Cover 2019, 2020, deux années de crayonnés

2019, 2020, deux années de crayonnés

Devant les belles listes annotées de certains membres du site, et ayant eu l'habitude d'annoter ce que je voyais sans pouvoir vraiment en garder trace, je me résous cette année à laisser trace - à raconter, à poser des mots rapides sur ce que je vois, pour moi, pour moi avant tout.
Si ça ...

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35 BD

créee il y a plus de 5 ans · modifiée il y a presque 2 ans

Amer béton
8.1

Amer béton (1993)

Tekkon kinkurīto

Sortie : 2 mai 2007 (France).

Manga de Taiyō Matsumoto

Rainure a mis 9/10.

Annotation :

"Allô ? Allôôôô ? Ici Blanko, de la planète Terre !"

Hallucinant d'équilibre entre maîtrise du trait et improvisation, laisser-aller : Matsumoto propose une fresque immense aussi démesurée que pourtant simple, écrasante que limpide, pour parler de bonté et de mauvais élans, du yin et du yang. Blanko et Noiro, deux orphelins qui reposent l'un sur l'autre pour survivre dans une ville-taudis au bord de l'implosion ; redonner une vie aux bas-fonds, aux mal-famés, apaiser l'inhumanité. Blanko qui ne fait que jouer dans un monde trop cruel - qui ne se rend pas compte de toute la saleté, ou choisit inconsciemment de l'effacer. Noiro qui veille sur lui et fait tout pour le sauver, et s'abandonne à la violence la plus crasse, s'enfonce dans un maelstrom de haine. Mais il croit, et cette croyance finira par le sauver ; tout comme l'innocence sauvera Blanko.
L'un répare l'autre, l'autre répare l'un ; les vis qui manquent sont réunies, et les chats vadrouillent et dominent la ville : ce sont des bonds et des bonds dans ce foisonnement vertical de signes publicitaires, panneaux, animaux, voitures, personnes qui donnent un flux bouillonnant de cases éclatées, aux impressions multiples : aussi bien que les environnements évoluent, que les émotions se font plus fortes, frappantes, les traits de Matsumoto prennent des aspects plus ou moins fins, plus ou moins imagés : un ciel de nuit est un ensemble d'un croissant de lune et de 5 étoiles dessinées comme par un enfant, les perspectives se décrochent, changent et donnent tout autant une sensation d'abandon, de perte de repère que d'accélération, et pourtant quand on est aux côtés des chats, on domine les lieux, on se sent chez soi. Un profil se voit découpé de quelques traits, et soudain dans la case d'après, il n'y a plus que sa tête opaline sur un nuage d'encre.

"Y'a pas d'prob !!" - toujours une admiration infinie pour cet auteur.

Le Combat ordinaire : L'Intégrale
8.2

Le Combat ordinaire : L'Intégrale (2010)

Sortie : 2 décembre 2010 (France).

BD franco-belge de Manu Larcenet

Rainure a mis 9/10.

Annotation :

Déchirant - là où Blast faisait dans un réalisme sombre, le Combat Ordinaire fait dans le clair-obscur. Le gros mensonge de notre siècle, c'est que tout un chacun puisse être quelqu'un de génial, d'incroyable, d'incontournable - que quand on veut on peut (alors que non, tout le monde ne peut pas) ; là, Manu dresse des petits portraits humains, à coups de pifs grossiers, de membres tortillés, de cases d'où on efface les fonds parfois pour ne garder plus que l'être (la fin du premier chapitre, bouleversante de justesse par exemple). Ce sont les êtres qui courent de "Comme un légo", dans le vent, qui bataillent et tournent leurs vis du matin au soir parce que leur place est là. Qui se surprennent à saisir la beauté, rien qu'une fois, rien qu'un instant - pour s'effondrer en une crise d'angoisse à la case suivante (les couleurs éclatantes disparaissent pour un rougeâtre qui attrape la gorge, les yeux perdent leurs pupilles, le tout se brouille un peu). On se confronte au très humain, celui qu'on explique pas avec des mots, et dont Manu tente de se rapprocher par la respiration - les paysages qui filent au gré des saisons, ou les palettes plus ternes au fur et à mesure. C'est l'anachronisme des ouvriers, ou la gravité de ceux qui ne peuvent plus voir, qui se confondent en cynisme (le glaviot pointé à la gueule de "l'aaaartiste"), et c'est la photographie qui cherche à saisir tout, le petit événement sans envergure, les coins des tables qui s'éparpillent, les bouts de vies emportés. La mémoire s'efface, en de grands gestes, des frottis du crayon, du pinceau (les scènes de nuit, les grands dialogues pseudo-philosophiques), on en retient un bout. On rigole par moments, et là juste derrière - on se sent perdu. Sentiment de dépossession, les sols s'uniformisent, les scènes se répètent. A qui se fier, se confier ; quelle chance pour la repentance, des mots et des mots. Des bulles et des couleurs - comme une tentative désespérée de se mettre à une hauteur humaine, à travers ce qui est déjà publié - ce qui est déjà "haut".

