De la même manière qu'il existe des anti-héros, il existe des anti-jeux vidéos. The Stanley Parable est sans doute parmi ceux-là.
Comment décrire celui-ci, sans gâcher tout l'intérêt de la découverte d'un titre comme celui-ci? The Stanley Parable est une oeuvre avec des niveaux de lecture multiples. On croirait au premier niveau à une oeuvre médiocre: scénario bâclé débité par un narrateur directif, gameplay réduit au strict minimum (Z,Q,S,D, et le clic). On peut voir le générique au bout de 20 minutes.
Mais on comprend vite que cette façade ne sert qu'à introduire l'un des véritables propos du jeu. The Stanley Parable est en fait une caricature géante, à l'échelle d'un jeu tout entier, de la narration et des ficelles scénaristiques que l'on trouve dans les jeux vidéos en général. De façon subtile se trouvent critiqués les choix de narration, les tropes et autres lieux communs du genre, et surtout l'illusion de choix donnée au joueur qui, même s'il a l'impression de transgresser les règles du jeu, reste nécessairement à l'intérieur de celles-ci puisqu'il reste prisonnier du programme qui a été conçu pour lui (voir la fin "musée").
Mais The Stanley Parable va encore plus loin. J'en suis venu à me demander si derrière les jeux vidéos, il n'avait pas pour ambition de questionner de façon générale le fonctionnement de la société et la place de l'individu dans celle-ci, et notamment de l'individu face au travail (les fins "folie" et "appartement", ainsi que la présentation du personnage de Stanley, sont assez explicites).
Dit comme cela, ça paraît barbant ou grandiloquent. Mais là où The Stanley Parable relève du génie, c'est par son mode de narration. Le "jeu", si on peut encore l'appeler comme tel, n'impose aucun propos mais ne fait que questionner le joueur à travers un gameplay minimaliste. Le propos n'est jamais asséné, mais toujours distillé de manière subtile et bougrement intelligente.
La structure narrative du jeu peut se résumer par le premier choix offert au joueur: emprunter la porte de droite ou celle de gauche, sachant qu'un narrateur, omniscient mais qu'on ne voit jamais, vous invite à prendre celle de gauche? Tout l'intérêt du jeu réside dans ce "et si...?", "et si j'avais fait un autre choix?".
Non seulement cette astuce de narration permet de multiplier les cheminements possibles (il y a 18 fins), mais il en découle chacun des embranchements prend le joueur à témoin et le confronte directement au narrateur. Ainsi le joueur est toujours impliqué, toujours pris à partie. The Stanley Parable efface l'avatar: le narrateur s'adresse directement au joueur, la distance homme-machine est abolie.
The Stanley Parable n'est pas sans rappeler par certains aspects Portal (il lui rend d'ailleurs dans une séquence un hommage appuyé). Non seulement le moteur graphique est le même, mais cette errance en vue première personne à travers un dédale de couloir, avec pour seul but de répéter encore et encore une série de tâches absurdes imposées par un narrateur dont on n'entend que la voix, contenait déjà bon nombre d'éléments critiques.
Mais The Stanley Parable va beaucoup plus loin. Plus qu'un jeu vidéo, c'est une expérience, une oeuvre qui se sert du medium jeu vidéo pour impliquer le spectateur et poser des interrogations d'une manière inédite.
Paradoxalement, c'est parce qu'elle se sert des codes des jeux vidéos pour mieux les dénoncer qu'elle me fait croire plus que jamais en la pertinence et en l'avenir du jeu vidéo comme oeuvre culturelle à part entière.