Une expérience de jeu inédite. Le vidéoludique, un art?

Cette critique de The Witcher 3 se fonde sur l'édition "Game of the Year" du jeu. Par conséquent, la globalité des extensions sont pris en compte dans mon commentaire. Sur la fin, je dévierai de ma critique de The Witcher III : Wild Hunt en tant que simple divertissement pour m'exprimer sur The Witcher III comme oeuvre d'art. Ah et je préviens tout de suite : mon point de vue dans cette critique sera éminemment subjectif. Pourquoi me direz-vous? Et bien, comment faire autrement?


The Witcher III : Wild Hunt est le dernier épisode de la trilogie en jeu-vidéo de la saga "The Witcher". Réalisé par CD Projekt Red, le jeu nous plonge dans un univers mature et cohérent, à l'intérieur duquel le joueur incarne Geralt, un chasseur de monstre. Pour ceux qui n'auraient pas lu les romans d'Andrzej Sapkowski avant de faire le jeu, ce n'est pas forcément très grave mais quelques petites subtilités ou références pourraient vous échapper. Rien de très problématique dans la mesure où vous découvririez justement tout un univers.



Une immersion catalysée par l'excellence du détail :



Jeu de rôle particulièrement soigné narrativement et scénaristiquement, chaque quête, même secondaire, sera un moyen pour vous de mieux comprendre comment fonctionne l'univers, de mieux vous immerger dans celui-ci mais également de voir à quel point des développeurs talentueux peuvent transformer une simple chasse au monstre en un complot de grande échelle. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le monde de The Witcher III respire la vitalité. Les animations des paysans, les villages détruits, la progression des armées du Niilfgaard tout le long du jeu sont autant de moyens pour nous faire "vivre" littéralement l'aventure.



Le joueur, acteur de ce théâtre visible et vraisemblable :



Sur le plan de l'histoire, les quêtes, toutes plus riches les unes que les autres, offrent indéniablement des embranchements scénaristiques qui reflètent vos choix, et qui influenceront par la suite le déroulement de votre épopée, mais aussi la fin du jeu. En clair, selon l'orientation morale, sentimentale et politique que vous suivez, les romances proposées et les évolutions géopolitiques au sein du jeu ne seront pas les mêmes. La variété et la diversité des quêtes sont bienvenues. Vous préférez les complots politiques? Les quêtes de Novigrad et l'élection des rois sur Skellige sont fait pour cela. Vous aimez les histoires profondes et touchantes? Les quêtes du Baron Sanglant, d'Olgierd Von Everec (dans l'extension Heart of Stone), les tragédie de Dettlaff/Syanna (dans l'extension Blood & Wine) et bien sûr la trame principale sont là pour vous faire comprendre que le jeu-vidéo a la capacité de vous faire pleurer. Vous l'aurez compris, The Witcher III offre une aventure personnalisée, même si, pour nuancer, il n'existe pas une infinité de fins et de choix possibles.



Une identité visuelle en accord avec l'action scénaristique :



Beau à en pleurer, The Witcher III, au fur et à mesure de ses patchs et de ses extensions ne cesse de se sublimer et d'être optimisé. La forme et le fond forment une symbiose difficilement critiquable. Le downgrade graphique effectué suite à l'E3 2014 ne peut vraiment pas être reproché aux développeurs. Le travail accompli est titanesque sur le plan visuel et artistique. La taille des aires de jeu, la modélisation des personnages, des scènes de guerre, des zones hospitalières, des villes, sont clairement le fruit d'un travail acharné et passionné. L'atmosphère de chaque région est particulière et unique. Mention spéciale à la dernière région du jeu, Toussaint (dans l'extension Blood & Wine), qui rivalise d'ingéniosité pour vous faire ressentir (rien qu'à travers les décors et les personnages successifs du jeu) toute la complémentarité sémantique et symbolique entre l'euphorie que procure le vin chez les hommes et la frénésie que provoque le sang chez les vampires. C'est magistral.



Une jouabilité fluide et harmonieuse ponctuée de défauts mineurs :



Bien écrit, beau, The Witcher III : Wild Hunt est également agréable à jouer. Le personnage se déplace avec fluidité malgré quelques bugs, ou certaines chutes intempestives lors d'ascensions infructueuses. De plus, la caméra n'est pas capricieuse. La monture de Geralt, Ablette, peut se montrer récalcitrante lorsque la topographie est escarpée mais c'est un détail qui, personnellement, ne m'a pas dérangé. Mention spéciale à la quête de l'extension Blood and Wine :"De l'abus de champignons" qui justifie les téléportations d'Ablette, et autres petits bugs, par des explications scénaristiques ; les développeurs sont conscients de leurs faiblesses, et montrent une humilité infinie. C'est admirable et ingénieux.



