Dans Uncharted 3, le game designer a fait main basse sur une casquette et un fauteuil de réalisateur de cinéma. Les nouvelles aventures de Nathan Drake draguent le terrain déjà bien creusé par Heavy Rain. Autre vision de la relation entre cinéma et jeu vidéo, Uncharted 3 se démarque néanmoins de l'oeuvre de David Cage par son genre : ici, on est dans l'aventure façon Hollywood.

On ne pourra le nier, cette fin d'année est fabuleuse, mais elle se distingue aussi par son manque d'audace. Après Assassin's Creed – Révélations et Zelda – Skyward Sword, ce troisième épisode de Uncharted reste sur ses acquis et ne surprend pas, ou en tout cas, moins qu'à l'arrivée du second volet, qui lui, reformulait avec talent la recette de base de la série. Mais rappelons nous que Naughty Dog fonctionne sur une logique de trilogie : Crash Bandicoot puis Jak and Daxter. Uncharted 3 semble aller dans ce sens en concluant une nouvelle démarche créative du studio tout en exploitant au maximum la plate-forme donnée. Sincèrement, je ne vois pas comment ils pourraient mieux utiliser les ressources techniques de la PS3. Graphiquement le jeu est sublime ; la moindre parcelle de décor fourmille de détails et les décors sont tout simplement magnifiques. Avec des diaporamas carte postal, Uncharted 3 entretient chez le joueur un goût pour l'aventure démesuré.

L'animation est l'un des pôles de développement encore perfectible dans les jeux vidéo actuels. Naughty Dog le sait et s'est mis en tête de résister à cet état de fait en échafaudant des personnages mû par des mouvements saisissants de réalisme. Toujours dans une certaine analogie au cinéma, le tout évoque plus la direction d'un acteur plutôt qu'un fatras de pixels. L'avatar s'érige à un nouveau statut, devenant ainsi vivant. Jamais dans un jeu vidéo on aura vu un héros se déplacer de la sorte. Chaque scène possède son propre script d'animation. Ainsi, Nathan Drake adoptera à chaque fois une attitude raccord avec son environnement et la situation. Et si les joueurs trouvent certains gestes poussifs, empêchant à quelques rares moments de contrôler parfaitement son héros, j'y vois plutôt un "sur-jeu" des personnages-acteurs. Une exagération, non voulue bien sûr, mais témoignant des balbutiements de ce « film interactif ». Les animations sont fabuleuses, mais c'est dans la recherche et l'utilisation des plans de caméra que la relation avec le Septième Art se fait incontestable. Dans Uncharted 3, le point de vu du joueur change constamment. Le titre est bien un TPS, mais l'appellation devient avec cet épisode un brin désuette à tel point que les plans étonnent par leur justesse, leur variété et leur originalité.

Récemment, Tadhg Kelly (développeur britannique) a déclaré dans le magazine Edge que le jeu vidéo ne pouvait être narratif dès lors que le joueur contrôlait le temps. Christophe Balestra et ses amis vont avec Uncharted 3 poursuivre ce que Deus Ex – Human Revolution et Heavy Rain avaient déjà réfuté. Dans le dernier Naughty Dog, absolument tout est sous contrôle. Pour dompter le joueur, ses possibilités d'actions sont parfois diminuées, ainsi l'allure de course devient l'apanage des développeurs. C'est assez déroutant au début, mais cette démarche permet réellement de faire corps avec l'oeuvre. Parfois, l'interaction avec le jeu sera infime : pousser légèrement le stick suffira à faire dérouler la scène. L'alternative n'a pas sa place dans Uncharted 3 et chaque écart au script sera immédiatement puni. Les game over résonneront ainsi comme autant de prises ratées, où les acteurs, la musique et les caméras reprendront inlassablement leur place au retentissement du clap. On se demande même si, sur certaines séquences, le joueur a encore réellement le contrôle du personnage. Si on joue au jeu ou si c'est l'oeuvre qui se joue de nous. Je radote, mais l'analogie avec le cinéma est ici une évidence, car on ne maîtrise jamais la vitesse d'un film, on la subit, tout comme la vision du réalisateur.

Hormis ses accointances irréfutables avec le cinéma, l'aventure de Uncharted 3 convainc et enivre à travers son rythme effréné. Par contre, on commence à voir les ficelles et les artifices qui masquent le fond du théâtre. Les scènes grandiloquentes subjuguent par leur extravagance (toujours !), mais déçoivent par leur prévisibilité. De plus, on sent que les chapitres ont été développés de façon distincte. Chaque destination correspond à de grandes séquences indépendantes, sans lien pour les relier entre elles. Certains chapitres n'ont même aucune qualité ludique et seul un approfondissement de l'univers et de la psychologie des personnages y sera présenté. J'ai apprécié ces interludes narratifs où le ravissement est de mise, sans forcement nous en demander trop, et où appuyer sur une direction suffira à nous faire décrocher la mâchoire.

Les bagarres au poing frustrent aussi quelque peu. Meilleures que celles d'Uncharted 2, et clairement inspirées des jeux Batman de Rocksteady, ce système de combat aurait pu être plus profond. Pour ceux qui ont quadrillé les allées sinueuses d'Arkham City, les bastons d'Uncharted 3 vont paraître un peu fades. A propos des joutes armées, le problème est plus prégnant. Les armes manquent cruellement de punch. On ne ressent pas la puissance des pistolets, des mitraillettes et autres fusils à pompe. Si le reste des animations du jeu est sublime, là, Nathan ne subit pas suffisamment de recul. Le joueur semble faire feu avec un pistolet à eau. De plus, l'impact des balles sur le corps des ennemis est, de la même manière, très mal retranscrit à l'écran. Autre grief : nos opposants ont tous le même modèle physique (même tête, attitude et costume), à croire qu'il n'y avait plus assez de budget pour les figurants. Un problème secondaire, mais qui contribue à asseoir notre légère déception autour de ces conflits armés. Difficiles, longs et moins passionnants que le reste de la quête, ces passages musclés représentent pour moi le point noir du titre. J'avais hâte qu'ils se terminent, pour pouvoir tranquillement me replonger dans les paysages magnifiques, où la sensation de voyage est brillamment retranscrite et, surtout, où les macro-puzzles reprennent leur droit. Ces énigmes de grandes envergures, qui font tourner les têtes et les niveaux entiers, reviennent enfin sur le devant de la scène.

Aussi linéaire qu'une bobine de film, Uncharted 3 brille néanmoins par sa proposition spectaculaire et le regard qu'il invite à poser sur son monde : cloitré mais éblouissant. Le travail de la caméra, et sa place dans le jeu vidéo, est dans ce titre comparable au choc éprouvé à l'époque de la Playstation avec Resident Evil. Rien n'est révolutionné, mais un pallier a clairement été franchi dans ce parallèle avec le cinéma. La formule Uncharted est ici copiée-collée. Si la pratique me révulse le plus souvent, j'ai malgré tout adhéré au titre, à sa grandiloquence et son accessibilité. Attention néanmoins à ne pas trop abuser de la formule magique. Le Naughty Dog de Gavin et Rubin (les anciens coprésidents du studio) étaient inventifs et pondérés, se limitant à une trilogie (et un jeu de kart) avant de vendre leur licence. Espérons que la relève saura faire montre d'une ambition tout aussi raisonnée et ne multipliera pas sous sa houlette une ribambelle de clones.
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le 2 déc. 2011

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Mehdi El Kanafi

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