The Silver Case
7.4
The Silver Case

Jeu de Grasshopper Manufacture (2016PlayStation 4)

Chroniques du pays aux deux semaines de congés par an et ou on ne fait pas grève.

Cette exégèse est à la fois une sucrerie réservée à ceux qui aiment mes critiques et ma petite contribution (à la suite de ChetGold que je remercie ) destinée aux gens qui -- comme moi -- ont dû faire le jeu 8 fois (dans leur tête) pour le comprendre.


Florilège de SPOILERS à suivre évidemment ! (la fin du texte reste lisible pour tous)


Tout part de Kamui alors pour plus de simplicité je vais commencer par lui et revisiter l’histoire à travers les enjeux qu’il représente. Kamui Uehara est dans l’opinion publique de Ward 24 un tueur en série qui fait office de « justicier » dans la mesure ou il ne s’attaque à première vue qu’a des personnalités de l’élite politique et économiques corrompue. Il en devient une figure mythifiée par une certaine frange de la population qui voit en lui l’incarnation sur terre de la justice divine, dans le sens où il rend son jugement capital et irréversible (la mort) a des personnes intouchables par la justice des hommes. Un espèce de Batman-post-post moderne.


Or dans la réalité, Kamui Uehara n’est qu’une chimère, un épouvantail (inspiré d’un vrai tueur en série nommé Fujiwara Kamui) destiné à devenir un modèle, un moule sociale grâce auquel sera conçu le citoyen de demain dans la nouvelle Ward 24 qui va renaitre. Dans les faits, Kamui Uehara est une identité interchangeable que peut revêtir une poignée de citoyens sélectionnés et conditionnés durant leur enfance (les enfants des shelters) pour être réactivés au besoin dans le futur. Ces enfants – choisi pour leurs capacités intrinsèques au-dessus de la moyenne – sont destinés (une fois adultes) à jouer un rôle clé (ou pas) dans le futur, selon les besoins des commanditaires. Ils sont donc placés à des postes stratégiques de la ville (par exemple dans la police comme Hachisuka-fille, ou dans d’autre secteurs important) afin que leurs chefs toujours dissimulés dans l’ombre les utilisent à leurs fins. Ces chefs sont issus de la faction FSO, autrement dit la force réactionnaire qui partage le pouvoir politique avec les deux autres camps (CCO et TRO). FSO est souvent désigné dans le jeu comme un groupe de vieux réactionnaires (elderly conservatives), j’en déduis personnellement qu’il s’agit d’une caricature de l’extrême droite japonaise. En faisait le rapprochement avec certains éléments décris dans le jeu, on peut affirmer que FSO est en réalité dirigé en sous-marin par Nezu, tirant les ficelles dans l’ombre et activant les kamuis à sa guise selon les besoins du moment pour maintenir un statu-quo entre les deux autres factions. Il est aidé par Hachisuka-grand-père qui lui est l’autre face de la pièce, la face visible, celle qui brille devant les média et l’opinion publique de par son mandat de maire de la ville. Les deux hommes sont dotés du Silver Eye, ce qui leurs permet de dominer la FSO par-delà le temps (de 1979 jusqu’aux évènements du jeu pour être précis).


C’est dans ce contexte global que viennent s’insérer les personnages principaux du jeu. Kusabi est le flic qui avait arrêté le vrai (le premier) Kamui.


Kamui Fujiwara était à l’origine un tueur froid et minutieux qui officiait pour l’élite corrompue. Il a servi comme modèle au « projet kamui » pour son sens du dévouement, sa docilité, son «innocence» et sa capacité à exécuter sans faille toutes les tâches auxquelles on pouvait l’assigner. Il était même capable de réaliser sans trembler la pire des tâches qu’un homme puisse réaliser : l’assassinat.
De part cette capacité, il était clair pour les FSO qu’il constituerait le modèle parfait pour le citoyen du futur qui composerait la base de la cité dont ils rêvent. Un être docile, travailleur et pure. Le rêve de tout dirigeant politique… Les enfants des Shelters et le Projet Kamui n’étaient que la première phase du plan : Le prototype.


A terme, c’est tous les citoyens qui devaient devenir – non pas des tueurs professionnels exécutant leurs meurtres avec sang-froid (comme les Kamuis), mais des citoyens dociles, appliqués, qui ne connaissent pas la révolte sociale ni les revendications syndicales. Des machines – non pas à tuer – mais à travailler. De parfaits japonais en somme !


Ici The Silver Case devient un jeu réellement subversif en allant sans concessions au bout de sa logique. C’est assez brillant de la part de Suda51 qui opère sa critique en jouant sur le mythe hollywoodien de l’assassin professionnel qui tue pour travailler en opposition à celui du salaryman japonais qui lui, se tue au travail.


En découle une société malade dans laquelle une jeune fille modèle à qui l’avenir souriait va se jeter volontairement et avec un plaisir malsain dans la gueule du loup digital qu’est le dark net pour au final ne plus jamais en sortir (le jeu sort pourtant en 1999, c'est à dire au balbutiement de l'internet moderne). Une société qui verra un trentenaire névrosé, au chômage, éprouver une jalousie morbide envers deux pauvres gamins au seul motif qu’ils s’amusent… et pas lui...


Si a première vu The Silver Case se disperse et s’éparpille dans tous les sens, c’est en réalité pour mieux revenir sur lui-même et endurcir son emprunte. A l'aide de sa narration fracassée et métallique, qui en laissera plus d'un sur le carreau, il s'envole dans des considérations universelles avant un grand demi tour pour terminer par un saut piqué droit vers l'individuel pour nous atteindre tous. Ensemble et séparément à la fois.


Ce jeu contient ses petits côtés austères et se traine pas mal d’archaïsmes au vu des productions actuelles mais en contrepartie il fait partie de ces rares jeux ayant quelque chose de viscéral, les rendant très attractifs pour peu qu’on adhère à ce type d’ambiances. Celles typiques des productions japonaises des années 80s/90s c’est-à-dire de notre enfance. ('fin de la mienne en tout cas).
C’est vraiment un jeu témoin à la fois d’une époque et d’un style fondamentalement japonais mais qui aura malheureusement totalement disparu aujourd’hui.
Car en réalité ce qui nous intéresse dans ce jeu ce n'est ni son gameplay ni son scénario mais plutôt l'objet culturel qu'il constitue.
En cela, The Silver Case reste à mon sens le meilleur témoignage ludonumérique de l'ère pré 2ème-millénaire.


J'avais encore des doutes mais aujourd'hui c'est claire, Goichi Suda est définitivement un auteur à vision. Ou du moins, il l'aura été...

Saint-Just
10
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le 30 sept. 2017

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