Labyrinthe énigmatique, migraine jouissive

84 (nombre en constante augmentation), le nombre de screenshots présents dans mon dossier Blue Prince et que je consulte quasiment tous les jours depuis des semaines après avoir commencé ce jeu.

84 screenshots qui sont autant de pièces de puzzle disséminées dans sur mon bureau et dans mon cerveau, qui occupent ma pensée presque davantage quand le PC est éteint que lorsque que je suis dans le jeu.

Dans Blue Prince, il n'y a pas une session de jeu, si courte soit elle qui ne fait pas progressé ou qui ne donne pas envie d'y revenir plus tard. J'ai vu assez peu de jeu qui te font alterner aussi bien entre l'envie de jouer juste 30 minutes rapidement pour tester quelque chose que tu avais en tête depuis le début de la journée et le besoin de te programmer 3 heures dans la soirée pour te re-impliquer à 100% dans les énigmes et les casse-têtes.

Blue Prince est un rogue lite architectural et un puzzle game, le tout enrobé dans une narration assez cryptique, mettant souvent un pied dans le fantastique. Par ailleurs le tout premier jeu du studio californien Dogubomb, chapeau.

On y incarne le jeune hérité d'un manoir, légué par un oncle plutôt mystérieux et qui nous explique qu'il nous faudra atteindre la non moins mystérieuse salle 46 afin de mériter pleinement la propriété de la demeure. On est donc lancé dans une exploration de salle en salle avec un système de draft à chaque passage de porte nous donnant à choisir entre 3 nouvelles salles, chacune ayant potentiellement un coût d'entrée et/ou une mécanique de gameplay particulière en son sein. Le but étant de réussir à se tracer un chemin jusqu'à la salle 46. Le cœur du jeu est contenu dans le fait qu'il est pratiquement impossible d'atteindre cette dite salle du premier coup, et qu'il nous faudra relancer de nombreuses runs pour comprendre le fonctionnement des chambres de ce manoir et les énigmes sur notre chemin nous bloquant l'accès à cette salle finale.

Commençons donc par ce qui me semble le plus gros point fort de Blue Prince, le level design, bien qu'il soit un peu étrange dans un rogue lite étant donné que chaque run donne lieu à une nouvelle disposition de salles et donc des mécaniques potentiellement différentes de la run prétendante. Chaque nouvelle tentative met en scène une disposition de salles et un enchaînement d’événements (récupérer une clé, une gemme, une information contenue sur un bout de papier,...) dont l'ordre change à chaque fois, le jeu est alors magistralement bien construit pour réussir à nous donner un petit bout de quelque chose différent et nouveau lors de chaque nouvelle exploration. Le jeu est parfaitement dosé pour être certes difficile et complexe mais rarement dans la frustration et le blocage, bien que cela fasse partie du concept d'un rogue lite, on peut donc avoir le sentiment d'être, run après run, dans des impasses mais cela témoigne en réalité plus de notre incapacité à nous poser les bonnes questions et à nous interroger sur notre progression et sur nos découvertes passées.

Parce que clairement, penser que Blue Prince peut se résoudre de manière linéaire et sans embûches, en se servant seulement de notre mémoire et de quelques heures d'exploration c'est au choix ne pas vouloir profiter de la profondeur exceptionnelle que nous offre le jeu ou surestimer grandement ses capacités analytiques.

Probablement qu'une partie de la frustration ayant conduit des joueurs à lâcher le jeu assez tôt, en arguant son incompréhensibilité, me semble liée à un manque de patience et à une incapacité à accepter les règles tacites que le jeu nous expose. Dès lors qu'on accepte qu'être bloqué dans la progression architecturale du jeu ne signifie pas, loin de la, être bloqué dans la compréhension du manoir et de ses alentours, alors on se relâche, on se détache de la frustration et on entre pleinement dans ce qui fait de Blue Prince un grand jeu.

Bien entendu, Blue Prince n'est pas exempt de défauts, sur lesquels il reste important de s'arrêter un instant. Le sound design est assez léger, il y a quelques moments sympas dans l'exploration mais j'aurais apprécié quelque chose d'encore plus immersif et mystique pour être accompagné dans l'aventure. De la même manière, je déplore un peu l'absence d'une bande originale marquante, bien que dans le même cela me semble assez difficile à faire dans un jeu où l'on change de salle et d'ambiance souvent rapidement, ne laissant que peu la place à l'installation de musiques pertinentes.

Un autre point négatif, mentionné plus haut déjà réside dans le côté inhospitalier des énigmes et au final de la narration même qui a pu rebuter du monde. En effet, le jeu est loin de nous tenir par la main, en tout cas dans les première heures de jeu, ce qui au titre de mon expérience personnelle fait d'une certaine manière aussi la force de Blue Prince et de sa proposition de jeu. Force est de constater que cette aridité dans l'exposition de notre place dans le jeu peut être reçu comme un signal négatif et c'est tout à fait compréhensible.

Pour terminer, et c'est encore un "point négatif" qui pourrait être une force du jeu en réalité, mais l’enchevêtrement d'énigmes et de side quests par rapport à l'objectif final d'atteindre la salle 46, donnent parfois le sentiment que le fil rouge du jeu perd en intérêt voir ne nous récompense pas tant que cela une fois atteint. C'est à dire que dans l'immense densité de choses à faire et à comprendre dans le jeu, la réalisation de l'objectif qu'on nous annonce dans la première minute du jeu ne nous satisfait pas tant que cela in fine. Un côté un peu négatif et frustrant de ne pas avoir un fin un peu plus en apothéose qui dans le même temps témoigne que le jeu et le bonheur qu'on en tire se trouve davantage dans toutes les petits accomplissements qui auront jalonnés nos longues heures d'exploration et de tirage de cheveux.

Blue Prince est un jeu qui propose une exploration bien particulière et un déroulé qui peut s'avérer frustrant pour certains mais qui à l'audace de se différencier par son level-design et son gameplay. Pour cela il mérite toute notre admiration. Pour un rogue lite d'ailleurs on se s'embarrasse pas d'un inventaire qui s'étoffe trop avec le temps, le jeu fait les choses très simplement pour nous laisser nous concentrer au maximum sur les énigmes et libérer de la charge mentale à notre cerveau.

L'aspect rogue lite, qui peut s'avérer punitif suivant les jeux, est ici assez accueillant en réalité, bien sur on peut se retrouver à "échouer" dans notre run mais sans tomber dans le côté "mort" en boucle face à une difficulté. Il n'y a pas de fin de run réellement rageante et lourde, puisque chaque fin est très différente.

L'une des choses qui m'a marqué au fur et à mesure de mon aventure dans le jeu c'est à quel point il a pu me rappeler certains sensations de jeu dans Outer Wilds. Bien sur les jeux sont dans de nombreux points éloignés, cependant cet instant de jeu au cours duquel tu te rends compte que tu as perdu le fil de la "quête principal" pour t'aventurer des heures dans des directions opposées sans que rien au sein du jeu ne te force ou ne te contraigne à y revenir, fait pour moi la grande force de ces œuvres.

Quand le plaisir se trouve à errer et divaguer, sans pour autant avoir le sentiment d'être perdu, on touche à une forme de perfection dans la construction d'un jeu à enquête et découverte. Réussir à donner au joueur une si grande satisfaction à la résolution d'une partie si infime du jeu, c'est avoir réussi à équilibrer et à organiser d'une magnifique manière son jeu et pour cela Blue Prince s'installe déjà à la table des très grands de ce style.