The Uncertain repose sur un concept assez intéressant : vous incarnez un robot dans un monde où les humains ont disparu de la surface de la Terre après s’être entre-tués. Il ne reste donc plus que des reliques de l’époque lointaine des Hommes, et les machines les ont remplacés, laissant place à un monde dominé par la logique, où des querelles intestines n’ont plus lieu d’être… Seulement, en compagnie de ce robot, donc, vous allez vous apercevoir que tout n’est pas aussi beau dans ce monde robotique, et que les Intelligences Artificielles commencent à développer les mêmes travers que les humains. Je dois dire que cette idée de base est très intelligente, car non seulement elle peut mener à de petites considérations philosophiques, mais elle est également suffisamment intrigante pour maintenir le joueur en haleine, pour lui donner l’envie d’explorer ce monde et percer ses secrets ; The Uncertain avait donc tous les ingrédients nécessaires pour devenir un excellent Point’n Click. Mais alors, comment la petite équipe Russe a-t-elle exploité ces éléments dans son jeu ?


Tout d’abord, il faut savoir qu’ils ont fait un choix, celui de donner une allure presque cinématographique à leur jeu. Pour cela, l’équipe de ComonGames (New Game Order maintenant…) s’est beaucoup focalisée sur les graphismes, et il faut bien avouer qu’à ce niveau-là ils ont fait un travail assez impressionnant ; le jeu est très beau et la direction artistique assez propre (j’apprécie en particulier les visuels de l’appartement ou du laboratoire qui parviennent, à eux seuls, à établir une ambiance, chaleureuse pour l’un, relativement menaçante et inhospitalière pour l’autre). Et, bien sûr, pour renforcer ce sentiment cinématographique, on évolue dans des tableaux d’ensemble, soit en plan fixe, soit avec un petit travelling. Ma foi, ce sont là des caractéristiques qui conviennent tout à fait à un Point’n Click et utilisées à bon escient par la petite équipe Russe, donc pourquoi pas. Mais vouloir donner un aspect cinématographique à son jeu ne suffit pas, il faut maintenant voir ce qu’il en est… et bien, du jeu, justement.


C’est là que les choses commencent à se gâter. En soi, The Uncertain repose sur des mécaniques très classiques, un peu timides même, mais qui ne sont jamais exploitées intelligemment. Ce n’est pas un Point’n Click pur et dur, et le gameplay est un mélange de déplacements au clavier et de clics qui vont permettre à votre personnage d’analyser ou d’interagir avec un objet. Seulement, je trouve dommage qu’ils n’ont pas poussé l’idée jusqu’au bout en travaillant sur la symbiose entre ces deux mécaniques. Ils auraient pu reprendre le concept de Machinarium par exemple, où vous ne pouvez interagir qu’avec des éléments situés dans un rayon restreint autour de vous. Cela donnerait du sens aux déplacements en clavier, alors qu’ici on se retrouve avec un système bâtard, où l’on ne se déplace au clavier que dans certains passages, car dans une salle avec des éléments interactifs, il vous suffit de cliquer sur un objet et le robot va directement se tourner/se diriger vers l’objet. Et franchement, c’est dommage car cela empêche de donner corps à ce sentiment d’exploration et de découverte, de donner un vrai sens aux déplacements claviers (car, vu les mécaniques de The Uncertain, pourquoi ne pas tout faire à la souris au final ? En cliquant à un endroit, notre personnage s’y déplacerait, comme dans la majorité des jeux du genre, surtout que les déplacements de notre robot au clavier sont un peu patauds et pas toujours très précis, ni maniables…), et surtout, de pallier le plus gros défaut du jeu : sa simplicité.


Et oui, c’est le plus gros problème du jeu : il est beaucoup trop simple, simpliste parfois même. Or, c’est tout le cœur de l’expérience d’un Point’n Click qui s’écroule ainsi. Ce qui fait tout l’intérêt d’un jeu en Pointer-cliquer c’est de confronter le joueur à des problèmes, à des énigmes, afin de l’investir dans le jeu. C’est pour cela que j’adore ce genre, j’aime explorer des lieux dont les secrets se révèlent peu à peu, en fonction de nos actions, j’aime me creuser les méninges pour trouver le moyen logique de démêler une situation qui semblait inextricable. Pour moi, le Point’n Click est ce qui se fait dans mieux en ce qui concerne les jeux d’Aventure, car il permet au joueur de vivre une expérience relativement libre et non linéaire, tout en suivant une intrigue pourtant assez directe. Mais là, on ne retrouve rien de tout ça, car The Uncertain est justement tombé dans le piège de la linéarité ; autrement dit, ce qui peut arriver de pire à un Point’n Click.


