Vaste débat que sont les jeux narratifs. Sont-ce vraiment des jeux ? Tel est leur principal grief et qui continue à faire couler beaucoup d'encre, autant dans la presse que chez les joueurs. Et cela peut se comprendre.


"Edith Finch" n'est pas le premier du genre auquel je touche. Si jusque là, les expériences furent d'appréciations diverses (du sympa au détestable (c'est de toi dont je parle, David Cage)), il manquait un petit quelque chose à chacune d'entre elles pour les rendre mémorables. La plus proche de réussir fut probablement Journey, sa direction artistique et les émotions qui s'en dégageaient auraient pu me combler. Mais son manque global de surprises m'a laissé sur ma faim. Des surprises, The Stanley Parable n'en manquait pas, mais restaient globalement trop timides, peu nombreuses, et passaient à côté de plein de possibilités. Firewatch démarrait une histoire poignante et intrigante, qui finissait, hélas, par s'essouffler sur la fin. The Vanishing of Ethan Carter offrait une atmosphère Lovecraftienne fantastique et un univers sublime, mais compile des éléments interactifs un peu répétitifs et une histoire qui aurait gagnée à être étoffée. On peut aussi évoquer les séries de Telltale qui, si elles ont réussi à faire illusion au début, ont vite montré leurs limites, avec des productions sur la pente descendante, en attendant un renouvellement annoncé récemment. Je ne ferai, enfin, pas l'affront d'évoquer les jeux Quantic Dreams, véritable festival d'histoires grotesques aux ficelles épaisses comme 10 cordes à noeuds.


Et puis arrive Edith Finch. Pas désespéré par mes précédentes expériences, je me lance malgré tout dans l'aventure. Après l'avoir fini d'une traite, à l'issue de ses 2h30 / 3h, je tiens enfin l'expérience qui justifie à elle seule l'existence du genre. Parmi tous les défauts compilés sur divers titres sus-mentionnés, Edith Finch parvient à quasiment tous les éviter, et même aller bien au-delà.


Vous incarnez Edith Finch, dernière héritière et survivante de la famille des Finch, donc, qui vient d'hériter de la maison familiale. Afin d'en découvrir un peu plus sur sa famille, et sa mystérieuse et tragique histoire, elle décide de revenir à ce domicile qu'elle a fui pendant des années. Au fur et à mesure de la visite, Edith va soulever les souvenirs douloureux de sa famille, remontant ainsi plusieurs décennies, presque un siècle, et découvrir, ou se remémorer, les principaux membres de sa famille, ainsi que leur funestes destins.


Edith va se retrouver dans chaque chambre, chaque pièce, chacune ayant un lien avec les membres de sa famille. Chacune va vous dévoiler une histoire interactive, dont je ne vous dévoilerai rien. Arrive alors la première force du titre: quelle inventivité! Jusqu'ici, les jeux narratifs auxquels j'ai pris part amorçaient des base de mécaniques d'interactions qui se répétaient tout au long de l'aventure, et ce jusqu'à la fin. Même si l'on accepte qu'un jeu narratif n'est pas vraiment un "jeu" (pas de challenge, de scoring, de bonus, etc.), le fait de se baser sur les mêmes quelques éléments sur le long de l'histoire à dévoiler (principal intérêt de base d'un jeu narratif) est un peu dur à avaler. Un bon livre nous emmène de surprises en surprises, de chapitres et situations différentes, des manières différentes d'aborder l'histoire. Même chose pour un bon film. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour un bon jeu narratif ? Cela, Edith Finch l'a bien compris, et varie à loisirs les expériences et les manières de faire avancer l'histoire. Et si ce n'était encore que ça, ça serait déjà bien, mais le titre d'Annapurna Interactive se permet même parfois des passages vraiment surprenants et marquants. Je n'en dévoilerai rien, pas le moindre gramme, pour que le jeu vous cueille comme il m'a cueilli. Je pense que le passage de la conserverie restera parmi mes plus grands souvenirs de jeu vidéo. Ni plus, ni moins.


