Ah ça ! C’est peu dire si, de nos jours, il y a de quoi s’égarer sur les routes du jeu vidéo tant les destinations et les embranchements se multiplient ces derniers temps !
Et si d’un côté les habitués des grosses destinations ludiques de masse se retrouvent au final très peu impactés par cette floraison de nouvelles possibilités – préférant rester fidèles à ces bonnes vieilles autoroutes que sont les Triple A – de l’autre il n’en va pas de même pour des joueurs comme moi qui – parce qu’ils sont davantage à la recherche de contrées sauvages et de caractère – peuvent très vite s’égarer face au pléthore de ces nouveaux chemins de traverse…


Or Road 96 fait justement partie de ces sentiers un brin aventureux qu’il n’est pas désagréable d’emprunter sitôt recherche-t-on un peu de dépaysement, et pour le coup je suis plutôt reconnaissant des quelques rubriques de presse et autres éclaireurs qui m’ont aiguillé en sa direction.
Alors après on ne va pas se mentir non plus, Road 96 n’est pas vraiment un pur produit de la culture indé dans ce qu’elle peut avoir de plus éclectique.
Aux origines du projet on retrouve le studio DigixArt, fondé en 2016 par l’ancien d’UbiSoft Yoan Fanise (lequel s’étant notamment illustré pour le fort séduisant Soldats inconnus, mémoires de la grande guerre) et il suffit de regarder le seul générique de fin de ce Road 96 pour comprendre qu’on est très loin des équipes ultra-réduites du genre de celles qui ont officié sur Paper Please, Celeste ou bien encore Hollow Knight
Cette culture de l’entre-deux, on la ressent d’ailleurs un peu tout le long du jeu : graphismes cheaps mais B.O. qui nous sort quand même quelques beaux noms de la scène electro ; mécaniques atypiques mais aussi mimiques assez communes ; narration qui coche pas mal de cases des produits usinés mais aussi quelques audaces narratives bienvenues…
En fait (et dit autrement) Road 96 est le genre de jeu qui entend tenter quelques trucs, mais toujours dans une logique de prise de risque contrôlée…
Et franchement, moi, j’ai trouvé ça globalement assez rafraichissant…


Déjà Road 96 a pour lui d’avoir su m’intriguer dès le début de ma partie.
Le postulat narratif – qui consiste à incarner une succession d’adolescents cherchant à fuir le pays en ralliant la frontière – présente déjà le mérite d’être pour le moins atypique.
Non seulement il instaure un univers ambigu, entre d’un côté la farce tirée à gros traits d’une vraie-fausse Amérique des années 90, et de l’autre l’’uchronie cynique à la Punishment Park, mais en plus de ça il ouvre immédiatement sur une proposition de jeu à-mi chemin entre le jeu narratif à embranchements multiples et l’enchainement de mini-jeux contextuels pouvant influencer eux-aussi sur l’avancement de l’intrigue.
La formule fonctionne d’autant mieux qu’elle est suffisamment lisible d’emblée afin qu’on puisse comprendre les enjeux de chaque situation, mais en même temps suffisamment mystérieuse pour entretenir la curiosité et l’angoisse quant à la potentielle portée de nos choix.


A bien tout considérer d’ailleurs, pour moi, c’est clairement parce qu’il a su longuement s’appuyer sur cette formule-là que Road 96 est parvenu à me séduire et à m’emmener.

Parce que l’air de rien, ce jeu a un talent certain pour jouer en permanence de cette alchimie entre d’un côté « terrain connu » et « accessibilité » et de l’autre « mystère des enjeux » et « angoisse du faux-pas »…


