Les chemins de la rédemption - analyse et réflexions

Une claque monumentale. Une oeuvre dense, ambitieuse, d'une richesse immense, généreuse dans sa forme, courageuse dans son fond.

Cette critique contient des gros spoilers, vous êtes prévenus. Je ne m'attarderai pas ici sur les aspects techniques du jeu, incroyables, méritant à eux seuls le prix du plus beau jeu vidéo jamais conçu. Ni sur le gameplay, parfait dans son dosage d'infiltration et d'action.
Non, ma critique se focalisera sur la narration et la portée du propos de ce, déjà, monument vidéoludique.

Pour commencer...

The Last of Us est un chef d'oeuvre du jeu vidéo, et c'est plutôt unanime. Je me souviens encore très bien de l'état dans lequel j'étais au générique de fin: sonné, à regarder dans le vide, à prendre conscience de la nature profondément égoïste de l'humain, à commencer par la mienne, qui ne voulait pas voir Ellie et Joël séparés... Mais à quel prix? Serai-je prêt à le payer à mon tour? Qu'aurai-je fait à la place de Joël ?... Il m'arrivait encore de repenser à ce final mémorable des années après. Avant d'attaquer cette part II...

Le son de l'inéluctabilité

Je lis ici et là que cette deuxième partie a trompé les personnages, qu'elle n'est pas en cohérence avec ce qu'ils étaient dans la première partie. Ce que je trouve immensément faux. Il est évident que le final de la première partie délivre un message fort sur le fait que Joël a commis une atrocité, par amour. Comment croire, après cette fin où Joël ment droit dans les yeux d'Ellie, pour à nouveau être père, que les personnages auraient une suite reposant sur les mêmes rapports que dans le premier ?
Toute la profondeur de cette fin était de savoir qu'Ellie ait été trompée et que si elle l'apprenait, tout s'effondrerait...

Ellie et Joël, c'est une relation tellement réaliste, se construisant à travers de nombreux non-dits (ce qui faisait l'immense force du premier volet et, encore une fois, catalysée par cette conclusion) et cette partie 2 est la conséquence inévitable d'un amour construit sur un mensonge...

La structure narrative de ce part II est brillante. Un peu à la manière d'un Kojima avec MGS2, le jeu nous prend à revers en nous faisant incarner un tout nouveau personnage. Et quel personnage... Mais nous y reviendrons.

Le point de rupture est une scène choc, rappelant les plus grands films de genre. Bouche bée, coup de poing dans le ventre, il a été compliqué pour moi de reprendre le jeu après cette scène du chalet.

C'est rare dans un jeu vidéo d'être aussi impliqué émotionnellement. Et si vite. L'enjeu principal de cette oeuvre se dessine... Les larmes aux yeux, la quête peut commencer...

Vengeance, justice, rédemption

Lorsque l'histoire se referme, et qu'on la regarde dans sa globalité, on peut voir que la quête d'Ellie était la démonstration de l'amour qu'elle porte à Joël et la tentative vaine de rattraper ce qu'elle a raté : le pardonner. Elle avait déjà compris que l'acte de Joël était purement un acte d'amour. Et comme il le dit si bien dans l'épilogue, il le referait sans hésiter : il est prêt à sacrifier l'humanité pour faire vivre Ellie, pour elle oui, mais surtout pour lui. L'amour est égoïste, c'est le constat glaçant ici.

Et quand on apprend qu'Ellie savait ce que Joël avait fait, et que malgré ça, elle poursuit sa quête de vengeance, ça démontre qu'Ellie donne raison à Joël : notre rapport égoïste à l'individu passe naturellement au dessus du bien commun.
Et toute la subtilité de l'évolution d'Ellie est de comprendre si Joël, et par extension l'humain, a tort ou raison...

Le flashback où l'on comprend que Ellie savait, c'est un point de bascule. Le jeu n'est plus une quête de vengeance: il devient une quête de rédemption.

Ce qu'elle croit lui devoir en quelque sorte. Après ce qu'il lui a donné. À elle. De son point de vue.
Et ce qui est dingue, c'est qu'on la comprenait mieux et on justifiait davantage ses actes quand on pensait qu'elle ne savait pas. L'ignorance est mère de l'innocence.

Si elle se donne à toute cette violence, elle ne peut pas savoir, c'est impossible, qu'on se dit. Et en réalité, elle sait... Alors pourquoi poursuit-elle sa quête de vengeance ? (C'est drôle que notre nature humaine comprenne si bien ce concept... et c'est tout le propos). Parce que ça n'en est, finalement, pas une. Aller au bout de sa quête, c'est prouver à Joël qu'elle le pardonnait. Et à défaut d'avoir pu le faire de son vivant, la quête d'Ellie est ce besoin inextricable de rattraper son erreur.

