The Witcher III : Wild Hunt, une chevauchée fantastique

Abandonnant le cadavre déchiqueté du paysan derrière lui, le sorceleur suit la piste du monstre au milieu des bois. Les traces le mènent à l’entrée d’une caverne obscure. Il s’empare d’une fiole et en avale le contenu ; aussitôt les ténèbres souterraines se dissipent devant ses yeux et Geralt s’engouffre dans la tanière de la bête, son épée d’argent à la main. Un grondement au-dessus de sa tête attire son attention. Une bombe incendiaire passe dans sa main pour atterrir dans un contrefort rocheux. Un rugissement strident s’élève des flammes, immédiatement suivi par les bruits d’un corps
s’insinuant entre les pierres. Le sorceleur s’élance hors de la grotte et enfourche son cheval. Dans le ciel au nord-est, la Cocatrice déploie ses ailes membraneuses et s’enfuit à travers la vallée. Geralt prépare son arbalète. La chasse est ouverte.


Voilà le quotidien des chasseurs de monstres que sont les sorceleurs. Avec The Witcher III: Wild Hunt, aboutissement de la trilogie de CD Projekt adaptée des roman d’Andrzej Sapkowski, les aventures vidéoludiques de Geralt de Rive prennent une toute nouvelle ampleur.


L’homme des hautes plaines


La plus grande différence tient en effet au passage à l’open world. Si la division en plusieurs régions accessibles via la carte du monde peut, au premier abord, laisser penser à une filouterie, la taille de ces régions force rapidement à réviser son jugement. Sur ce point, Wild Hunt est à la saga The Witcher ce que Redemption est aux Red Dead : un décloisonnement qui invite aux grands voyages.


Malgré son immensité, le monde que parcourt Geralt conserve son caractère et sa vitalité. On croise très peu de clones ou d’environnements répétitifs. Les forêts touffues, les marais brumeux et les champs de batailles dévastés se succèdent entre des villages qui ont chacun une vie propre et des problèmes nécessitant les talents d’un sorceleur.


Les deux premiers opus étaient structurés en chapitres autonomes reliés entre eux par la trame principale, évoquant la forme des recueils de nouvelles de Sapkowski mais dirigés par l’intrigue serrée qui est celle de ses romans. Ici, paradoxalement, la structure se rapproche de l’ampleur romanesque mais les sessions de jeu penchent davantage du côté du serial, tant l’aboutissement de la quête principale semble lointain. Geralt arrive dans un village en quête d’information sur Ciri, la jeune fille à qui il est lié par la Providence, et vient en aide à différents personnages pour reprendre son errance, riche de quelques indices supplémentaires, d’un peu plus d’or et de nouvelles cicatrices.


Pale Rider, le cavalier solitaire


Cette errance mercenaire est sans doute le coeur de l’expérience de ce Witcher III, là où les précédents épisodes tournaient principalement autour d’intrigues politiques à démêler. Outre l’histoire générale et les quêtes secondaires, toutes très écrites et rivalisant parfois avec les trames principales d’autres jeux, ce sont les petites mécaniques qui reconstituent peu à peu l’ambiance des péripéties d’un sorceleur.


La traque d’un monstre commence ici par la négociation du contrat. Geralt tente d’en tirer le maximum d’argent sans pour autant se mettre son client à dos. Vient ensuite la phase d’enquête. Le sorceleur interroge les témoins, étudie les lieux où la créature est apparue et tente de déterminer son espèce avant de se lancer sur sa piste. Ce passage n’est en rien négligeable dans la mesure où les forces et faiblesses des différents monstres sont bien plus marqués qu’avant : s’attaquer à un spectre sans l’avoir piégé au moyen du signe Yrden est bien souvent fatal.


Ces informations rassemblées, il convient de vérifier son équipement. Encore une fois, utiliser une huile spécifiquement conçue pour la bête traquée peut souvent inverser l’issue du combat. Dans le cas où Geralt ne possède pas les huiles et potions recommandées, c’est le moment de la cueillette ! La gestion des potions, bien moins rigide qu’auparavant, puisqu’elle permet de les consommer en plein combat et de recharger ses stocks durant les phases de repos, fluidifie la préparation plutôt qu’elle ne lui porte atteinte : il est bien plus important maintenant de se constituer un solide bestiaire et un stock varié de potions que d’anticiper l’apparition de telle ou telle créature pour se doper avant qu’elle ne surgisse.


