Preuve d'un immobilisme représentatif, Nintendo ne donne toujours pas la parole à son héros. Un état de fait qui illustre parfaitement l'attitude globale du géant de Kyoto face à sa franchise star. On l'attendait fiévreusement et il est enfin là, le nouveau Zelda, le vrai épisode de la Wii, celui qui devrait conclure de la plus belle des manières nos escapades gesticulantes... Et bien, pas vraiment.

Comme Twilight Princess, ce Zelda est assis entre deux chaises. TP était arrivé trop tôt pour la Wii, le jeu n'étant qu'un portage de la Game Cube ; on ne pouvait décemment parler de vrai jeu Wii. En 2006, Nintendo avait besoin d'un titre de lancement fort, d'un soft identitaire qui porterait la console vers des horizons bien différents de la réalité : c'est-à-dire séduire les gamers, alors que la console se tournait vers le grand public. De son côté Skyward Sword débarque trop tard pour la Wii. La boucle est bouclée et ce Zelda sera le chant du cygne de la machine. Pour faire sortir la console avec les honneurs, Nintendo se devait de proposer un représentant hautement qualitatif, et qui mieux que la franchise à la Triforce pouvait honorer cet office ? Au final, la Wii n'a pas eu de vrai de Zelda au bon moment, quand le motion gaming était en effervescence et quand le retard technique de la bécane ne faisait pas encore de la peine.

Car aujourd'hui, c'est bien des larmes qui coulent de nos yeux meurtris à la vue de l'écran de jeu. Nos pupilles perlent des goutes de sang, et non de tristesse. Pour faire simple, Skyward Sword, sur un écran HD, est tout simplement immonde. Ce qui pourrait nous faire penser à une vague d'inspiration néo-impressionniste n'est qu'un cache misère qui aurait fait changer de discipline Signac, Seurat ou Cézanne. L'ambition est louable et on distingue ce vers quoi les artistes ont voulu tendre, mais le matériel de départ est vicié. Quand fin 2011, on constate qu'un jeu Game Cube est plus propre, il semble que la Wii ne soit plus à sa place dans cette génération (mais l'a t-elle été un jour ?). Le résultat est un peu navrant et l'énergie portée (du temps et des ressources) sur le motion gaming – ce qui pourrait expliquer le piètre résultat visuel – n'est pas beaucoup plus reluisant. Ainsi, le moindre écran de contrôle vous proposera de recentrer la caméra par la simple pression d'une touche, ce qui réajustera instantanément cette caméra mise à mal par la manette. Le fantasme de réellement contrôler les moindres mouvements de Link n'est pas encore assouvi, mais personnellement, ce n'est pas dans le mimétisme que j'éprouve du plaisir dans un Zelda. Être sur le qui-vive, à gesticuler sans cesse de façon ample, m'a agacé, plutôt qu'immergé. Néanmoins, cette gestion des distances grâce au Wii Motion Plus m'a, à quelques occasions, surpris. Comme à l'époque d'Ocarina of Time, où la découverte de la 3D nous désarçonna (qui a tout de suite pensé à enflammer un bâton pour brûler une toile d'araignée ?), Skyward Sword m'a parfois étonné. Une énigme en particulier demande clairement de prendre en compte cette notion d'espace. Déroutant et malin ! C'est ce qu'on aime, mais la chose est trop rare pour représenter une vraie plus-value.