La vengeance d'Ellie se révèle être une quête de redemption, là où celle d'Abby part d'une vengeance accomplie vers une quête de rédemption réparatrice.

Incroyable jeu de miroir entre les 2 personnages.
Ellie qui ne tuerait finalement pas Abby, c'est sa dernière chance de sauver son humanité, l'humanité de l'individu, donnant les clés pour sauver, peut-être, l'Humanité.

Et on le sait, nous joueurs. Nous ne voulons pas qu'Ellie aille au bout. Car les auteurs nous le font comprendre très simplement : une vie ne peut être impersonnelle. C'est encore une fois l'individu. Et ça n'est qu'en considérant l'individu que l'humanité a un espoir de rédemption. La rédemption d'Ellie, ce qu'elle doit à Joël, c'est de trouver son humanité.

Tout le contraire de ce que nous faisons tout au long du jeu, nous joueurs, en tuant ces ennemis impersonnels, inconnus. Et si nous trouvions aussi notre humanité. en arrêtant de faire ce que le jeu nous dit ?
Le jeu prend le temps de nous faire comprendre l'autre, à travers ce personnage formidable d'Abby...

L'enfer, c'est les autres.

Incarner Abby, c'est nous mettre face d'abord à nos contradictions. Nous ne voulons pas l'incarner. On voit très bien où les auteurs veulent en venir et on ne nous y prendra pas: team Ellie forever. Et petit à petit, pour peu qu'on prête attention à la portée du chemin d'Abby, on ne peut que comprendre... L'autre d'Abby, c'est ce Joël. Et ça n'est pas parce qu'il a empêché la survie de l'humanité qu'elle lui en veut. C'est parce qu'elle a été personnellement touchée par son acte. L'individu encore. L'égoïsme humain. Comment ne pas la comprendre? Et comment ne pas voir sa rédemption à elle, par ses actes envers les Séraphites. Abby, c'est Ellie qui a une avance sur sa quête d'humanité : elle a déjà consommé sa vengeance, elle sait que son humanité doit être retrouvée. Encore ce jeu de miroir.

Il y a tellement à dire sur cette oeuvre.
Mon dieu, ce moment apocalyptique sur l'île des Séraphites, allégorie du fond de cette histoire: la nature humaine plaçant ses rapports personnels au dessus du bien commun ne peut qu'aboutir à la perte de l'humanité. Le salut ne peut passer que par la volonté propre de toutes les parties de renoncer à la justice subjective.

C'est tout le message: la paix ne tient qu'à un fil, qu'il convient aux antagonistes de ne pas casser, malgré les impacts personnels. Impossible ? Pas humain.

La bête humaine

La vengeance est une réponse à un acte de haine, la rédemption est une réponse à un acte d'amour. Ellie doit quelque chose à Joël, Abby doit quelque chose à Lev. Ou comment dire que les personnages n'ont pas de véritable libre arbitre. Leur nature profonde, dans un tel contexte, ne peut que prendre le dessus.

Et c'est pourquoi les infectés sont à la fois l'élément secondaire de l'histoire, tout en étant l'allégorie de ce contre quoi les personnages luttent : devenir une bête.

Dans le fort de Santa Barbara, les infectés sont des bêtes de foire. L'homme, par sa conscience et son libre arbitre, peut devenir pire ou meilleur que la bête ? Toute la réponse est dans la décision finale d'Ellie. L'espoir nait de cet acte non subi. Ça n'est pas qu'elle ne puisse pas le faire au final, elle décide. De ne pas tuer. La conscience du pourquoi nous vivons, c'est la lueur d'espoir pour l'humanité.

Dans un monde où la survie est le maître mot, vivre a été oublié.

Et ce message s'adresse (surtout) au joueur : avez-vous conscience de ce que vous faites parce que le jeu vous le demande ? Je n'avais jamais ressenti ça: ne pas vouloir faire ce que le jeu m'impose. Non je n'appuierai pas sur ce bouton carré. Non... Et pourtant je le dois si je veux voir la suite. Et donc je le fais... Ai-je un libre arbitre en tant que joueur ? Bien sûr que non. Quelle belle idée ambitieuse que de ne pas proposer un choix final avec fins alternatives. L'illusion d'un libre arbitre ne sera jamais un libre arbitre.

Par contre, en lâchant la manette, je redeviens humain et je peux donc prendre conscience de la portée de mes actes. Je peux décider.

Quelle ambition. Quelle profondeur du propos. Quelle oeuvre monumentale. Et cette critique ne fait qu'évoquer qu'une partie des multiples niveaux de lecture.

Depuis que je l'ai terminé, je ne fais qu'y penser, le jeu questionne mon humanité. Écrire ce texte est un exutoire, une catharsis.

Je ne pensais pas être davantage chamboulé qu'à l'issue du premier volet. Force est de constater que si.

Guiguich
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le 3 nov. 2020

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