Maus : L'Intégrale
8.5

Maus : L'Intégrale (1996)

Sortie : janvier 1998 (France).

Comics de Art Spiegelman

Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Relu
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SI ça n'est pas aussi parfait que dans mes souvenirs - il y a une force du brouillis dans les traits griffonnés, comme si l'on avait voulu colorier dans un chiffon ; et soudain on prend l'ampleur du flou que c'était, de la vie à l'instant, de l'instantanée car le destin - il n'y avait plus. Il y a ces visages qui se déforment à la douleur - les en-tête de chapitres, ou même certains visages plus simples, où le noir et blanc fourni tout à l'expression. Et il y a les cases qui se renversent, qui se brisent, qui fumettent ; le reportage-photo, et la retranscription faussée d'un temps. Devant l'impossibilité de saisir parfaitement - car on ne l'a pas vécu, et même raconter le vécu n'est pas le vécu - alors on tente de s'approcher, on symbolise. On imprègne d'une idée. On noircit les humeurs, et honteux de l'aporie de nos langages, on laisse quelque chose qu'on ne finira jamais correctement. Un dossier, un mémoire brouillon, une griffure qui saisit tout de même, comme une façon de dire : c'était ça, l'approximation de ma vie.

Kiki de Montparnasse
7.3

Kiki de Montparnasse (2007)

Sortie : 20 mars 2007.

Roman graphique de Catel Muller (Catel) et José-Louis Bocquet

Rainure a mis 5/10.

Annotation :

Mêmes constats que la BD sur Olympe de Gouges, autant la personne de Kiki est fascinante, sa relation avec tout le milieu dadaïste, surréaliste de l'époque, les années folles sont assez incroyables, du reste, une fois rendu en BD, ça donne quelque chose de fadasse, une lecture de page wikipédia qui serait illustrée, quelque chose où le trait n'a aucune puissance, que peu d'expressivité, c'est plat et surfait. Décidément, Catel et Bocquet, très peu pour moi. (mais allez voir les courts de Man Ray par contre, "L'étoile de Mer", etc)

I'm Every Woman
7.2

I'm Every Woman (2018)

Sortie : 20 avril 2018 (France).

BD de Liv Strömquist

Rainure a mis 5/10.

Annotation :

Première vraie déception avec Liv Strömquist, BD assez éclatée, qui n'aborde plus un unique sujet et se fixe et gravite dessus, mais aborde un contexte (celui d'épouse, de dépendance), avec plus ou moins de pertinence, où les mauvais maris sont mis au même rang que les relations toxiques des pires sortes ; heureusement, il y a l'histoire de Voltairine, et le passage sur la famille nucléaire, auxquels j'adhère radicalement, et puis toujours un charme idiot de ce dessin un peu boiteux, surprenamment moche mais fonctionnel, un charme de la simplicité expressive.

Appelez-moi Nathan
7.2

Appelez-moi Nathan (2018)

Sortie : 5 septembre 2018 (France).

BD (divers) de Catherine Castro et Quentin Zuttion

Rainure a mis 5/10.

Annotation :

De jolis aplats qui se fondent en nuance, des traits fins douillets pour un rendu un peu fade, molasse malheureusement, pour toute cette histoire d'identité de genre, de préjugés, de violence. Plutôt beau dans ses choix de couleurs, ses doubles-pages mais mon intérêt s'arrête là.

