Il a fallu que je m’y reprenne en trois fois.
Trois fois où il m’a fallu repartir de zéro et me dire : « Allez ! Ce coup-ci j’y vais jusqu’au bout de ce "Red Strings Club"… »


Si je commence à vous parler de ce jeu en vous disant cela, ce n’est bien évidemment pas un hasard. Car pour moi, cette anecdote, elle dit déjà beaucoup de choses de ce que fut mon expérience de ce « Red Strings Club ». Une expérience suffisamment frustrante pour m’amener à l’arrêter en court de route, certes. Mais aussi une expérience bien trop séduisante pour que je l’abandonne sans le finir…


Car séduisant – ah ça oui ! – ce jeu l’a été pour moi. Et cela dès le départ.
Cette introduction maussade, d’un corps tombant dans le vide sur un ton fataliste, le tout accompagné d’une musique loundge et d’un look 16bits suave et travaillé, ça pose quand-même tout de suite un ton.
Un ton qui m’a plu.
Un ton qui m’a tout de suite donné envie d’explorer cet univers.


Et heureusement que j’avais envie de l’explorer cet univers, car je dois bien avouer que les premières heures de jeu sont quand-même très confuses.
Beaucoup de scénario dès le départ, des interactions très restreintes aux allures de gadgets superficiels et une terrible sensation de grand bordel foutraque m’ont au départ terriblement égaré.
Parce que bon… C’est quoi le but de ce jeu ?
Faire des cocktails ? Glaner des informations ?
Ah non… En fait il s’agit de faire des cocktails POUR glaner des informations.
OK. Ça y est. Je crois que j’ai compris…
Mais alors… Dans ce cas pourquoi ça fait une demi-heure que je passe mon temps à tailler des implants sur mon tour de pottier là ?! Quelqu’un peut m’expliquer ?!


Alors OK c’est marrant ce trip à base d’implants. Mais à côté de ça il y a un scénario qui se déroule avec des détails forts nombreux dont on ne sait pas s’ils vont avoir leur importance ou pas (or ils vont en avoir). Et vu que le gameplay part un petit peu dans tous les sens, ce qui apparait au départ comme sympa se transforme vite en surcharge inutile et contreproductive.


D’ailleurs, la taille d’implants, on n’y reviendra jamais. Cette phase gravite là, au début, sans qu’on sache vraiment pourquoi.

Il y a un petit côté kyste qui laisse un arrière goût pas top.
Du coup, tout ça n’a pas aidé ma pleine implication dans les phases de jeu suivantes, surtout que celles-ci présentent également leur lot de frustrations.


Parce qu’une fois cette intro foutraque passée, on finit par rentrer dans ce qui va être le cœur du jeu : discuter avec des clients pour collecter des informations.
Et là – encore une fois – la séduction du principe a vite laissé sa place à l’égarement et la frustration.
Egarement tout d’abord parce que – l’air de rien – on nous balance tout de suite dans une intrigue assez complexe. Et alors qu’on n’a même pas encore eu le temps de se familiariser avec la logique du gameplay – ni même d’ailleurs avec la logique de cet univers ! – voilà qu’il nous faut immédiatement faire des choix capitaux dans notre manière de mener son interrogatoire.
Alors ces choix, on les faits un peu à l’aveugle. Puis, à l’écoute de la réponse de notre avatar, on découvre qu’on a mal compris le sens de la proposition pour laquelle on a opté. Mais c’est déjà trop tard. Un petit fil rouge apparait. Un embranchement dans l’intrigue vient de s’opérer. On ne pourra plus revenir dessus…


C’est d’ailleurs à ce moment là qu’arrive la frustration.
Face aux questionnements éthiques posés, moi j’ai eu envie de jouer le jeu.
J’ai essayé de me mettre dans la peau de Donovan. D’analyser l’adversaire. De réfléchir à une stratégie d’approche, de peser les enjeux…
Seulement voilà, à chaque fois, les propositions offertes n’étaient pas toujours satisfaisantes. Et quand bien même je voulais impulser une conversation dans un sens que le jeu me rappelait bien qu’il avait sa trame et qu’il ne fallait pas trop lui demander de liberté à ce sujet-là.


Personnellement c’est ça qui m’a fait arrêter le jeu deux fois.
Cette sensation d’être totalement dépassé par les événements, couplée à la frustration de ne pas se sentir mettre de sa partie, moi ça m’a gonflé…
Mais bon, comme je vous l’ai déjà dit : par deux fois j’y suis retourné.
Et si j’y suis retourné c’est que, malgré tout, c’est vrai qu’il y a des choses qui marchent dans ce « Red Strings Club ».