Une difficulté relative :



En terme de challenge vidéoludique, The Witcher III remplit son rôle. Certains peuvent lui concéder une absence de difficulté, ce qui est juste. J'ai moi-même joué en New Game + en mode de difficulté maximale sans utiliser particulièrement de décoctions, de potions, de mutagènes : aucun endroit du jeu ne m'a bloqué indéfiniment, je l'admets. Cependant, en mode de difficulté élevé, même le plus petit coup d'épée vous inflige de gros dégâts. La mort n'est jamais très loin et vous pousse à vous perfectionner. La fluidité et la diversité des mouvements de Geralt en jeu, qui se rapprochent d'une danse (comme évoqué dans les romans), permettent au joueur de se sentir libre, et le pousse là aussi à peaufiner toujours plus sa technique d'approche et ses esquives face aux ennemis.



Le choix du doute, une ode à la moralité :



La véritable difficulté et les vraies enjeux de The Witcher III -pour moi- se situent bien plutôt dans l'approche morale des choix que le joueur doit faire. Alors, évidemment, notre héros tue par dizaine des hommes lors de combats. Bien qu'il le fait par légitime défense, le premier coup porté est souvent notre fait. Pardonnons au jeu cette petite faiblesse pour mieux voir ce qui constitue son approche de réflexion.


C'est bien simple, le jeu pose constamment des dilemmes moraux dans ses histoires principales et secondaires. Grâce à cela, les sujets abordés sont nombreux et très nuancés. Il n'y a jamais un gentil et un méchant bien définis. Qu'est ce que le Bien et le Mal? Qu'est ce qui rend un être "humain" (au sens "d'intelligent", de "raisonnable")? Doit-on éliminer cette créature douée de conscience? (alors qu'elle n'a fait que se défendre face à une agression humaine).
Dès la toute première quête, un dilemme est posé ; c'est d'ailleurs ce qui m'avait choqué lors de mes premiers essais sur le jeu :


Un homme à Blanchefleur brûle l'atelier d'un nain par racisme mais également par ferveur nationaliste. Dénoncer l'homme revient à le faire pendre par l'armée conquérante (le Niilfgaard). Ne pas le dénoncer revient presque à le laisser impuni. Que faire? Le racisme (stricto sensu, car "être nain" est reconnu comme une autre "race" que l'humain) peut-il justifier la mort d'un homme? C'est terrible.


La dimension morale du jeu ne laisse pas indifférente. Le questionnement philosophique, issu du doute, est omniprésent. Vous aimez les symbolismes, les métaphores? Jouez à The Witcher III. L'extension Heart of Stone offre une méditation sur le caractère éphémère de la vie qui est vraiment perspicace, fouillée et par dessus-tout, belle. L'extension Blood & Wine en rajoute une couche avec des quêtes liées aux contes de notre enfance. Je n'en dis pas plus.



Une métaphore "meta-vidéoludique" :



L'intertextualité et la littérarité de cette oeuvre sont indéniables. Le jeu casse les codes préétablis, fait des liens avec d'autres oeuvres artistiques, casse le 4ème mur (ou presque). Entre les easter eggs, les métaphores vivantes, les mises en abyme, c'est bien simple, le joueur qui aime l'analyse est comblé.


La scène où Geralt devient acteur de théâtre dans la quête "une solution théâtrale" est clairement une mise en abyme du joueur, et une réflexion sur la place du jeu-vidéo dans les arts :
À ce moment de l'histoire, le personnage de Geralt joue un double-jeu pour entrer en contact avec Doudou : il joue son propre rôle de sorceleur dans une pièce de théâtre en tant qu'acteur alors qu'il est lui-même dirigé par un joueur qui est un acteur (car le joueur "joue" à devenir sorceleur dans The Witcher III). Les rôles s'intervertissent, se mêlent. C'est du Grand Art.