Constellation
7.2

Constellation (2002)

Sortie : 2002 (France).

BD franco-belge de Frederik Peeters

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Un côté très De Palma au tout : jeu d'observation, presque de divination, en regardant sans être vu, on joue à l'espion, la devinette, dans cette petite fresque griffonnée, à recomposer ; qu'est-ce qu'on perçoit, on ne comprend jamais l'autre, et la fatalité et le hasard signent les destins. Efficace, sans plus.

Un homme est mort
7.7

Un homme est mort (2006)

Sortie : octobre 2006 (France).

BD franco-belge de Christophe Goret (Kris) et Étienne Davodeau

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

Un peu toujours laissé sur la touche par la facilité apparente de ces BDs historiques, bien contentes d'avoir un thème intouchable et tout à fait beau, pour ensuite simplement tracer le tout sans audace, sans choses qui débordent, qui tranchent, peut-être c'est pour la simplicité de la chose, sans artifice, mais encore là ça me manque. Oh, il y a toujours la disparition lente, et le témoignage de reconstruction de ce qui s'était dit ; puis la volonté de faire visible ces gens de rien, des gueules un peu cassées par les traits qui rident, les encres qui font des crânes presque rasés, et un sépia de dégradés autour du jaune ruine encore. Ca m'impressionne toujours plus quand ça se laisse aller aux grandes cases, aux pages d'une unique foule unie, compacte, qu'aux successions d'actions éparpillées où je peine à lire un dynamisme. Bref.
(très beau poème d'Eluard cela dit)

"Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli

Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre

Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amies
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant. "

Seconds
7.6

Seconds (2014)

Sortie : octobre 2014 (France).

Comics de Bryan Lee O'Malley

Rainure a mis 8/10.

Annotation :

Beau dans sa simplicité graphique : dominantes pastels, roses, blanc, rouges, bleus, avec tous les traits broussaillés en filigranes pour les terreurs, avec tout le sentiment doux d'apprendre à vivre comme ça, avec le peu qu'on peut réussir et les erreurs qui vont avec. Forcément, forcément, sentiment "un jour sans fin" en plus chaotique, plus tendre aussi, toujours ce mensonge de la perfection, la journée parfaite et cette imposture de soi permanente. De l'épaisseur, des déformations, du cartoon pour en douceur souligner la fragilité de jeune adulte.

Mangecœur - L'Intégrale
7.9

Mangecœur - L'Intégrale (2000)

Sortie : 2000 (France).

BD franco-belge de Mathieu Gallié, Jean-Baptiste Andréae et Andreae

Rainure a mis 4/10.

Annotation :

Symbolisme à la mord-moi-l'noeud, ça ressasse sans inventivité ce que Disney a adapté en film (Pinnochio, Peter Pan, et ci et ça), avec une intrigue lente, pleureuse, des clichés d'intrigue et des clichés de personnages. Reste les dessins bien faits mais sans grandiose, sans flamme, sans feu. Des brumes, des couleurs, du baroque fantasmé, du fatras emmêlé survendant son onirisme de bas étage.

Le Voyage
7.7

Le Voyage (1996)

Sortie : 1996 (France).

BD franco-belge de Edmond Baudoin

Rainure a mis 8/10.

Annotation :

Trop de symbolisme tue le symbolisme : la bande dessinée a tout pour elle au début, des traits magnifiques, charcutés, mouvants, où l'on croise tour à tour les estampes japonaises, Chagall, Picasso ou Munch et Nolde dans les passages plus sombres, une sorte de rythme en vagues, rythme de vague-à-l'âme où les gens laissent des empreintes, des déliés, multiplient leur présence ou la réduisent au cours des pages (les visages ridulés, ou plats et simplifiés, la tête de Simon qui s'éparpille en milles). Et puis, cette fuite, ce "retrouver un sens qui nous a échappé" qui toujours me parle, la force du mouvement comme exutoire, comme réponse et raison, et qui m'a fait beaucoup de bien au moment de la lecture - catharsis sans doute. Pages de nuits et de tempêtes, de femmes et de mers, pages courantes où tout change toujours, pas de point fixe, le dépaysement, la perte de repère, aux moments chamboulés, puis la plus-finesse rassurante d'autres échappées. Une belle découverte.