«Il y a une philosophie que j’aime appliquer : en tant que développeur, je veux contrôler l’arc narratif global. […] Maintenant, en disant cela, il est possible de détenir ce pour quoi vous faites les choses et laisser la manière de les accomplir aux mains des joueurs. La clef, pour moi, est de créer des bacs à sable reliés et de laisser les joueurs explorer ces petits morceaux narratifs par eux-mêmes. Je déterminerai pourquoi il est important que vous traversiez une porte, mais comment vous allez y parvenir, ce qu’il se passe et que vous décidiez de tuer, de parler à ou d’ignorer tout le monde de l’autre côté, tout ça appartient au joueur. Ce concept de partager la paternité d’une œuvre représente le point idéal de la narration d’un jeu». Warren Spector*


C’est là l’essence de la narration vidéoludique, et l’une des caractéristiques principales d’un bon jeu. Seulement, cela nécessite également de l’anticipation, de l’imagination de la part des développeurs, et ce sont, hélas, des qualités qui font défaut à l’équipe de ComonGames. Car The Uncertain est très basique dans sa construction, les énigmes sont très simples et dirigistes, et vous serez contraint de faire des actions dans un ordre bien précis et prévu par les développeurs. Il n’y a aucun sentiment de recherche, et donc aucune satisfaction dans la progression du jeu.


Certains passages sont assez frustrants à cause de ça, comme dans l’hôpital par exemple, où l’on voit des fusibles qui traînent, et donc naturellement mon premier réflexe a été de prendre ces objets, car j’étais sûr qu’ils allaient servir plus tard. Mais le jeu vous empêche de le faire, si vous essayez vous aurez le droit à une petite réflexion du robot : «je n’ai pas besoin de cet objet maintenant, inutile de m’encombrer». Tout ça pour, quelques minutes plus, devoir revenir vers l’objet parce qu’il s’avère – ô surprise ! - qu’on en a bien besoin pour résoudre une énigme ! Idem pour accéder à l’appartement ; vous devez accéder à une échelle trop haute pour vous, et il faut donc trouver un moyen de l’atteindre. Bon, vous finissez vite par trouver un petit tuyau, et juste en dessous de l’échelle se trouve un bloc de béton. N’importe qui de sensé se servirait du bloc de béton pour s’élever un peu et atteindre l’échelle plus facilement, mais là non, si vous choisissez cette option trop tôt, vous aurez encore une fois droit à cette petite réflexion comme quoi vous n’en avez pas besoin. Vous devez donc d’abord essayer d’atteindre l’échelle uniquement à l’aide du tuyau, vous rendre compte que ça ne suffit pas, et là enfin, les développeurs vous laisseront utiliser le bloc de béton. Pourquoi enfermer le joueur dans un tel carcan, surtout pour une succession d’actions aussi bêtes ?


Vous l’avez compris, il y a un gros, gros travail à faire en ce qui concerne les énigmes et, par extension, le level design. D’autant que les développeurs ont fait certains choix assez pauvres pour tenter d’apporter un peu de plus-value au gameplay et qui, au final, sont surtout révélateurs d’un grand manque d’idées dans l’équipée Russe. Vous aurez ainsi quelques passages en QTE, des mini-jeux qui tentent désespérément d’apporter un peu de profondeur aux énigmes mais qui sont tout aussi simples et de mauvais goût, et deux petites séquences très mal fichues dans lesquelles vous devez diriger votre véhicule latéralement pour échapper à des robots, mais franchement ce sont des passages tout à fait dispensables et qui n’apportent rien de pertinent à l’expérience de jeu.


Et pourtant, même si ma critique peut sembler bien négative, je trouve dommage que le jeu se plante autant sur des points capitaux, parce que c’est un titre qui ne manque malgré tout pas de quelques bonnes idées. Je parlais au début de ma critique des qualités du contexte du jeu, et le décalage créé entre les interprétations logiques des robots et les inventions humaines est assez intelligent. Et oui, car forcément, un robot ne comprend pas la notion d’art ou d’amusement, et va donc s’interroger sur l’utilité d’œuvres d’art ou de jeux. Jouer à The Uncertain fait également naître un sentiment étrange de solitude ; c’est un peu difficile à expliquer, car c’est quelque chose que j’ai ressenti en jeu, mais qui ne va peut-être pas toucher d’autres joueurs, mais que ce soit par la musique, par ces lieux abandonnés que vous allez explorer, et par la déconnexion qui existe entre le joueur et le robot que vous incarnez, vous vous sentez presque étranger à ce monde, vous vous sentez… seul.


