Valkyria Chronicles
7.6
Valkyria Chronicles

Jeu de Sega Wow et Sega (2008PC)

Chère Jane,


ta présence au front me manque. Nous manque. L'escadron tout entier te regrette maintenant que tu nous as quittés. Cela dit, ne t'y trompes pas : si je nous te regrettons, c'est plus pour ton efficacité en interception que pour ta personnalité. Tu étais distante (mes papiers m'indiquent que tu n'avais pas d'affinités avec grand-monde), raciste - mais comme ça te rendait plus efficace face à nos ennemis, je dois admettre que j'y ai vu une qualité plutôt qu'une tare - et sadique. "Jane la sadique", on t'appelait, et tu le méritais ce surnom ! A gérer vingt personnalités différentes pour maximiser les alchimies entre chacun, à soupeser défauts et qualités, on apprend vite à juger d'un coup d’œil les nouvelles recrues. Tu m'avais plu, et je t'avais systématiquement envoyée en première ligne, comme tu le demandais, là où tu pourrais te délecter de la souffrance des ennemis que tu massacrerais.
Je n'ai rien dit quand tu me l'as expliqué, juste signé l'ordre d'affectation. On manquait trop de recrues de choix pour être regardants. Et quelle recrue de choix tu étais ! Je me souviens comme si c'était hier de ce jour où, avec Edy, vous avez mené seules la contre-attaque dans le désert. Quelle remontée !


Je suis venu visiter ta tombe, au cimetière, là où reposent prétendument ceux tombés au combat, pour y déposer, peut-être, quelques fleurs, mais il y n'avait là rien qu'un vieux barbu qui s'obstinait à me bloquer le passage pour m'offrir de dépenser mes points d'expérience durement acquis. Je n'ai donc jamais pu atteindre le cimetière. Tu n'imagine pas à quel point j'ai pu enrager face à ce détail apparemment trivial. Ils avaient bâti un cimetière sans que l'on puisse rendre hommage aux morts !


Je suis sûr que, de ton côté, tu ne m'en voudras pas. C'était, pour ma part, ma seconde déception, la première étant l'étrange disparition de ton cadavre en plein milieu du combat. Sans parler du fait que tu ne versais pas de sang quand tu étais blessée. Personne ne versait de sang, d'ailleurs, maintenant que j'y pense. Il y avait aussi ces moments où tes camarades d'infortune tombaient dans des dimensions parallèles en montant une échelle. Étrange. Enfin, bref. C'était durant la libération de Fouzen. La libération du camp de concentration.


On nous avait envoyés saboter le train blindé qui bloquait la région et, en même temps, libérer le camp. C'était la condition qu'avait posé Zaka, le Jui... je veux dire le Darcsen, pour nous offrir son aide. Aimable à lui. Il savait que les combats seraient mortels, et il s'est caché à raison jusqu'à la toute fin. Pour ma part, je n'étais pas inquiet. Mes adversaires étaient sots, mais organisés. Ils agissaient n'importe comment, mais leur placement impeccable me donnait toujours suffisamment de fil à retordre pour que je puisse clamer sans honte mes médailles au grand conseil de guerre. C'est dans le canyon, avec quelques mobiles éclaireurs, que commença ta dernière bataille, Jane. Et puisque tu n'en vis qu'une partie, permets-moi de te dire que, plus que les autres, ce combat-ci fut terrible; un avant-poste tenu par trois Impériaux, notamment, nous prit au piège. Je t'y avais envoyée en me disant que, comme toujours, tu ferais le ménage. Mais cette fois-ci, j'avais tort...