Hilda et le troll
7.2

Hilda et le troll (2012)

Hilda and the Troll

Sortie : 2012 (France).

Comics de Luke Pearson

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Trop court ! Trop court ! J'en voulais un peu plus en découvrant cette fillette nordique aux cheveux bleus ! (mais il y a 5 tomes, ça me laissera le temps)
Il y a un côté très "hygge" au fil des pages, Luke Pearson a-t-il passé du temps au Danemark ? - la scène de pluie douce battant la toile de la tente, les tons pâles d'aubes utilisés, le bois, le thé, le feu, toute une déclinaison du confort simple et doux, manqueraient des bougies à droite à gauche. Puis ensuite, c'est le folklore conté avec l'enfantin, la belle niaiserie, la poursuite des monstres et légendes comme reprendra Alex Hirch plus tard, lui en amérique profonde, loin des fjords.

Hilda et le géant de la nuit
7.8

Hilda et le géant de la nuit (2011)

Hilda and the Midnight Giant

Sortie : 28 novembre 2011 (France).

Comics de Luke Pearson

Rainure a mis 8/10.

Annotation :

Hilda dans une aventure merveilleuse et surtout très très drôle, toute une loufoquerie des petites créatures qui cache dessous des questions un peu plus graves - l'adaptation à l'étranger, l'assimilation, la prudence et l'attention aux petites choses. Découpage plus régulier, peut-être un peu moins fou que l'aventure avec le troll, mais les traits gagnent en épaisseur, en vie, sur des pages remplies aux proportions donnant le vertige. Et quel humour, la panique, la quête bien moins aventureuse qu'administrative au final, les choses qui se règlent seules et qui ont moins d'importance que les traits de caractères dressés par petites touches ; je suis conquis.

Hilda et la forêt de pierres
7.8

Hilda et la forêt de pierres (2017)

Hilda and the Stone Forest

Sortie : 4 janvier 2017 (France).

Comics de Luke Pearson

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Quelques pages plus mornes, sans grand chose, au début, avant de retrouver vraiment l'émerveillement, les farandoles mêlant (chose aisée) violence et humeur de la tisane au miel. Les yeux se troublent devant la mère, devant la fille, devant toute la violence que tant jamais on n'espère pas sur soi, et surtout sur les autres. Puis dans les cases : les formes tracées, au stylet les belles double-pages sans les angles droits, l'accumulation de petites récompenses, les pâlis roses et les yeux sans pupilles mais avec l'effroi ou l'énervement. (et puis, toutes les petites touches d'humour, ce qu'on ne racontera pas)
Regret sans doute d'une fin suspendue comme ça, en revanche, en promesse d'un prochain album, mais enfin.

Hilda et la parade des oiseaux
7.6

Hilda et la parade des oiseaux (2012)

Hilda and the Bird Parade

Sortie : 23 octobre 2012 (France).

Comics de Luke Pearson

Rainure a mis 8/10.

Annotation :

Encore un très beau volume ; perte de ses anciens repères, tendresse des petites choses à prendre dans les visites, les marches de quartiers, la différence des portes, un peu d'inquiétude forcément, l'épuisement qui monte avec l'impression de ne rien reconnaître, et puis les ocres, carmins de la parade, en un bal de plumes, de becs et de jambes où l'on se perd comme en labyrinthe : encore la douceur bienveillante dans les regards. (et le portrait de la mère qu'on dessine à petits traits, certainement le personnage le plus "humain" du tout, prête à tout pardonner d'une étreinte face au soulagement des retrouvailles)

Hilda et le Chien noir
8

Hilda et le Chien noir (2014)

Hilda and the Black Hound

Sortie : 30 avril 2014 (France).

Comics de Luke Pearson

Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Ma préférée des bédés Hilda. Inventivité des situations, des espaces et des troubles, mille jeux de perspectives, sans doute aussi le volume où la plus grande attention est donnée à la météo et à la nuit. Le détail à l'attention, à la création aussi - les dessins et le cahier à insectes des scouts. Surtout, en un rien de pages, voir un mythe naître, grandir puis disparaître, dans l'arbitraire des "on dit" et des choses invisibles aux yeux de certains.

Silence
7.9

Silence (1980)

Sortie : octobre 1980 (France).