…Et ce talent il le doit notamment à sa structure narrative.
S’organisant en épisodes successifs, le joueur est appelé à relever en permanence le même défi : permettre à un jeune fugueur sans le sou d’atteindre la frontière et de la franchir sans se faire prendre. Et comme chaque épisode ne dure qu’environ une heure (selon notre manière de jouer) on est très vite amené à les enchainer et donc à prendre nos repères avec les mécaniques du jeu.
Seulement voilà, en contrepartie, chaque épisode comporte suffisamment de paramètres et d’événements qui lui sont propres pour qu’à chaque fois le questionnement sur la pertinence de nos choix soit réel…
Comment rallier la frontière le plus rapidement possible ?
Le bus reste le moyen le plus sûr, le plus rapide et le moins fatigant. Seulement il n’est pas accessible partout et surtout il a un coût. Et l’argent dans ce jeu peut servir aussi à se nourrir, à se payer une chambre ou bien à soudoyer des gens susceptibles de nous dénoncer à la police.
Or se nourrir et se reposer sont des éléments à considérer à chaque étape de notre épisode. Négliger ce point et notre barre d’endurance baissera d’étape en étape, et si malheureusement elle arrive à un moment donné à zéro, on s’évanouit et notre personnage se fait arrêter par la police.
Aussi pourrait-on être tenté de dormir à la belle étoile. Mais faire ça c’est prendre le risque de faire de très mauvaises rencontres à son réveil.
Idem on peut faire du stop, mais là aussi c’est la loterie pour savoir sur qui on va tomber.
Et puis enfin reste l’option du vol. Ça peut nous permettre de nous nourrir ou de nous déplacer sans frais, mais si on se fait toper, ça peut être game over direct…


Et l’air de rien, on peut très vite être amené à se faire toper dans ce jeu.
Après avoir emmené mes deux premiers fugueurs sans trop d’embuche jusqu’à l’autre côté de la frontière, je me suis ensuite pris les pieds dans le tapis trois fois de suite…
Or, à la fin de chaque épisode, le jeu prend bien la peine de nous rappeler qu’en bout de course il y a l’élection présidentielle et une potentielle situation insurrectionnelle. Dès lors on est en droit de s’interroger sur ce que notre taux de réussite et d’échec va impliquer sur le résultat final… Voire même sur les épisodes suivants !
Parce que là où – aussi – Road 96 est malin, c’est que parmi l’ensemble des choix qu’il nous amène à faire, il nous oblige parfois clairement à trancher des situations qui impacteront nécessairement le sort des personnages récurrents qu’on est amené à rencontrer tout au long de notre aventure. Dès lors, la pression de faire le bon choix n’en est que plus forte…


Alors certes, par rapport à ça on pourrait me rétorquer que ce procédé n’a rien de nouveau et qu’au fond il n’est qu’une simple redite de jeux narratifs tels que Until Dawn, ce qui ne serait effectivement pas faux…
…Mais à mon sens Road 96 mène clairement le concept plus loin.
Parce que là où Until Dawn se contentait d’un simple intrigue linéaire dont partait de temps en temps des embranchements pouvant entrainer la mort ou la survie de certains des personnages, Road 96 pense clairement son intrigue comme un enchainement d’intrigues structurellement similaires – en l’occurrence ici la structure narrative du road movie – où toutes se retrouvent finalement composées de rameaux plus ou moins aléatoires.
Chaque épisode étant découpé en étapes de trajet, chaque étape nous contraignant à interagir avec de nouveaux personnages puis à réfléchir si on dort, boit, mange, vole avant de reprendre la route, il est clairement impossible de savoir à quoi on va s’attendre pour la suite.
Le jeu dispose d’un ensemble d’éléments en réserve qu’il va déclencher plus ou moins aléatoirement, notamment en prenant compte ceux qui sont déjà tombés auparavant.


Or l’histoire peut s’arrêter très vite pour peu qu’on fasse le mauvais choix dès le départ.
A l’inverse, elle peut s’étaler en longueur, pour peu qu’on opte pour des solutions qui ne nous font pas trop avancer (même si on sent que le jeu a été pensé pour tricher un peu si jamais cette configuration venait à se produire…)
En tout cas, sur ce point Road 96 a su faire illusion un petit moment. Je ne voyais pas ce qu’il pouvait me mettre sous le nez. Par contre je voyais bien que certains de mes parcours allaient nécessairement impacter la narration des autres épisodes à venir…
…Donc là-dessus franchement : chapeau.


