Difficile de savoir comment un crossover entre Shin Megami Tensei et Fire Emblem a pu aboutir à Tokyo Mirage Sessions #FE. Même les développeurs d’Atlus ne doivent pas en être totalement sûrs. Du RPG crépusculaire croisé au tactical médiéval à permadeath, on est passé au dungeon-RPG Jpop foncièrement feel-good. Mais bon sang, ça pouvait difficilement valoir plus le coup de se mettre tout le monde à dos.


Qu’on ne s’y trompe pas : il y a bien des références claires, jusque dans les bases du jeu, à Fire Emblem et Shin Megami Tensei, sans qu’elles n’en fassent un titre taillé pour les habitués de ces sagas. Pourtant, faire de Tharja le persona d’une idol tokyoïte, ou de Tiki une Vocaloïd n’est peut-être pas si insensé. À la base, tout ce merdier tourne autour du Performa, sorte d’énergie de l’inspiration que suintent artistes en performance et public receveur, et impliquée dans une série d’évènements étranges. C’est d’elle que ces Mirages venus de Fire Emblem se nourrissent, ou qu’ils utilisent pour se lier à un humain. Pour mener l’enquête, il faut donc bien quelques idols dans les rangs.


Au premier degré, il aurait fallut beaucoup de ressources pour que TMS#FE soit à la hauteur de ce concept étrangement hyper malin. Ça aurait pu donner un grand RPG musical, acide sur l’industrie du divertissement. Mais c’était impossible. Conscient de lui-même, il vire donc vers quelque chose de plus tranche de vie, à cheval entre pastiche et parodie très couillonne, comme quand un des personnages présente une émission culinaire où l’on se contente de réchauffer des petits plats au micro-onde. Il rend hilare, pas toujours pour les mauvaises raisons, et l’intrigue a la politesse de ne jamais trop s’imposer, en dehors de quelques fulgurances entre #LeJapon et l’Eurovision.


Pour celles et ceux qui auraient le courage de dépasser ce (gros) choc initial, TMS#FE serait alors moins un acte manqué qu’un OVNI très peaufiné. Il frappe déjà par sa souplesse rare, à des années lumière de Shin Megami Tensei et consorts. Des détails qui, mis bout à bout, changent tout : pas de game over soudain en cas de mort du leader, reconfiguration d’équipe en plein combat sans sacrifier un tour, deux types de faiblesses pour les ennemis (les éléments et les types d’armes), etc. C’est un Persona d’une grande souplesse, et où la frustration ne viendra pas d’un game design imprécis.


En héritiers de Megaten, les ennemis de TMS#FE ne se laisse pas faire. Notre troupe d’intermittents du spectacle dispose toutefois d’un grand atout baptisé Session. Lorsqu’un membre exploite la faiblesse d’un ennemi, le reste du casting, même en réserve, peut alors attaquer gratuitement à condition de disposer d’une session skill adaptée. Des combos indispensables qui passent par une bonne gestion des personnages et leur personnalisation. Loin de la promenade de santé, le jeu possède donc difficulté et même dilemmes. Les minutes peuvent par exemple passer par poignées entières lorsqu’une nouvelle technique, quelle que soit sa catégorie, peut-être apprise, obligeant alors à choisir celle qui lui cèdera sa place dans une liste restreinte.


Les compétences viennent des armes. Les armes, d’une forge. Et les ingrédients pour la forge ? Des ennemis ou des donjons bruts mais aux puzzles toujours malins, etc. TMS#FE est un pur RPG à systèmes avec la finition exemplaire d’Intelligent System, et son alchimie entre tous ses systèmes est bien sa plus grande réussite. Osons : sur le plan des mécaniques et de la gestion du rythme, il est même plus abouti que Persona 5. De quoi donner envie de pousser ses limites et transformer ses 40 heures en 90, quitte à ce que le boss de fin ne s’adapte malheureusement pas au monstre qui ressort de toutes les quêtes annexes dans une armure Gucci rutilante.


Ce jeu est d’ailleurs le dernier endroit où l’on pouvait s’attendre à trouver du Hideo Minaba (directeur artistique de FFIX et Granblue Fantasy), qui signe les designs très réussis des Mirages. Ils ne sont égalés que par les héros et les interfaces aussi élégantes que sobres, laissant loin derrière décors pauvres et PNJ qui gardent en leur(s) sein(s) (vous l’avez ?) l’essentiel des fautes de goût. TMS#FE reste dans l’ensemble élégant et innocent, surtout dans une catégorie habituellement très racoleuse. On ne va pas se mentir, la « censure » de la version occidentale aide un peu, quitte à ratisser trop large. Mais quand on explique à une jeune fille que pour devenir une idol / sauver le monde, elle doit enlever le haut, il faut bien faire quelque chose, même bancal. Être un bonbon tout doux sur le monde du spectacle, c’est une chose. En cacher les très nombreux problèmes, c’est une limite qu’il faut retraverser quand on trébuche dessus. Être bête sans être méchant, c’est un équilibre délicat.


Tokyo Mirage Sessions #FE, c’est le RPG de seconde zone que tous les RPG de seconde zone rêvent d’être sans en avoir la justesse. Et la justesse, ça peut être un gaijin en costume de chien qui rapporte dans sa bouche la hache de la loli-tank en plein combat. Le jeu de niche ultime, et le plus grand RPG J-pop. Est-ce un compliment ou une insulte, c’est à vous de voir. En l’état, il est à l’image de ses thèmes d’ouverture et de fin : une Reincarnation qui donne le Smile Smile.

Ensis
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le 2 avr. 2019

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