BD franco-belge de Didier Comès

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

On commence magnifiquement bien, avec une préface superbe "Si vous croyez à la gadoue, à la nuit épaisse, il faut croire aussi au jour limpide, car ils vont ensemble. il faut croire en Silence." Et il y a ce trait, Comès en "écrivain traceur" qui étire ou réduit l'encre épaisse, qui défigure les humains et précise les animaux, surtout les chouettes hulottes, les vipères, il a quelque chose de précis au côté de la nature.
Il faut alors voir ce village des Ardennes, sous la neige, qu'on croirait ou raconté par Giono (avec les faces, les gueulantes, les croyances locales et figures d'autorité), ou filmé par Stévenin (Passe-Montagne, la nuit et la neige, les couleurs surnaturelles). Il faut voir ce Silence, qu'a une tête bête et vipérine, serpent qu'aurait humanisé Pratt, enfin. Ce qui donne des extérieurs à tomber, plein de plis, de distances, de vents et forêts, profonds de sous-bois.
Du côté du scénario malheureusement... ça pèche beaucoup plus, quelque chose d'usant à voir toutes ces figures faites et refaites des sorciers et de leurs malédictions, du suranné, aussi dans la façon de faire parler l'idiot muet dans sa tête, avec des tonnes et des tonnes de fautes exprès "puisqu'idiot", qui peut concevoir les pensées comme ça, pleines de lettres manquantes, de trous, de choses répétées ?
Conte de brutes et de simples, de gentils très gentils et de méchants très méchants, il n'y a pas de grandes questions, juste une trame, il n'y a pas tant de dépouillement des sentiments, ça doit être mystique ou bête, malicieux ou religieux, noir ou blanc. Restent les oiseaux sur la mer, la Camarde et comment la repousser, d'un peu grossières malédictions, sortilèges, tarots et invocations.

Le Dieu vagabond
7.9

Le Dieu vagabond (2019)

Sortie : 2 janvier 2019.

BD franco-belge de Fabrizio Dori

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Trop c'est trop peut-être ? Fabrizio Dori se démène comme un fou dans ses planches, qui débordent de virtuosités, de styles, où l'on passe du tout au tout, parfois on croit voir Otto Dix ressurgir, ou Van Gogh (en référence évidente citée), parfois des imitations de poteries grecques, puis des choses plus pop soudain ; ça ne reste jamais très longtemps uniforme, et ça en fatigue un peu, est-ce qu'autant de choses sont nécessaires ?
Du reste, des couleurs pâlies, ou hors du temps, flashs, des remontées du temps et de l'espoir d'achever enfin des oublis. Quelques choses de l'humour, des yeux qui veulent tout recevoir, tout cerner, puis des vies rabougries qui désespèrent d'avoir autre chose. Bref, encore une idée du voyage initiatique, plein de mythologie et de regrets, aux planches plastiquement belles, cependant qu'il n'y a rien de franchement tout à fait neuf, ou je manque une vision ; ça me rappellerait le Pinnochio de Winshluss qui perdrait de sa radicalité, pour essayer de fournir un grand rêve éparpillé, quand j'aurai tendance à penser que souvent on réussira quelque chose de plus grand dans le réduit, les contraintes, le creusement d'une seule même veine incessamment.

Dr Cataclysm, T1 : Le Maître Invisible
7.8

Dr Cataclysm, T1 : Le Maître Invisible (2018)

Sortie : 10 avril 2018 (France).

BD (divers) de Martin Georis (Mortis Ghost)

Rainure a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Il est question d'un voyage - de traces, de disparitions, d'errances surtout. Mortis Ghost dessine ces êtres pleins de places pour des détails, des couleurs qui ne seront qu'imaginées, des palettes à choisir de soi-même, alors que le noir et blanc vient dessiner les infinis, pigmenter les gestes et plissements des yeux.
Quelle histoire faut-il lire ? Faut-il un but autre que ces rencontres ? Ces apprivoisements ? Que doucement les troupes se côtoient, s’appréhendent, se fassent confiance ? Des fils sont tirés quelque part, par Mortis Ghost directement, qui effiloche et dissimule, qui laisse se déployer des choses sans nécessairement de réponses (il n'en veut pas), lui il veut plutôt le réconfort, les ciels étoilés, les doux passages de livres dans une bibliothèque, il veut tacler certains ennuis, les dérives incessantes pour tenir, esquisser une forme de tiédeur amicale, confortable, de coin de feu, ce vaisseau et la petite cosmogonie, les origines magiques.
Depuis Off, le trait s'est assoupli, on reconnaît les personnages neutres, mais des sourires apparaissent, les bras sont sous le blanc lorsque les masses à jambe avancent, courent les couloirs, les grands espaces. Les lois ne valent, que le temps des cases ; rien d'acquis, qu'une douceur d'instants, de chagrins à rasséréner, d'existences sans gouvernes et qui se cherchent, recherchent des flèches.

