Breath of the Wild a cumulé les critiques dithyrambiques, entre réinvention brillante de ses propres codes et consécration comme meilleur épisode de la série, au point de douter de leur sincérité, à une période où l’agressivité du marketing suit la hausse des budgets de production. Cependant, face aux avis positifs de commentateurs que je considère de référence, je me décide enfin à explorer les plaines d’Hyrule et leurs alentours.


Le choix – peu risqué mais actuellement logique – du monde ouvert est d’autant plus appréciable qu’il invite au voyage par ses étendues variées, immenses et détaillées, par la beauté des levers de soleil et des clairs-obscurs nocturnes. Au point de contraster davantage avec des faiblesses jusque-là jamais encore compilées dans un seul et même opus, faisant inévitablement décroître l’implication du joueur. Les sanctuaires ? D’abord relativement captivante selon la difficulté des énigmes à résoudre, leur recherche devient vite purement utilitaire, pour obtenir emblèmes et portails de téléportation. Les noix Korogus ? Impossible ou presque d’en venir à bout sans soluce, et d’un intérêt aussi faible que son utilité finale. Les lieux secrets ? Oubliez rites initiatiques et passages véritablement marquants – du type Hollandais volant ou monde englouti dans The Wind Waker –, vous n’aurez droit qu’à ces sanctuaires dont on se fout et quelques rares ambiances vaguement travaillées. Explorer pour le fun ? Les commandes s’avèrent parfois peu cohérentes – ç’aurait été trop simple de disposer du même bouton pour courir à pieds et à cheval – et trop complexes pour les rapides séquences de combat – là aussi, oubliez la contre-attaque instinctive et véritablement kiffante dans The Wind Waker, ainsi que le maître d’armes pour vous aider à les apprivoiser ; quant au contemplatif, vous aurez souvent l’occasion d’admirer la baisse de framerate dans les zones boisées et le popping peu subtile à paravoile. L’équipement ? Collection de fausses bonnes idées : la logique de l’usure des armes est certes cohérente avec la philosophie de cet épisode – « Cela aussi passera » –, mais oblige souvent à se battre avec des seconds couteaux (ah ah), réduisant d’autant le plaisir des phases de combat ; les recettes des plats et potions sont souvent à apprendre en autodidacte, obligeant à de multiples essais dont on se lasse rapidement ; l’évolutivité des sets de vêtements est mal dosée, passant brusquement du non au trop efficace. L’Epée de légende ? Ne vous attendez pas ici à une épreuve longue et périlleuse pour prouver votre valeur (big up aux Gorons), il vous suffit d’avoir amassé le nombre nécessaire de cœurs. Purement terre-à-terre là où on s’attendrait à du légendaire, comme dans « Epée de légende » – CQFD. Les donjons ? Peu nombreux et rapides à terminer, ils réduisent la barre de vie de Ganon qui, comme expliqué plus haut, est déjà simple à battre en étant un tant soit peu équipé ; concernant les pouvoirs des prodiges, ils nuiraient à l’aspect épique des combats s’il en existait un, par leur capacité à accélérer et faciliter l’action.


L’absence d’instants grandioses – épiques comme oniriques – combinée à la collectionnite bassement matérialiste – que l’injection d’un chef Korogu dans la forêt du même sonne alors avec une ironie grinçante – aboutissent à une impression générale de coquille vide. Car il s’en est fallu de peu pour que Breath of the Wild marque véritablement le pas comparativement aux épisodes précédents et à la concurrence actuelle. Une quête secondaire de type collecte n’est pas dérangeante en soit, tant qu’elle reste unique et purement secondaire. Avec la juxtaposition des sanctuaires, des noix Korogus, des souvenirs, des équipements et des multiples missions reprenant cette mécanique, vous avez moins la sensation d’être le sauveur mythologique que le coursier de service. Une arme légendaire doit procurer un sentiment d’héroïsme, auquel Excalibur ne parvient pas. La faute sans doute à une puissance très ordinaire, à l’absence de pouvoirs spécifiques – par exemple déclenchables via des combos – et à cette castratrice obsolescence programmée. Par extension, tout item récompense doit, comme son nom l’indique, réellement récompenser le joueur pour ses efforts, et non déboucher sur la déception avec un putain de sanctuaire (coucou la quête de l'oiseau blanc) ou la frustration avec un item là aussi sans aucun pouvoir ni utilité spécifiques (Alpha). Je fais un aparté sur celle-ci : pourquoi attiser notre curiosité avec une créature divine aux apparitions mystérieuses et fantomatiques, nécessitant observation, patience et endurance pour la capturer, faisant qui plus est visuellement référence au Dieu Cerf de Princesse Mononoké, pour finalement se rendre compte que c’est factuellement juste un cheval à la con, que les relais refusent de l’enregistrer et qu’il disparaît sans prévenir si on prend le risque d’en descendre ? Au lieu de ça, on aurait pu imaginer une capacité à se déplacer sur l’eau – comme dans l’anime, donc –, dans l’air – oui, comme le Père Noël, chacun son délire –, à donner accès à un lieu caché grandiose, voire à un pouvoir dantesque face à Ganon après l’obtention d’un set de vêtements lié à Alpha – la tenue du Sage, par exemple, en référence à son ancienne incarnation ? Enfin, une carte doit donner lieu à découvertes et interactions. Ici, les villages sont rares et vides, les paysages immenses et peuplés de monstres casse-couilles (Octos) ou sans intérêt (quasiment tous les autres), les lieux cachés emblématiques inexistants.


Finalement, Breath of the Wild est un véritablement gâchis, tant les matériaux de bases permettaient d'en faire un titre majeur et la recette appliquée, brouillonne et déséquilibrée, aboutit à ce plat douteux sans saveur ni texture, vaguement sympa et rapidement oubliable. Dommage !

Берт_Ран
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le 14 janv. 2019

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Берт Ран

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