Prenez l'univers du comics "Fables" de Bill Willingham, injectez-y une bonne dose d'influences issues du film noir et vous obtiendrez un jeu passionnant qui vous colle à la peau dès le début. Le principe est simple, nous incarnons Bigby Wolf, autrefois Grand Méchant Loup désormais shérif de Fableville (une ville dans laquelle habitent tous les héros des contes et des légendes) et nous enquêtons sur le meurtre assez affreux d'une prostituée dont la tête a été retrouvée à l'entrée de la résidence dans laquelle nous habitons. Au niveau des manettes c'est assez simple, nous n'avons pas grand chose à faire si ce n'est choisir entre plusieurs options d'action ou de dialogues, certains choix influant sur le déroulement du jeu comme le fait de tuer quelqu'un ou de laisser sortir le loup qui est en nous.
L'intérêt de "The Wolf Among Us" est justement ces prises de décisions. Parce que dès le début, on s'attache à notre personnage, ce loup censé faire respecter la loi à Fableville mais qui terrifie encore beaucoup de gens qui ne lui font pas confiance. La question est donc de savoir si nous allons suivre la voie de la raison pour faire plaisir à Blanche-Neige (pour qui le personnage en pince visiblement) ou si nous allons justifier la crainte des habitants de la ville à notre égard en malmenant tous les suspects se trouvant sur notre passage. L'envie de faire l'enquête comme il se doit et les problèmes d'ordre moral qu'elle nous assène sont assez pertinents et permettent vraiment de changer de comportement quand bon nous semble même s'il faut bien avouer que l'influence de nos choix est limité. Cela dit, on se prend vite au jeu.
Il faut dire que l'ambiance est particulièrement soignée. Visuellement, c'est magnifique et on en prend plein les yeux. Le style, l'animation, les décors, tout transpire la classe. Côté scénario par contre, ça transpire le désespoir, la peur et la mort. Peu à peu nous découvrons une ville gangrénée par une société incapable de bien s'occuper de tout le monde et laissant au Tordu l'occasion d'entraîner tous ceux qui ont besoin d'argent sur la piste du crime et de la prostitution. Ici l'enquête policière sert aussi à effectuer un constat social brûlant d'actualité : même chez les personnages de contes, l'inégalité existe. La Belle et la Bête sont endettés pour maintenir leur style de vie luxueux, la bureaucratie est corrompue et des héroïnes telles que Peau d'âne ou La Petite Sirène se voient reléguées à la prostitution. L'ambiance est poisseuse, pleine de désespoir et Bigby se retrouve assez vite impuissant face à tout ça. La violence et les crimes ça le connaît mais les conspirations et les magouilles le dépassent assez vite. Assez malin et surtout tenace, Bigby n'est pas sans faire penser à ces privés increvables incarnés par Bogart, loin de filer droit mais assez débrouillard pour rester en vie malgré les embûches, le tout en s'enquillant des cigarettes Huff and Puff à la chaîne . S'étalant sur cinq épisodes, "The Wolf Among Us" est imparfait mais dégage vraiment quelque chose, une vraie âme, une volonté de raconter une histoire travaillée avec des personnages riches et surtout il est relativement sans concessions. La violence est gore et la misère existe. Les scènes avec les prostituées sont d'une mélancolie profondément touchante, on sent tout le poids de leur passé sur leurs épaules et c'est lourd à porter pour elles aussi bien que pour notre héros. Vraiment ça tombe juste à chaque fois et ce jusqu'à un final surprenant et déroutant qui ne donne qu'une envie : se replonger dans cette ambiance nocturne et déprimante, pour mieux gérer nos choix et surtout pour le plaisir d'errer dans un univers franchement original.