Parcourir le cataclysme déclaré, s'en appuyer pour soi et celles et ceux qui nous entourent, d'un geste allant, d'une humeur allante, d'un étonnement.

24 tomes, disponibles ici prix libre:
https://grandpapier.org/mortis-ghost/

Là où vont nos pères
7.9

Là où vont nos pères (2006)

The Arrival

Sortie : 1 mars 2007 (France).

BD (divers) de Shaun Tan

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

Incohérences d'un fouillis de symbolismes, narration chahutée et muette, en cartes postales sépias ou noir et blanc, univers onirique pas si incroyable, pas si à tomber, surtout permettant à l'auteur de s'en donner à coeur joie pour tout le cabaret de ses curiosités, bidules, monstres à pattes mignons et écritures étrangères à la logique peu apparente à première vue. On est un peu de ce personnage principal dans ce livre, blême et sans trop d'enjeu, dépaysé et perdu en émigrant, mais enfin on s'ennuie aussi poliment d'une histoire qui n'a pas grand chose à dire. Mis à part, donc encore, le très beau graphisme, les frottis et choses grattées, trait simple et offrant des double-pages plastiquement élégantes (mais surchargées, mais gonflées de toutes ces structures volantes déjà vues et revues, de tout cet imaginaire un peu steampunk mais pas trop, un peu fable, parfois cauchemar).

Shangri-La
7.4

Shangri-La (2016)

Sortie : 9 septembre 2016.

BD franco-belge de Mathieu Bablet

Rainure a mis 5/10.

Annotation :

--- 2020 ---

Moui moui, on a le dessin beau (et encore, parfois trop pâli, trop "grands aplats", mais tout de même), entre Moebius et Boulet, qui donne de grandes double-pages spatiales bluffantes, et surtout de chouettes paysages de planètes désertes. Côté scénario, thèmes ça se gâte, c'est bête et appuyé, poussif, sans finesse, "regarde moi prendre un selfie et me ruer sur les magasins pour le dernier smartphone", le pire étant sans doute ce passage dans le musée avec les personnages "se demandent bien ce que c'est que cette aile de la station" (sérieusement...). On prend le lecteur pour un idiot, de mon impression. Aucune attache, aucun remord à quitter ces personnages.

La Recomposition des mondes
7.9

La Recomposition des mondes (2019)

Sortie : 18 avril 2019.

BD (divers) de Alessandro Pignocchi

Rainure a mis 8/10.

Annotation :

Pour la survivance d'autres possibles. En plus du témoignage sur une réalité de ce qui composait la ZAD de Notre-Dame des Landes (autrement que les images des grands médias, des ouï-dire, donc, les absurdités des boules de pétanque à lames de rasoir), c'est surtout l'idée d'un retour à ce qui entoure comme sujet, et non objet : les salamandres / tritons tachetées, les bocages et les Val Susa et autres collectifs de Bure, d'autoroute de contournement de Strasbourg, bref autant de lieux de recompositions d'imaginaires, des microcosmes d'idées et de potentiels : déplacer la perception, et parler donc du "tissu de liens" plutôt que du "grand tout", avec la texture des aquarelles, les fumerolles, la terre et le kevlar.
Beaux témoignages, essentiel même, donc, sur ce mouvant, sur la réappropriation du commun, comment faire société hors-sol, dans un autre discours.
Pignocchi présente sous le biais du témoignage, de l'imagination (quelques errances pas toujours intéressantes, l'imaginaire du pilote à quoi bon), noie et estampe les personnages, bâtiments construits et hulottes, se tourne vers un avenir de constructions, même si évidemment pour tout à fait faire société, il ne suffit pas d'un ensemble de microcosmes, il faut pousser au macro. Seulement, ici ce sera l'existence d'espaces où retrouver d'autres choses (résumer la bd en parlant "d'autres choses" tout simplement, et parler de ce qui s'estompe dans les pâlis des couleurs, les verdures, qui "apaise l'agonie".