Et d’ailleurs d’autant plus chapeau que les gars et les nanas de DigixArt sont parvenus à faire en sorte que l’enchainement des épisodes finisse par tisser une histoire que, pour ma part, j’ai vraiment pris plaisir à suivre.
Parce que l’air de rien, comme nos épisodes nous amènent à tout le temps traverser la même région, on est conduit à rencontrer toujours plus ou moins les mêmes personnages. Certains sont centraux et présents dans les menus de chargement de barre de complétion d’intrigue, et d’autres sont davantage secondaires mais peuvent tout aussi bien alimenter l’intrigue d’un bout à l’autre de notre partie.
Et plus on avance et plus ou se rend compte que l’ensemble des destins de ces personnages sont intriqués. On nous fait aussi clairement comprendre que nos actions vont impacter grandement la trajectoire de ces personnages-là, au point qu’on soit parfois amené à se questionner si on ne préfère pas sacrifier notre avatar pour rendre un coup de main à l’un de ces gusses plutôt que de voir leur histoire se terminer aussi tragiquement.
Bon bref, je pense que vous l’aurez compris, je trouve quand-même la structure narrative de ce jeu plutôt habile et malicieuse, et pour le coup, j’ai tendance à considérer que Road 96 fait clairement avancer le domaine du jeu à la narration interactive ; lequel était un peu au point mort depuis le premier Walking Dead qui remonte l’air de rien à désormais dix ans.
Si d’ailleurs j’ai décidé d’attribuer un bon 7/10 à ce jeu, c’est aussi et avant tout pour ça. Ce jeu a su me surprendre ; à su me rafraichir les idées… Il a su m’amuser


…Mais je ne vais pas vous mentir non plus, cette note, elle est aussi un brin généreuse, parce que ce n’est pas comme si Road 96 avait su tracer son chemin sans laisser quelques trous au passage.
Bon déjà, il faut l’avouer, techniquement c’est quand-même assez limite.
Perso ça ne me dérange pas cette esthétique pratiquement assumée de visuels PS2 ; ça collerait presque au côté rétro auquel ce titre cherche à s’assimiler…
…Mais bon, d’un autre côté, il y a parfois du clipping dégueulasse, des bouts de route qui disparaissent sitôt les plans s’élargissent un peu trop, et je n’ose pas parler de ces longs dialogues durant lesquels la réalisation insiste bien sur la manque cruel d’animation des visages.


D’ailleurs parlons-en aussi un peu de la réalisation, ou plutôt devrais-je dire de la mise-en-scène.
Sur ce coup-là aussi ça manque de professionnalisme. Ces fondus au noir réguliers, moi je dis pourquoi pas, mais ces cartons « plus tard » : quelle sensation d’amateurisme.
Même chose pour le mixage sonore. OK ce titre dispose d’une B.O. de qualité qui participe grandement à l’immersion, mais parfois les morceaux se chevauchent, s’effacent à peine amorcés, ou bien parfois au contraire ils persistent trop longuement, recouvrant carrément les dialogues du jeu et nuisant dès lors à la jouabilité.
Niveau jouabilité, c’est aussi assez limite. Pas mal de mini-jeux sont très pauvres d’enjeu et parfois assez discutables en termes de fiabilité.
Idem, il y a une vraie connerie à fixer des fenêtres de dialogues mouvantes tant les risques sont parfois grands de cocher une autre case que celle voulue. Alors certes, quand il s’agit de dialogues sans incidence on s’en fout un peu, mais quand on se retrouve au cœur d’une discussion essentielle, c’est quand-même assez rageant.


Pareil, difficile de ne pas évoquer les quelques trous d’air logiques de cette structure narrative.
A chaque nouvel épisode on incarne un nouvel adolescent en fuite donc… Mais pourtant on conserve à chaque fois les compétences et objets acquis lors des épisodes précédents… (?)
Idem, certains dialogues à embranchement impliquent clairement – si on veut tirer au mieux profit de certaines situations – de s’appuyer sur les connaissances qu’on a acquises lors des précédents épisodes, ce qui est pour le moins dissonant narrativement car, techniquement, rien ne devrait permettre à mon avatar de disposer de ces informations.


Ça peut d’ailleurs entrainer de belles situations à la con et bien chiantes, comme cette fois où il faut suivre Zoé pour qu’elle nous montre le chemin vers la grotte secrète derrière la cascade… Alors que personnellement je connaissais déjà ce chemin pour l’avoir emprunté une demi-douzaine de fois avec d’autres avatars lors des épisodes précédents.


