Tentative de déconstruction

« Talos est-il est un con ? Ou la nouvelle Héloïse est dans l'escalier. »
Derrière cette récupération abusive et inappropriée de Pierre Desproges plaisantant aux dépens de Rousseau se cache un intérêt sincère pour un jeu devenu une icône dès sa sortie, et ce en dépit d'un prix élevé qui surprit presque tout ceux qui l'attendaient.

Cas 0̸0̸ - Portal n'existe pas
Dans les faits, Talos est une figure mineure de la mythologie grecque. Figure qui d'ailleurs, a désormais plus de références liées à divers jeux vidéo que d'occurrences dans tous les écrits d'Homère lui-même.
Bref, vous êtes un robot lambda doué de conscience et vous semblez avoir un lien privilégié, une ligne directe avec celui qui se nomme Talos et qui a tout d'un dieu unique. Il peut vous parler, vous voir, il vous guide et vous aide tout en édictant des règles (d'un dieu ou d'une grande sœur maintenant que j'y pense).

Je suis heureux qu'un titre de plus se tourne vers la spiritualité (plus que la religion), je trouve qu'il y a une quantité d'éléments scénaristiques puissants qui ont encore été trop peu approfondis. Votre avatar erre et s'égare (un pléonasme c'est une figure de style avant d'être une erreur) dans des ruines antiques de petites cités quelconques. Ces ruines, manifestement mises au jour par l'Homme semblent avoir subis diverses adaptations muséales, vous savez... les petits panneaux descriptifs, les circuits, les guides, etc. Elles recèlent des énigmes physiques* (c'est tellement plus parlant que le mot puzzle) à résoudre, chaque énigme vous octroie un fragment de clé, un polygone comme ceux de tetris qui s'assemblent pour ouvrir des portes et s'élever dans le domaine Talos et éventuellement satisfaire cette entité ou bien la relever. CroTeam, développeur plus connu jusque là pour sa franchise “Serious Sam”, très loin donc du thème dont nous sommes en présence. Malheureusement, ce contexte porte déjà avec lui un certain nombre d'amalgames regrettables. Les ruines, comme celle de Pompéi — c.-à-d. essentiellement des restes de maisons sans étage**, des murs, quelque délimitations, fondations et chemins — qui une fois adjointe au nom Talos souligne admirablement bien les croyances antiques et participe beaucoup de l'emphase du scénario. Mais les Grecques et beaucoup d'autres civilisations d'alors étaient polythéiste, une myriade de figures avec des rôles spécifiques qui avaient leurs rivalités et se contrebalançaient les unes les autres.

Ensuite, la spiritualité suggérée est profondément entachée par un discours, bien trop emprunt des valeurs et images communes à la Chrétienté. L'image d'un Dieu vengeur, des interdits que vous semblez inévitablement amené à transgresser. Un déluge qui aurait balayé l'Homme et une tour de Babel dont la hauteur du sommet est incertaine.
Une regrettable erreur factuelle, qui fait décroître l'immersion et sabre le potentiel scénaristique.
— « Mais de quoi tu parles abruti, franchement qu'est-ce que ça aurait changé d'avoir une trame basée sur le polythéisme ? »
— « ... hmpf...non, mais je viens de le dire. C'était la phrase précédant cette digression ! Suivez un peu... poisson rouge ! »

Au-delà de ces points, je crois que nous (européens), nous partageons un meilleur bagage concernant « notre » antiquité (assez logiquement) que ceux résidents sur des îles ou des continents qui n'ont pas porté cette ère. Je parierai qu'on ressent ce mal aise (inconsciemment) de dieu unique dans un cadre totalement tourné vers la Grèce antique.
De plus, l'objectif poursuivi, si je me fie à son titre, c'est l'universalité. Le scénario aurait dû parler à un musulman ou un taoïste, tout autant qu'au "chrétien de base". Acte manqué donc...

Cas 0̸1 - Portal existe
Je ne vais pas le démontrer ici, mais Portal est loin de galvauder sa situation de référence et d'icône du genre de l'énigme orientée narration (et de la coopération en passant). Du coup, on a pu lire des accroches et des tests contenant « la relève de Portal est arrivée » ou encore « Portal a trouvé son maître ». Je ne vois pas dans The Talos Principle une relève pas plus qu'un titre qui engloberait tout le génie de Portal pour aller plus loin encore. Je pencherais néanmoins pour dire que The Talos Principle entérine le triomphe de Portal et lui permet de s'asseoir définitivement comme le presque point de départ historique de son genre, il y aura un jour un terme Portal-like**** et ce sera entre autres grâce à Talos. Je voudrais donc aborder maintenant quelque une des plus grandes faiblesses de Talos Principle que Portal avait évitée.