A compléter avec l'article d'octobre 2019 de Frédéric Lordon éventuellement :
https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/LORDON/60498

" Dans les dynamiques passionnelles du nombre, tout est bon à prendre, y compris les expériences limitées, locales, même ingénéralisables, qui les contredisent moins qu’elles ne les émulent, d’une manière ou d’une autre, en produisant des déplacements dans les têtes, des remaniements, de nouvelles formations de désir, et ceci pourvu que ces expériences ne prétendent pas épuiser le problème. "

En cuisine avec Kafka
7.4

En cuisine avec Kafka (2017)

Baking With Kafka

Sortie : 5 octobre 2017 (France).

BD (divers) de Tom Gauld

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Parfois tout bonnement hilarant, souvent assez fin même si parfois un sous-texte qui pourrait paraître condescendant (quand ça se moque des Kindle, laissez les lecteurs, les lectrices lire comme ils veulent). Des choses de l'écriture, quelques références disséminées, le passage du temps, les petits robots comme des Dalek, illustrer en icônes le futur ou l'imaginaire magique.
Quelques gags qui m'ont surtout touché : l'expert de la nature, le livre rigolo, le premier navet, la scène de sexe, les trames narratives inefficaces, les autocollants publicitaires, Jonathan Franzen.

Et forcément, très envie de lire la poésie sci-fi post-apocalyptique évoquée (Sonnets binaires pour un hiver perpétuel).

Azolla
7.6

Azolla (2016)

Sortie : 14 mai 2016 (France).

BD (divers) de Karine Bernadou

Rainure a mis 8/10.

Annotation :

Errance fantasmagorique de couleurs d'aurore et de bucoliques, puis de chairs et d'os ; passage du temps et absence de l'être aimé, désarrois et métamorphoses des sentiments en affectations physiques, sorcières et voluptés, les thèmes de Karine Bernadou ont de quoi largement désarçonner, il est question de dévorer, de casser, d'énormément de violence pour un peu de douceur, de cheveux, d'entrevoûtes. Du pâle aux sexes rougis, du fard des paupières au fond des yeux. (impression de conte cauchemardesque, de L'Homme-jasmin d'Unica Zürn, imaginaire étrange et perturbant)

Ni bon ni mauvais ni tout à fait le contraire
6.9

Ni bon ni mauvais ni tout à fait le contraire (2019)

Sortie : 20 novembre 2019 (France).

BD (divers) de Marie Boiseau

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

Beaucoup de tendresse globalement pour l'univers de Marie Boiseau - le côté très franc dans sa simplicité, les choses taboues remises à jour, les dessins qui ne semblent pas vouloir obéir à des règles précises, quelque chose de brouillon pour causer à peu de mots des blues très humains, des questions autour du soi, sa place dans le monde, la vision qu'on donne de soi et qu'on reçoit en retour. Très, trop bref, c'est feuilleté en un rien de temps, peut-être un peu dommage en ça (mais ça en évite aussi les lourdeurs, les redondances).

Pachyderme
6.7

Pachyderme (2009)

Sortie : 3 septembre 2009 (France).

BD de Frederik Peeters

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Dans les deux Peeters que j'ai pu feuilleter, beaucoup de choses se passent par le regard, sensation De Palma : observer, être observé, des cases pour des yeux qui fouillent de haut en bas, repèrent et marquent des détails, des fuites - beaucoup se passe aussi par conséquent dans l'à-côté, ce qui est hors-vue pour les personnages et pas le lecteur. Du reste, on a une trame assez efficace de rêves, de filage de la mémoire et de persistance, sur fond de doublement de la personnalité - un côté très Mulholland Drive dans tout ça (décidément, de la bande-dessiné très cinématographique), ou Ghibli pour certains personnages, cet espion encapuchonné au long nez qui sort des tuyaux.
(avec tout ça : hâte de me jeter dans les oeuvres un peu plus "majeures", réputées, du Frederik)

Grenadine
7.7

Grenadine (2018)

Sortie : 9 novembre 2018 (France).