Jamais un Zelda n'avait été aussi redondant dans ses environnements. Même Majora's Mask sur N64 et ses quatre donjons proposait une aventure plus varié. Un grief sûrement à imputer à la longueur du jeu, qui clairement ici, dessert l'aventure. Les aller-retours sont légions, accessoires et étirent de façon artificielle la durée de vie. Skyward Sword est un cliché d'un cliché de la saga. Et rien ne va à l'encontre de ce sentiment de « déjà joué ». La seconde partie relève nettement le niveau. Plus diluée, cette dernière est construite autour d'une multitude de quêtes imbriquées les unes dans les autres. À ce moment du jeu, mon enthousiasme a atteint des sommets. En effet, les nouveaux peuples possèdent un design très sympa et leurs personnalités détonnent suffisamment du reste de la franchise pour nous faire esquisser quelques rictus. Certains donjons brillent aussi d'une vraie singularité. Mais rapidement l'engouement s'estompe, on retombe dans la routine. Cette ritournelle, pourtant sans fausse note, nous fatigue et nous harasse. C'est un fait : Skyward Sword ne parvient pas à renouveler la série. Rien ne nous surprend, on sait à l'avance combien de donjons il nous reste à visiter et combien d'objets il reste à découvrir. Après plus de 15 épisodes, Link a toujours cet entrain, cette joie et cette innocence quand il entrouvre fébrilement un trésor. En tant que joueur, cette émotion, nous ne la ressentons plus du tout, à aucun moment. Je ne me souviens plus de la dernière fois où j'ai été étonné par le contenu d'un coffre, c'est triste quand même... Quand la magie disparaît, le plaisir s'efface avec elle.

Nintendo et Miyamoto ont toujours mis un point d'honneur à valoriser le gameplay plutôt que le scénario. Malgré les tentatives répétées de Yoshiaki Koizumi (en charge du scénario sur de nombreux épisodes), rien à faire, la saga garde sa ligne de conduite. Avec ce chapitre, je me demande sincèrement s'il ne serait pas temps de la modifier cette satané ligne. Avec ce Zelda, le scénario ne décolle pas du niveau zero. On ne s'en est jamais plaint auparavant, car le gameplay a toujours été génial et qu'il supportait cette carence. Mais à ce jour, quand ce dit gameplay tourne en rond, il n'y a plus rien pour le suppléer, pour donner envie. L'histoire proposée n'est pas forcement moins bonne que par le passé, mais comme dit plus haut, les tares et autres vices de la série se dévoilent maintenant avec plus de force. Le méchant, par exemple, s'avère être un antagoniste insipide et hormis son charisme apte à rendre jalouses les danseuses du Crazy Horse, les combats le concernant sont mauvais et répétitifs. Et là, on touche au gameplay : la prestigieuse réputation de la marque se corne, en même temps que nos espoirs pour ce jeu s'effondrent. Notons néanmoins certaines scènes touchantes, où Link n'apparaît plus sous sa coquille vide et où il est enfin, et clairement, animé par l'amour. Le héros et la série gagnent en maturité, c'est très bien, mais voyez de quoi il faut se contenter après 25 ans d'existence ! C'est comme s'émouvoir du nouveau système d'objets ou d'endurance de Link : anecdotique.

Je suis très dur avec cet épisode, mais il m'a vraiment déçu. J'aurais pu mettre en exergue les qualités immenses du titre, mais comme la saga, je me serais répété, voyez plutôt : les donjons sont inventifs, le level design est sans faille (on serait presque tenter de dire que c'est normal après 25 ans à faire des énigmes avec les mêmes objets) et certains moments d'héroïsme vous feront quand-même hérisser quelques poils. J'ai grande peine à tirer ces conclusions, mais pour moi le bilan est ainsi ; sans renouvellement, la saga Zelda va se perdre. Mais je n'ai pas envie de croire que la série n'a plus rien à nous raconter.

Dans un monde où il n'y aurait que des jeux moyens, Skyward Sword serait le Game Of The Year. Car, hors de toutes considérations de redondance et de mise en perspective avec le reste de la saga, le jeu est très bon, mais la formule des Zelda commence sérieusement à sentir la redite. De plus, la double promesse faites avec ce titre n'est pas tenue. Celle du voyage dans les cieux est tuée dans l'oeuf par un terrain de jeu trop étriqué (où est le monde ouvert tant escompté ?) et malgré la thématique du ciel, on se sent confiné. La seconde promesse, celle du voyage dans le temps, qui n'apparait qu'au milieu du jeu, est elle, complètement illusoire. Nintendo bricole un théâtre qui ne prendra jamais vie. C'est désolant mais on se lasse de tout, même des meilleures choses. Et quand l'ensemble est couplé à une certaine oisiveté dans le renouvellement des missions, des donjons et des environnements, il n'est pas étonnant de voir apparaître un bilan plutôt mitigé.
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le 23 nov. 2011

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Mehdi El Kanafi

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