D’abord – au-delà de cet univers à l’esthétique séduisante – il y a cette intelligence d’avoir su construire l’intrigue autour de questions éthiques. L’air de rien, on nous demande souvent notre avis sur toutes ces questions d’implants neuronaux, de capacités à neutraliser des émotions, voire même d’empêcher certains actes délictueux comme le meurtre ou le viol. A chaque fois, liberté et contrôle sont mises en balance. On comprend que nos réponses comptent et peuvent impacter la suite du jeu, donc on prend la peine d’y réfléchir. Et l’air de rien, eh bah c’est quand même sacrément agréable et malin…


Et sur ce plan-là – celui de l’écriture – ce « The Red Strings Club » sait rester malicieux jusqu’au bout.
L’enchainement des révélations – jusqu’au final – permet en permanence de nuancer notre approche des questions traitées et des personnages rencontrés.
A la fin, pas de gentil ni de méchants. Pas de bonnes ni de mauvaises réponses. Juste une situation posée comme un état de fait. Juste un avenir qu’on nous présente comme la conséquence de choix et pas simplement comme une fatalité.
C’est d’ailleurs la pertinence du propos et l’élégance de l’univers qui, en définitive, ont fini par me donner une bonne impression de ce jeu.
Un jeu audacieux et malicieux donc, à n’en pas douter.


Pourtant, personnellement, je n’arrive pas à aller au-delà d’un simple petit 6/10 concernant ce « Red Strings Club ».
Parce que, aussi audacieux soit-il, ce jeu apparait aussi comme terriblement inabouti.
Je parlais un peu plus haut des choix limités et des réponses parfois frustrantes fournies par notre avatar, mais à cela s’ajoute aussi d’autres tares vraiment préjudiciables.


D’abord il y a un vrai problème de durée.
Ce jeu mérite du temps pour qu’on saisisse ses mécaniques et son fonctionnement. Or, moi, à peine j’avais enfin saisi les ficelles du gameplay et que j’allais enfin pouvoir pleinement m’en amuser que – bim – c’était fini.


Ensuite il y a aussi certaines limites dans le discours.
Trop souvent les choix d’interaction se révèlent limités, quand ce n’est pas le jeu lui-même qui nous fout un gros mur dans la face, coupant court à toute réflexion avec des jugements moraux assez péremptoires (ce qui est tout de même un comble au regard de la démarche globale de ce jeu).


Enfin, il y a surtout un vrai problème de profondeur et de subtilité dans la façon d’aborder les interrogatoires.
Jamais de double-sens. Jamais de sous-entendu. Jamais de déductions pouvant être tirées d’une phrase obscure.
Non, les personnages interrogés ne savent pas mentir et passent à table très vite.
Jamais d’intox. Jamais de fausses pistes. Tout est à prendre au premier degré.
C’est comme ça qu’on gagne et qu’on a 10/10 a chaque questionnaire d’Akara.
C’est quand même un peu réducteur je trouve…


Mais bon…
Tous ces défauts ont beau avoir considérablement nui à mon immersion dans ce jeu, il n’empêche qu’il demeure un fait.
Le hasard a voulu que je joue à ce « Red Strings Club » en même temps qu’à « Link’s Awakening » sur Nintendo Switch. Or, même si j’ai mis la même note aux deux jeux, il se trouve qu’après plusieurs semaines je pense encore à ce « Red Strings Club » et pas à « Link’s Awakening ».
Or, ça, je pense aussi que c’est une anecdote qui dit quelque chose de mon expérience de jeu.
Pour moi c’est le signe que « The Red Strings Club » a quand-même tenté un truc ; qu’il a ouvert une voie.
OK, il m’a frustré. Mais au moins il a enrichi mon expérience de joueur.
Il m’a séduit.
Et j’ai beau le considérer comme inabouti, « The Red Strings Club » n’en reste pas moins une vraie proposition ; qui plus est une proposition qui a vraiment son charme. Son identité.
Sa patte.


Alors soit. Même si j’ai eu l’impression d’avoir fait une partie d’un jeu un peu bordélique, j’ai quand-même l’impression d’avoir joué.
Et rien que pour cela, ce « The Red Strings Club », il mérite mon estime…
Il mérite que je trinque à sa santé…

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