Vérification subsidiaire : l’état de ses armes et armures. Leur usure progressive implique des visites ponctuelles chez un forgeron ou une réparation de fortune en pleine campagne. De plus, l’acquisition d’équipements légendaires prend désormais la forme de chasses au trésor permettant de rassembler les schémas des anciennes écoles de sorceleurs. L’ensemble de ces mécaniques construisent l’image d’un cavalier solitaire, tueur professionnel méthodique et guerrier mythique autant que mercenaire crasseux : un sorceleur.


L’épreuve de force


Une fois la traque achevée, il est temps de faire parler l’épée. Les combats ont beaucoup évolué au fil de la série, exprimant à chaque fois une facette différente de l’univers de Sapkowski. Le premier était tout entier dédié à la préparation, au choix des potions, de la garde, etc. Le deuxième se concentrait principalement sur la soudaineté des combats, ces derniers pouvant se décider en quelques coups d’épée … ou de griffe. Le troisième met l’accent sur la vivacité. Geralt virevolte, pare et esquive avec bien plus d’agilité. Si les affrontements de Assassins of Kings consistaient souvent à infliger le maximum de dommages rapidement pour fuir immédiatement à l’abri, Wild Hunt permet, une fois
son système apprivoisé, de bien moins subir les situations en multipliant les possibilités de réponse.


Cette pluralité des approches est soutenue par l’articulation des systèmes de gestion des bombes et potions, des compétences et des mutagènes, permettant d’optimiser les différentes orientations de personnage. L’association des bonnes compétences avec les mutagènes correspondants permet en effet de renforcer l’effet de ces derniers et, par exemple, de rendre les signes particulièrement dévastateurs par une simple


reconfiguration. Suivant les capacités du joueur, son aisance dans les positionnements stratégiques, le rythme des parades et contre-attaques ou sa précision à distance, il peut donc construire un sorceleur alchimiste ou magicien tout aussi efficace qu’un bretteur. C’est cette part de l’oeuvre littéraire qui est adaptée : la pirouette et l’esquive travaillées pendant des années par les sorceleurs pour leur permettre de se trouver dans une position lui permettant de riposter de manière adéquate.


Ne dites jamais adieu


Encore faut-il savoir pour quelle cause on dégaine son épée. Après les conséquences imprévues des choix dans le premier épisode et les intrigues politiques du deuxième, Witcher III met en avant l’indécidabilité. Face au peu d’indications sur les résultats possibles de ses choix, le joueur doit rechercher le maximum d’informations auprès des habitants ou dans les ouvrages disséminés un peu partout. Contrairement à l’habitude, ces derniers ne constituent pas un simple background optionnel mais un véritable soutien lorsqu’il s’agit de décider entre Charybde et Scylla. Loin du manichéisme d’un Mass Effect, il ne s’agit pas de choisir entre bien et mal ou même d’opter pour le moindre mal mais de s’orienter dans l’obscurité en fonction de ce qui semble le plus juste à un
moment donné, en espérant pouvoir assumer les conséquences de ses choix.


Ces conséquences peuvent apparaitre immédiatement ou suivre des ramifications lointaines, à moins qu’il faille prendre la peine de revenir sur ses pas un peu plus tard pour se renseigner sur l’évolution de la situation. Comme Assassins of Kings, Wild Hunt prend également en compte les choix des précédents opus et permet de recroiser quelques têtes connues qui se souviendront de l’attitude de Geralt … à condition, bien sûr, qu’elles soient encore là pour en parler. Cette intertextualité s’étend également aux livres de Sapkowski – dont les lecteurs reconnaitront, par exemple, un passage du Sang des Elfes dans les flashback servant de prologue et de tutoriel – ainsi qu’à leurs références humoristiques. Comme l’auteur polonais s’était amusé, entre autres, à distordre le conte de la Belle et la Bête, Geralt pourra ici enquêter sur « la chute de la maison Reardon » ou entendre parler d’un certain Friedrich professant la mort des dieux à l’université d’Oxenfurt, ce qui ajoute une épaisseur supplémentaire au monde à explorer.


The Witcher III: Wild Hunt propose une ample fresque fantastique. Grâce au soin porté à l’écriture et à la complémentarité des mécaniques de jeu, le passage à l’open world ne délaye pas l’univers de Sapkowski. Les longues heures de chasse conserve leur caractère sombre et pittoresque, permettant au joueur d’incarner pleinement le personnage du Loup Blanc et d’explorer en profondeur un monde qui ne se laisse pas épuiser. CD Projekt démontre sa capacité à conjuguer ampleur et subtilité et invite à une aventure épique où on se perd avec un immense plaisir.

blackjack21

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