Le paysage pourrait faire office de carte postale si ce pendu vieux de quelques jours n’attirait pas tant de charognards. Une lumière crépusculaire m’accompagne, teintant les champs de nuances rouge et ocre, et je distingue bientôt les contours des baraques de Blanchefleur. Cette vision m’évoque la nostalgie des premiers pas, lorsque Vesemir et moi arrivâmes dans l’humble village pour la première fois. C’était il y a longtemps. Enfin, longtemps… Une centaine d’heures d’après Steam. J’ai pourtant la sensation que le début de mon voyage remonte à plusieurs semaines !


Car aujourd’hui, l’aventure s’achève, laissant place à la mélancolie, ce petit vide qui vient se nicher au fond des trippes quand on réalise que ça y est, il est temps de réintégrer le vrai monde. The Witcher 3 a cette force-là. Et quand un jeu vous embarque de cette manière, c’est qu’il a réussi son pari : pas juste celui de procurer un bon divertissement pour passer le temps, mais celui de faire vivre une véritable aventure.



L’efficience de l’écriture au service de l’univers



Dans le paysage vidéoludique, et plus précisément dans l’industrie du triple A où l’étiquette « open world » est moins un gage de qualité qu’un argument marketing, TW3 débarque avec fracas, et se pose en exemple du genre. Car il ne fait pas partie de ces jeux qui se contentent de capitaliser sur une idée originale ou une technique impeccable, mais de ceux qui bénéficient d’une masse de travail colossale. Résultat : l’un des meilleurs — sinon le meilleur — RPG à l’occidental jamais conçus.


Le jeu est le fruit d’une subtile alchimie entre l’efficacité de son gameplay, la beauté de son univers et la finesse de son écriture, mais comme je me pointe avec trois ans de retard et que ses qualités ont été mainte fois vantées auparavant, je vais m’attarder sur les deux aspects qui font de TW3 un jeu à ce point marquant : son scénario et son univers.


Pour commencer, il faudra attendre quelques heures avant que l’intrigue principale ne décolle réellement. De ce fait, c’est à la foultitude de quêtes secondaires que l’on se frottera en premier. L’occasion de constater que le jeu bénéficie d’une qualité d’écriture incroyable. Moins de quêtes Fedex, plus de scénarisation. Chaque sous-intrigue a un contexte, se ramifie d’une manière ou d’une autre à l’univers, et même le plus banal des PNJ a une histoire, un passé et, fatalement, des problèmes qu’il vous incombera de régler. De plus, on constate bien vite que rien n’est binaire, que les nuances de gris dominent le manichéisme inhérent à la fantasy. C’est ce travail d’écriture ambitieux qui plante le décor, concoure à la mise en place d’une ambiance mémorable, et donne vie au vaste univers de TW3.


Univers que l’on apprend ainsi à apprivoiser avant de renouer avec l’intrigue principale et la galerie de personnages hauts en couleur qui entourent Geralt. Encore une fois, le travail d’écriture donne vie à toutes ces psychologies auxquelles on s’attache, et qui nous viennent en aide pour tenter de retrouver Ciri, la fille adoptive du sorceleur. Autant dire que le parcours est jalonné de passages forts qui ne manqueront pas d’émouvoir les plus endurcis ! Une quête principale qui nécessite également de faire des choix aux conséquences parfois terribles. Et pourtant, les fils de narration demeurent bien dissimulés. Le joueur peut alors réagir naturellement, sans préjuger d’où ses choix pourront le mener. Tout est affaire de personnalité et d’éthique. C’est votre aventure et quelle satisfaction, alors qu’au cours de vos pérégrinations vous vous trouvez en fâcheuse posture, de pouvoir vous en sortir en justifiant de vos choix précédents !


En somme, c’est la puissante sensation d’authenticité de TW3 qui en fait un grand jeu. Il vous embarque grâce la qualité de son écriture et de son univers. C’est ce type de jeu qui, par-delà l’analyse de son gameplay ou de ses qualités techniques, ambitionne avant tout de vous faire vivre une aventure et y parvient avec brio.



De rares défauts



Quoique peu nombreux et bien dérisoires par rapport au travail abattu, on peut noter quelques éléments dommageables. Quelques choix de dialogues qui manquent de clarté, nous faisant parfois dire le contraire de ce que l’on pensait. Une difficulté qui va décroissante au fil du jeu. Une maniabilité trop lourde hors combat, qui devient pénible lorsqu’il s’agit de ramasser un loot ou de conduire votre canasson. Ou encore une IA aussi futée qu’une bande d’huitres sous LSD : évitez par exemple de stationner ledit canasson au milieu de la voie publique si vous ne voulez pas que les gardes au pathfinding foireux ne viennent vous coller un PV !


L’autre revers de la médaille, c’est que l’appréciation d’un jeu si complet demande un réel investissement personnel. Ainsi, beaucoup conseilleront la lecture de la saga littéraire — ou a minima, d’un résumé — avant de débuter le jeu. Conseil avisé pour apprécier la qualité d’écriture et les enjeux du background à leur juste valeur. De plus, il faut être motivé pour se lancer sciemment dans un jeu de 100 heures, prendre le temps d’en apprivoiser les nombreuses mécaniques et possibilités, ou la densité de son univers en parcourant les nombreuses pages du glossaire.


Un moindre défaut pour les gamers acharnés. Plus pénible pour ceux qui peinent à trouver le temps ou l’envie de se lancer dans un tel morceau. C’est pourtant bien le prix à payer pour autant de richesse. Donc à ceux-là qui, comme moi, mettraient trois ans pour trouver la motivation de lancer TW3 : le jeu en vaut la chandelle.



Redéfinition du genre ?



De par sa richesse et sa complexité, on peut dire que TW3 surnage au-dessus de cet océan de jeux, souvent incomplets, et d’une pauvreté scénaristique devenue courante. Il n’est pas qu’un simple mange-temps, mais une expérience réelle dans laquelle le joueur laisse un peu de lui-même. Il n’est pas qu’un simple produit de marketeux se contentant de cocher bêtement les cases du cahier des charges, mais le fruit d’un travail de maitre-artisans qui ont sué sang et eau pour parachever leur plus belle pièce : un RPG de passionnés, pour des passionnés.


Autant dire qu’on voit le RPG à l’occidental différemment après un tel épisode. Plaçant haut ses ambitions et atteignant ses objectifs, il fait figure de maitre-étalon du genre, en même temps qu’il constitue une preuve que le joueur est désormais en droit d’attendre de tels résultats de la part de gros éditeurs toujours plus fainéants. La concurrence a donc de bonnes raisons de frémir, car indubitablement, il y a un avant, et un après The Witcher 3.

Gilraen
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le 7 mars 2018

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Gilraën

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