L'univers dans lequel nous plonge l'histoire est, lui aussi, fabuleux. L'histoire à beau se dérouler uniquement dans une grande maison, il ne vous en fera pas moins voir de toutes les couleurs, des ambiances incroyables. La lassitude n'est jamais au rendez-vous. On ne lâche pas la manette tellement nous y sommes plongé.e.s la tête la première. Journey ne dérogeait pas vraiment de son décor désertique, le monde d'Ethan Carter, aussi beau et plus vaste soit-il, ne donnait pas autant l'impression de nous faire voyager que la maison des Finch, et les Telltale fonctionnent comme des séries, donc dans une narration plus classique. Ici, le titre déroule un cheminement de base certes classique (on suit un chemin prédéfini où l'histoire se déroule comme les développeurs l'ont prévu), mais les surprises sont tellement nombreuses et au rendez-vous que l'on oublie ce léger défaut. Et si "What Remains..." est moins beau et techniquement un peu moins solide techniquement que certains de ses camarades, sa direction artistique est au top, le niveau de détails de chaque pièce est fou et ont leur ambiance propre et très poussée (je vous met au défi de ne pas avoir envie d'habiter cette maison), et chaque histoire est inventive au possible. On ne joue pas dans Edith Finch ? Possible. Mais le titre a parfaitement compris le sens du mot "narratif" et l'a embrassé à bras-le-corps.


Pour finir, comme l'histoire nous fait remonter plusieurs époques, chacune est très bien retranscrite, et sans aucune lourdeur. Des références sont disséminées par-ci par là (une très visible (ou plutôt "audible"), mais bien utilisée, m'a tiré un sourire jusqu'aux oreilles), et jamais surlignées comme du vulgaire fan-service. On pourrait également penser à des cinéastes comme, bien évidemment, Tim Burton, ou encore Wes Anderson, mais le jeu digère tellement bien ses influences qu'on n'a jamais l'impression qu'il singe grossièrement ce dont il s'inspire, pour avoir, au final, son identité propre. La sublime bande-son est également à l'avenant. L'histoire, quand à elle, est fabuleuse. Soyez tout de mêmes dans de bonnes dispositions, car vous n'allez pas rigoler, loin de là. Sans être étouffant, ni outrageusement dramatique, le soft nous livre une histoire, touchante, poignante, parfois vraiment triste (de mémoire c'est l'une des rares fois où j'ai pleuré devant un jeu), mais toujours bien écrite et bien dosée. Mon conseil, pour encore mieux l'apprécier, est d'y jouer dans l'obscurité, afin d'apprécier pleinement l'univers et sa direction artistique, et d'une traite, l'histoire contée n'en aura alors que plus d'impact. Prévoyez-vous 2h30/3h de votre temps, mais je vous garantis que ça en vaut la chandelle. Et si vous êtes impliqué.e.s comme moi je l'ai été, vous n'y réfléchirez même pas, et vous ne lâcherez pas la manette.


Alors oui, en termes de défaut, et bien reste le même que celui propre à tout jeu narratif, aussi excellent soit-il, la rejouabilité ne présentera que peu d'intérêt, si ce n'est que de vous replonger à nouveau dans l'histoire. Les surprises ne seront plus au rendez-vous, subsistera simplement le plaisir de vous replonger dans ce que le jeu a à vous raconter, pour peu que vous y ayez accroché. Les jeux narratifs font désormais font pleinement partie du paysage vidéoludique, et il faut l'accepter. Continuer à débattre sur la question du "s'agit-il d'un jeu ou non" n'a plus aucun sens. C'est un genre nouveau, effectivement pas du tout basé sur le challenge et de défis à relever, mais ne sont pas dénués d'intérêts. Cela parlera effectivement aux amateurs et aux amatrices d'histoires avant tout, c'est une sorte de prolongement de la littérature ou de la cinéphilie, il faut savoir l'accepter en tant que tel. Ce n'est pas parce qu'ils font partie de l'univers vidéoludique qu'ils n'y ont pas leur place. Je sais que je n'ai pas toujours dit ça par le passé (Cf. mes critiques de Journey, Stanley parable ou Heavy Rain), mais mon avis a évolué. J'ai toujours été intéressé et fasciné par le genre. Je me suis toujours plongé dans ces aventures sans déplaisir et avec bonne volonté. Jusque là, tous ces titres présentaient des intentions plus ou moins bonnes, mais passaient un peu à côté de quelque chose, parfois de peu pour les titres les moins mauvais. Mais avec "Edith Finch" je sais qu'on peut définitivement tirer quelque chose de ce genre. Il aura fallu attendre un peu mais ça en valait totalement le coup, et me permet d'accepter le jeu narratif comme un "vrai" jeu, qui vise simplement des objectifs différents de ses bons vieux camarades que sont les FPS, les jeux d'action ou de stratégie.


"Edith Finch", au -delà de toutes ses qualités propres liées à son média de base, est une oeuvre majeure. Elle m'a touché au-delà de ce que je pouvais en attendre. Et vous savez quoi. Elle restera désormais parmi mes oeuvres préférées, tous médias confondus. Ni plus, ni moins.

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le 4 mars 2018

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