Une musicalité sans reproche :



Musicalement parlant, ce jeu fait un sans faute. C'est totalement subjectif encore une fois, et pourtant... Le jeu de base propose un éventail de musiques toutes plus percutantes et ésotériques les unes que les autres. C'est bien simple, le joueur est transporté. Rien qu'en les écoutant, l'imagination et le plaisir prennent le pas sur notre sens visuel et sur notre capacité de réflexion. Ces musiques nous charment, absolument. Chacune est bien introduite selon le contexte dans lequel le personnage se trouve, selon la zone où il se situe. Les musiques des extensions sont également incroyables et collent parfaitement à l'univers qu'elles assistent, qu'elles subliment.



Conclusion :



En définitive, avant The Witcher III, j'affirmais que l'oeuvre vidéoludique pouvait être un art, au même titre que la peinture, que le cinéma. Il touche, il provoque de l'émotion. Il laisse entrevoir un autre monde à travers son prisme. Il nous fait contempler. Il fait réfléchir sur notre condition d'homme, sur ce qu'est l'homme. Après The Witcher III, j'affirme que le jeu-vidéo est un art.
Comme certains romans, il peut divertir, uniquement. Comme certains romans il peut marquer à tout jamais les esprits et les coeurs.


Au final, il y a tant à dire sur ce jeu, tant d'interprétations et de commentaires à faire que je ne sais pas vraiment comment conclure. Selon moi, un palier est franchi avec ce jeu. Sans modestie, je pense avoir joué à beaucoup de jeux avant celui-ci. Pourtant, c'est cette oeuvre vidéoludique qui représente aujourd'hui le plus le passage du jeu-vidéo vers une forme d'art. Malgré son statut de jeu AAA, et malgré l'évolution du monde du jeu-vidéo, qui est industriel, j'affirme que The Witcher III prouve qu'une dimension artistique intrinsèquement liée aux jeux-vidéos existe. Evidemment, c'est faux (je me contredis un peu je crois...). D'autres jeux l'on déjà prouvé ; c'est surtout pour démontrer à quel point celui-ci en particulier m'a laissé une forte impression, dans mon coeur de joueur.
Bon jeu.

Bioman
9
Écrit par

Créée

le 9 sept. 2016

Critique lue 786 fois

1 j'aime

Bioman

Écrit par

Critique lue 786 fois

1

D'autres avis sur The Witcher 3: Wild Hunt

The Witcher 3: Wild Hunt
Malakian
10

« Va faill, gwynbleidd ! »

À l’heure où les superproductions des gros éditeurs, toujours plus fades les unes que les autres, sortent à un rythme effréné, on peut se demander s’il est encore possible de créer un jeu...

le 10 juin 2015

79 j'aime

19

The Witcher 3: Wild Hunt
boulingrin87
5

Aucune raison

J'ai toujours eu un énorme problème avec la saga The Witcher, une relation d'amour/haine qui ne s'est jamais démentie. D'un côté, en tant que joueur PC, je reste un fervent défenseur de CD Projekt...

le 14 sept. 2015

72 j'aime

31

The Witcher 3: Wild Hunt
Mika_Voodoo
5

Geralt de Riv, coursier et parfois sorceleur.

Bon je viens de terminer the Witcher et je suis déçu. Le jeu à des qualités énormes ça pas de doute mais bon dieu ce que j'ai dû lutter pour le finir! C'est la première fois que je me force à finir...

le 13 janv. 2016

71 j'aime

15

Du même critique

The Witcher 3: Wild Hunt - Hearts of Stone
Bioman
9

Une métaphore de l'hybris

"Nous sommes mortels". "Nous sommes inégaux par nature". Voilà deux affirmations et deux postulats universels qui révoltent de nombreuses personnes, et qui nous indignent parfois : pourquoi suis-je...

le 24 sept. 2016

1 j'aime

The Witcher 3: Wild Hunt
Bioman
9

Une expérience de jeu inédite. Le vidéoludique, un art?

Cette critique de The Witcher 3 se fonde sur l'édition "Game of the Year" du jeu. Par conséquent, la globalité des extensions sont pris en compte dans mon commentaire. Sur la fin, je dévierai de ma...

le 9 sept. 2016

1 j'aime

What Remains of Edith Finch
Bioman
9

What Remains of Edith Finch, une satanée histoire de famille.

Introduction What Remains of Edith Finch, c’est avant tout une histoire de famille, une enquête sur les racines d’une jeune fille. Cette jeune fille, c’est Edith Finch. De retour dans sa maison...

le 4 mai 2020