Et puis enfin – toujours sur la question de ces trous d’air – j’avoue également avoir été quelque peu frustré quand je me suis retrouvé dans une situation à la con qui nécessitait du pognon – pognon que j’avais laissé sous un rocher huit kilomètres en aval – mais auquel le jeu ne me permettait pas d’accéder à cause de sa structure narrative rigide constituée d’étapes alors que – en toute logique – rien n’aurait dû m’en empêcher.


Tout ça est d’autant plus problématique que, sur la longueur, l’histoire s’essouffle aussi pas mal. A force d’enchainer les rencontres des mêmes personnages, le simplisme de leurs traits de caractère a de quoi clairement générer de la lassitude…


…Au point que je me crispais sitôt je voyais que mon parcours allait me conduire à croiser encore Sonya, Stan et Mitch ! :-(


Idem, le manque de subtilité de leurs lignes de dialogue fait clairement tomber à plat les quelques moments que le jeu a voulu dramatique et émouvant.


Par rapport à ça, les retrouvailles et explications entre Sandy, John et Alex le jour de la grande révolution furent, je trouve, particulièrement gênantes à suivre tant elles étaient d’un niveau d’écriture lamentable.


Et ce que je trouve particulièrement triste, c’est que le jeu finisse – en tout cas en ce qui concerne ma partie – d’une manière bien terne, avec une intrigue qui fait clairement pschitt.


Car que s’est-il passé en ce qui me concerne lors du jour de ce fameux 9 septembre ? Certes une révolution, mais qui n’a que pour seule et unique conséquence de permettre à Flores de devenir présidente. Rien de plus.


Alors après je peux entendre qu’il y avait peut-être dans cette fin la volonté de marquer une certaine forme de cynisme mais là, sous cette forme-là, ça donnait davantage l’impression qu’en fait le jeu n’avait aucune réflexion ni profondeur politique à apporter…


Or c’est quand même un peu con que le jeu finisse sur une dynamique aussi descendante parce que, pour ma part, jusqu’au début de l’avant-dernier épisode (le septième), j’étais encore motivé à relancer une seconde partie juste dans la foulée de la première.
Bah oui, toutes ces possibilités et tous ces choix me donnaient clairement envie de tout reprendre à zéro et de vraiment challenger le jeu, voir ce qu’il offrait comme alternatives différentes en fonction d’autres choix et d’autres… Bref, j’étais curieux d’en apprendre davantage sur sa structure, sa manière d’empiler les étapes et les épisodes. J’avais faim…
Mais là, après cette conclusion en demi-molle, rappelant à la fois la faiblesse des personnages, de l’écriture, de la profondeur discursive, j’avais trop l’impression d’en avoir fait le tour pour que je puisse encore avoir envie de m’y remettre tout de suite…
…Pour être même honnête avec vous, mon ressenti final à l’égard de ce jeu est bien plus proche d’un 6/10 que d’un 7…


Mais bon voilà, comme dit plus haut, je ne me sens pas de renier l’émoustillement que ce jeu a su susciter chez moi.
Et si au final le produit et l’expérience furent certes inaboutis, j’avoue malgré tout apprécier l’idée que j’en garde ; l’idée de ce que ce jeu aurait pu être.
J’ai aimé cette esthétique rétro difforme. J’ai aimé cet étrange décalage entre monde simpliste et monde noir. J’ai aimé faire la connaissance d’une faune variée quand bien même manquait-elle d’épaisseur…
…Et surtout j’ai aimé me sentir en train d’arpenter une route dont je ne connaissais pas vraiment la destination.
J’ai aimé ce côté aventureux, un peu sauvage, quitte à subir quelques nids de poules.


Oui j’ai aimé Road 96.
Ce jeu m’a laissé une marque. Il a pris un risque. Il a exprimé un certain caractère.
Alors moi, des jeux comme ça, je les chéris un peu. Je reste certes lucide sur ce qu’ils sont, mais je prends quand même bien la peine de les considérer pour ce qu’ils sont parvenus à poser.
Road 96 a été un chemin de traverse. Un chemin vers quelque chose de neuf.
Road 96 a été pionnier d’une certaine manière et a su repousser à sa façon une frontier, histoire de jouer quelque peu avec les mots.


Alors oui, tant pis pour les nids de poules,
Tout ça augure tout de même du meilleur pour le futur,
Car dans le JV aussi les prises de risque sont cools,
Donc bravo pour l’effort et merci pour l’aventure…

Créée

le 23 mai 2022

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