs frustrations, leurs rêves, leurs espoirs, leurs détresses. À l’heure où un John Wick est adoré pour massacrer des dizaines de silhouettes interchangeables pour venger la mort d’un chien (John Wick qui, à sa manière, brouille également de plus en plus la frontière entre cinéma et jeu vidéo, mais de l’autre côté de la barrière), Last of Us II nous rappelle que chaque personnage tué a une vie propre, que ce soient les amis respectifs des héroïnes à la jeune fille accro aux jeux vidéo, par exemple.


Le génie de ce second opus selon moi, et ce qui lui a probablement coûté sa place sur le bûcher des fans insatisfaits, est de vouloir bousculer le spectateur en lui rappelant une chose très simple et souvent oubliée : chaque acte a une conséquence.


C’est parce que Joël a choisi la voie de l’égoïsme brutal qu’il meurt. C’est parce qu’Ellie décide de se venger que son monde s’écroule au fur et à mesure, jusqu’à tout perdre – précisément ce qui arrive à Abby en parallèle. Tout est affaire de cycle, ici un cycle de violence, que l’on ne peut réellement stopper que soi-même, par effort. Si je trouve dommage que le jeu ne s’arrête pas sur la victoire d’Abby dans le théâtre, laissant Ellie en proie à la culpabilité, je dois bien reconnaître que la prise de conscience d’Ellie est logique et cohérente. Dans le fond, les personnages cherchent moins la vengeance que la paix intérieure, égoïstement.


Et puis techniquement, c’est tout simplement magistral, même si je regrette personnellement quelques décors où il est difficile de se repérer, la caméra n’aidant pas toujours à se déplacer correctement. La motion capture offre un rendu assez bluffant par moments, notamment au niveau des expressions faciales. Puis, bon, honnêtement c’est vrai que l’IA n’est guère brillante, je dois bien l’avouer, et qu’on n’évite pas l’effet pour l’effet par moments. Que sont toutefois ces quelques coups dans l’eau pour un jeu qui se concentre sur autre chose, parfois maladroitement, mais toujours avec application. Le temps fera son oeuvre et nous dira si Last of Us II traversera les âges et les modes sans trop d’encombres. D’ici là, comme le chantait Ellie…



I walk through the valley of the shadow of death



And I fear no evil because I’m blind to it all



And my mind and my gun they confort me



Because I know I’ll kill my enemies when they come



Surely goodness and mercy will follow me all the days of my life



And I will dwell on this earth forever more



Said, I walk beside the still waters and they restore my soul



But I can’t walk on the path of the right because I’m wrong



But I can’t walk… on the path of the right… because I’m… wrong…



(Source : https://www.youtube.com/watch?v=qPNiIeKMHyg)


Cinemaniaque
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le 30 juin 2020

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