Car l’équipe de ComonGames a vraiment été à fond sur ce concept : vous incarnez un robot, et donc l’écriture et le doublage qui vont avec sont typiques de ce que l’on pourrait attendre d’un robot. Il n’y a aucun dialogue passionné, aucune pointe d’émotion, non, les personnages sont monocordes et inexpressifs. Loin d’être une faiblesse, je trouve que c’est un choix assez audacieux de la part des développeurs, car cela peut sortir certains joueurs du jeu, mais cela renforce la cohérence de l’œuvre et le sentiment d’un monde déshumanisé, justement. Le seul problème que j’ai avec ça, c’est que les dialogues ne sont pas toujours très bien construits, ni très intelligents, et tout le potentiel philosophique du jeu s’envole pour des répliques parfois vraiment banales et déjà vues. C’est dommage.


Enfin, en parlant de dialogues, vous aurez parfois certains choix à faire qui, en soit, ne modifient pas en profondeur votre aventure, mais qui peuvent modifier certains détails (ou mener à la mort). En revanche, ne vous laissez pas berner par la «publicité» du jeu, selon laquelle vous devrez faire des choix moraux car, en réalité, les quelques fois ou un choix moral peut s’appliquer, les conséquences de ce choix seront tout à fait anodines… Disons que les choix dans les dialogues rejoignent la trop grande linéarité du titre, et c’est un système qui gagnerait à être exploré davantage dans la suite.


Au-delà de tout ça, il y a deux très bonnes idées que je tenais à pointer du doigt. Car il y a UN élément qui a été prévu par l’équipe du jeu afin de compenser le misérable dirigisme du jeu. Il s’agit de la batterie du robot-pilote que l’on peut prendre au tout début de l’aventure, et si vous la prenez vous aurez plusieurs occasions pour choisir ce que vous allez en faire… Je ne voudrais pas dévoiler les conséquences de ces choix, je vous laisse expérimenter par vous-même, mais voilà un bon exemple de liberté laissée au joueur et qui devrait être plus présente. J’espère que c’est un point qu’ils ont pris en compte pour la suite ! Et à l’extrême fin de The Uncertain, vous aurez droit à une petite phase «d’infiltration», assez primitive mais qui a le mérite de tenter quelque chose d’autre et qui peut se révéler très intéressante si elle est développée plus avant par l’équipe Russe.


Voilà donc, nous arrivons à la fin de cette bien longue critique pour un bien petit jeu. Mais, si j’en suis venu à écrire une critique aussi détaillée, c’est bien parce que je sens que sous ses défauts, The Uncertain cache un potentiel certain qui ne demande qu’à être libéré pour proposer une grande expérience au joueur. C’est un jeu qui ne manque pas d’idées, mais qui ne sont jamais exploitées à leur maximum. Travailler sur l’harmonisation du combo clavier/souris afin de lui donner un sens, ouvrir les niveaux afin de proposer des énigmes et un Level Design plus travaillés, laisser un peu de liberté au joueur, bâtir un système de dialogue aux conséquences réelles pour l’aventure et, enfin, développer les mécaniques d’infiltration, sont autant de tâches complexes mais nécessaires pour faire de la suite de The Uncertain un grand jeu. J’espère que le petit studio Russe est capable de se remettre en question et d’apprendre de ses erreurs. Malgré tout, n’hésitez pas à donner une chance à ce Last Quiet Day si vous le trouvez en promotion (15€ me paraît un prix légèrement excessif), car il reste agréable à parcourir, même s’il laisse un sentiment de frustration à la fin tant il aurait pu être bien plus…


*C’est une petite citation issue d’une interview passionnante de Warren Spector, une des grandes figures ayant révolutionné le jeu vidéo dans les années 90/début 2000 avec des titres majeurs comme Ultima Underworld, System Shock ou encore Deus Ex. J’ai traduit, tant bien que mal, ce petit texte pour la critique, mais si l’anglais ne vous fait pas peur et que vous avez envie de poursuivre la lecture, voici un lien : https://www.gamasutra.com/view/feature/1700/all_for_games_an_interview_with_.php?print=1

Charlandreon
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le 26 févr. 2021

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