[Changement de stylo. L'encre bleue délavée fait place au crayon à papier, sans doute faute d'encre]


Je ne t'ai pas vu mourir. Alicia m'a dit t'avoir simplement entendu gémir une dernière fois au sol quand cet éclaireur t'a achevée au sol d'une balle dans la tête. Abattre une blessée était un crime de guerre. Tu en avais commis, toi aussi, mais j'ai tout de même fait payer à ce lâche sa couardise. Nous avons brisé jusqu'à leur dernière barricade, exterminé jusqu'à leur dernier sniper embusqué et, une fois la bataille terminée, nous avons cherché ton corps. En vain. Comme celui de toutes les autres victimes de cette drôle de guerre, il avait simplement disparu au beau milieu du champ de bataille quand un ennemi avait marché dessus. Soit tu étais vraiment très fragile, soit les lois de la conservation de la matière elles-mêmes perdent la tête en temps de guerre.


Je sais que, malgré tes faux airs de brute, tu accordais une grande importance à la libération du camp de concentration de Fouzen. Oscar - l'un des rares avec lesquels tu t'entendais, quand on parle d'affinités improbables - m'avait dit que plus que tout tu voulais que les enfants soient saufs. Il m'avait parlé de ta vie d'avant la guerre, de ta petite boutique de fleuriste sous un porche, qui avait été bombardée au début de l'invasion. Je me souviens avoir bien ri quand il m'en a parlé. Je ne parvenais pas à t'imaginer, toi, la terreur de la 7ème, en petite fleuriste souriante...


Je suis désolé de ne pas être venu te parler de tout cela.


Je suis désolé pour ta petite boutique de fleuriste.


Je suis désolé que tu n'aies pas survécu à cette guerre.


Concernant le camp, quand nous sommes arrivés, il était en cendres, et les prisonniers étaient morts. Les Impériaux avaient préféré tous les massacrer plutôt que de nous les laisser. Bizarrement, je n'ai pas été particulièrement marqué par ce moment, j'étais obsédé par une sorte d'insupportable grincement de violons tristes qui résonnaient et que je semblais être le seul à pouvoir entendre, impossible de m'en débarrasser - tout juste ai-je eu une pensée pour toi. Oscar aussi t'a regrettée. Enfin, jusqu'à ce qu'il meure à son tour, et que son frère ne prenne sa place dans la 7e. Pauvre gosse.


Une fois rentrés à Landgriz, la princesse m'a décerné une médaille, "La Corne Fendue", pour avoir - je cite - laissé mourir au combat une unité ayant atteint son potentiel maximal. Ils m'ont donné une putain de médaille pour t'avoir laissée mourir. Je suis sûr que, de l'au-delà, ce genre d'humour ne te laissera pas indifférente. Moi j'ai bien ri ce jour-là. Nos supérieurs étaient de toute façon inutiles, comme toujours. La guerre, nous l'avons gagnée seuls. C'est à se demander si d'autres escadrons existaient en dehors du nôtre.


Je t'ai écrit cette lettre depuis le bureau de l'école communale où je donne maintenant cours dans mon village natal. La guerre est maintenant finie, et j'ai repris ma vie heureuse et monotone. Tu me connais, je suis à peu près aussi peu charismatique qu'un personnage masculin d'anime, et j'ai finalement eu la vie qui me plaisait, entre la nature, les enfants, une femme aimante et du bon pain chaud. Le bonheur tranquille pour quelqu'un qui ne demandait que ça. Je me demande encore par quel foutu hasard j'ai été propulsé au milieu de cette guerre. J'ai sauvé le pays, certes. Mais même au milieu de tout ce bonheur qui m'entoure maintenant, je garde dans la gorge un vague goût amer.


Le jour de la libération, ton nom est apparu dans la liste des conscrits, avec la mention "décédée", accompagné de celui de quelques autres, parmi lesquels ton ami Oscar, tombé comme toi au champ de bataille. C'est seulement alors que j'ai compris que je t'avais définitivement perdue, toi, ta haine des Impériaux, ton sadisme et ta petite boutique de fleuriste bombardée. Ce n'est qu'à la toute fin que j'ai versé une larme.


Dommage. La guerre était déjà finie.

Tezuka
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le 16 juil. 2015

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