BD (divers) de Shyle Zalewski

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

Dans la veine des BDs de Bryan Lee O'Malley - les couleurs pâlies, les contours en traits noirs épais, et surtout l'insécurité adolescente, son identité et ses relations, son manque de sérieux, beaucoup de cul mignon ici surtout, des obsessions, des gens qui boudent et s'engueulent.

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, tome 1
8.2

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, tome 1 (2017)

My Favorite Thing is Monsters

Sortie : 23 août 2018 (France).

Roman graphique de Emil Ferris

Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Eh bien... Longtemps que j'avais pas pris une aussi chouette claque graphique - le crayon bic dans tous ses états, les embrouillaminis comme autant de détresses, de pertes de repères, l'imprécision tout comme l'impression, quelque chose qui déroute et hante, captive ; les monstres comme autant de jolies choses, l'amour de l'imperfection, du poil, des angles obtus, des rugosités et des effrois, qui vient autant emprunter à Bacon ou Max Ernst, qu'à Nolde peut-être, qu'aux Freaks Comic, qu'à Art Spiegelman, tout en dépeignant de la hauteur d'un enfant cette tranche de vie de paumés, de bas-de-société. Et plus largement, quel projet, quelle ambition, de quoi rêver loin et haut (tout en parlant très bien de l'altérité, du sentiment, de la perte de repères, des deuils et monstruosités, de la haine, du pointillisme, du gris permanent et des espoirs quadrillés au rouge, vert, bleu). Gros coup de coeur.

Peste
7.2

Peste (2020)

Sortie : 10 janvier 2020 (France).

BD (divers) de Gauvain Manhattan

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Ambition et trouvailles graphiques, le tout déborde et bouillonne incessamment, pour une histoire peut-être trop grande pour vivre juste le temps d'un tome (tout passe si vite !), et un peu simpliste. On reste surtout pour les très jolies cases de noirs blancs et rouge entrelacés, les bestiaires amusants, les armures, les frichtis en déplacement, et tous les dégradés des carapaces et fourrures - ça abonde de matières, de tactile.

Nausicaä de la vallée du vent
8.6

Nausicaä de la vallée du vent (1982)

Kaze no Tani no Naushika

Sortie : février 1982.

Manga de Hayao Miyazaki

Rainure a mis 9/10.

Annotation :

Relu, toujours pas loin de la perfection.

Je me souvenais bien entendu de la fondation d'un monde post-apocalyptique où tout hurle contre la folie des hommes, le sang appelant au sang, la destruction des environnements par envie morbide de possession. Je me souvenais de ces dessins grandioses remplis de miasmes, particules, où parfois tout vient se brouiller soudainement. Je me rappelai la guerre. Que rien n'épargnait personne, pas insectes pas rois pas enfants. Que quelques sagesses ne suffisaient pas.

Il y avait tout un pan que j'avais oublié.
Je ne me souvenais plus de cette part de dramatique ; le devoir assommant, incroyablement lourd, qui incombe non seulement à Nausicaä mais à tous les autres aussi, celui de porter la vie comme la blessure qu'elle peut être. C'est cette réalisation lente et difficile que l'humanité a sa part d'ombre, de ténèbres, et que défendre l'humanité sera aussi porter cette part là, et refuser, lutter contre les mystères du cimetière de Shuwa qui promettent des humains parfaits, préparés pour s'adapter à un monde bâti pour eux et répandre uniquement une paix, une grande paix factice, enfin. Peut-être bien que Miyazaki n'a jamais été plus amer qu'ici (éventuellement, dans Le Vent se lève), mais également le plus juste, rempli de doutes et de noirs, mais aussi d'affirmations vitales, de fulgurances.
Et surtout, qu'est-ce qu'on peut creuser loin les caractères ici, autant de lâchetés que de noblesses, de peurs, d'enfers terribles au sein même de ceux qui apparaissent les plus purs. Des larmes, et soudain sur des pages, les sourires, ceux qui redonnent à persister, à vivre tout de même, "même si notre chemin est difficile".

Rainure

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