Le processus de validité du propos, c'est faire en sorte que le scénario, l'environnement et les énigmes soient tous justifiés et rendus plausibles par la trame scénaristique. Cela favorise l'immersion, rend l'univers crédible et encourage l'implication du joueur. Portal n'avait pas choisi la voie la plus dure (c'est logique, c'est fou) en l'occurrence, un immense nom de l'industrie lourde internationale ayant développé un programme ultra cynique (à tel point qu'il en devient hilarant) qui prend l'Homme comme cobaye et considère la vie humaine comme une ressource.
Cette phrase résume assez mal la profondeur et la crédibilité d'Aprture, mais à nouveau elle est trop complexe et trop fournie pour être développée plus avant ici. Je vous demande simplement de me faire confiance et de me croire lorsque je dis : « Portal, tout particulièrement avec sa suite à été plus loin que tout autre dans la justification du Gameplay et la justesse de ce qui est donné à percevoir au joueur » .
La validité du propos dans Talos est excellente et exceptionnelle, mais exceptionnelle n'est pas encore suffisant pour être aussi résistant face aux tests de la cohérence que le titre de Vavle. Portal esquivait brillamment le devenir du monde extérieur, non seulement parce qu’il n'évitait pas le thème mais il donnait une information suffisamment lacunaire pour demeurer mystérieuse et suffisamment complète pour permettre de se replonger instantanément dans la survie et les problèmes immédiats. C'est un objectif bien plus simple à atteindre pour Portal qui emploie une marque et tout un esprit d'entreprise que pour Talos et sa métaphore divine; dont la maîtrise est bien plus abstraite et indirecte.

Alors, lorsque vous avez résolu un puzzle :

• vous n'avez pas réussi à sauver votre peau et surmonté un destin
  contraire,


• ——vous êtes simplement rentré et sorti d'un mini-système qui demeure
  optionnel dans l'absolu.


• Vous n'avez pas risqué votre vie ou franchis un pas de plus vers
  votre liberté,


• ——vous n'avez fait "que" choisir librement une option au risque
  raisonnable dans le but de permettre à un robot, immortel par
  définition, de satisfaire une entité/métaphore à laquelle ça irait
  tout aussi bien si vous n'étiez pas là.

[Point incertain] Ensuite, les briques fondamentales de ce que j'ai appelé des énigmes physiques sont des plus étranges. Des Gatling à détecteur de mouvement, des drones explosifs à lévitation, des barrières d'énergie, rien dans l'histoire ne pourrait ne serait-ce que commencer à justifier pourquoi les sections d'un musée a priori destiné aux Hommes seraient dotées de tels mécanismes, surtout aussi peu subtils et détonnant par rapport au reste de la ligne artistique. (Si Portal fait bien mieux que Talos sur les contraintes des énigmes, ce n'est pas le terrain sur lequel il brille le plus).

Enfin, c'est peut être son pire défaut, Talos refuse de donner un point de vue avantageux ou d'exposer sous vos yeux la totalité du système qui tient lieu d'énigme. Vous verrez des sections qui se succèdent, à vous de mémoriser, de visualiser la spatialisation générale des éléments.
Vouloir relever la difficulté en ne permettant pas aux joueurs de voir à tout moment la totalité de l'équation en un seul coup d'oeil, c'est valable et stimulant. Mais, ne devrait jamais être une difficulté courant sur la totalité des niveaux du jeu. Portal pouvait lui se targuer, de vous faire monter et descendre, de tirer parti de la verticalité et variait les points d'insertion; donnant parfois un aperçu large, parfois réduis et parfois trompeur. À mon sens, c'est le point qui fait le plus de mal à The Talos Principle.

Je stoppe ici le travail d'analyse, ce n'est pas une recommandation au sens strict. Alors, sachez que Talos est plus cher ( je serai plus à l'aise pour le recommander s'il était $10.00€ moins cher), mais dans l'absolu il vaut son prix (ses DLC sont très séduisants et restent un prétexte sympa pour soutenir encore plus CroTeam). Mon texte pourrait donner l'impression que The Talos Principle ne serait pas un titre puissant et valable. C'est uniquement dû à des attentes volontairement relevées et à un contraste appuyé provenant de la comparaison avec l'épique Portal.

Il y a également beaucoup d'autres élements que je n'ai pas abordé, à commencer par une Communauté solide. Un SDK et un Workshop Steam. Une version dédié au moddeurs avec des options développeurs. Une foule de cartes additionnelles. La trame de fond qui se donne à découvrir par des terminaux contenant des dialogues ouverts avec réponses. Un système sodial de Qr Code pour laisser des marques, synchronisées coté serveur aux autres joueurs. Et bien d'autres caractéristiques.

The Talos Principle est un jeu qu'il faut avoir joué, il bénéficie d'une finition et d'une technique extrêmement poussés et ce, qu'on le compare à un AAA ou à n'importe quoi d'autre, ce n'est pas rien. S'il faut l'avoir joué, peut-être devriez-vous d'abord vous orienter vers Portal (voir directement Portal 2) si vous n'avez pas d'apriori contre son univers et ensuite, s'il vous en faut encore, approfondir avec Talos.