Le Krimi (abréviation de 'Kriminalfilm') désigne un genre de films policiers allemands adaptés des romans de l'auteur britannique Edgar Wallace entre 1959 et 1972. Extrêmement populaire en Allemagne (plus de 100 millions de spectateurs en salle pour la franchise), bien que méprisé par la critique, ce genre, qui a contribué à la naissance du Giallo italien, est presque inconnu dans le reste du monde.
Quentin Tarantino cite même Alfred Vohrer, le metteur en scène qui a donné ses lettres de noblesse au Krimi, comme son réalisateur allemand préféré !
On compte 36 adaptations officielles d'Edgard Wallace (dont 32 estampillées Rialto), réparties comme suit :
1959 : 1 film / 1960 : 3 films / 1961 : 5 films / 1962 : 3 films / 1963 : 4 films / 1964 : 4 films / 1965 : 2 films
1966 : 3 films / 1967 : 2 films / 1968 : 3 films / 1969 : 2 films / 1971 : 2 films / 1972 : 2 films
Cette liste essayera néanmoins d'aller plus loin en y intégrant différents films (plagiats, parodies…) qui peuvent être rattachés au mouvement.
Les films y sont classés par ordre chronologique de leur première date de sortie en Allemagne.
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Caractéristiques du Krimi :
• Contextuelles
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Le Krimi apparaît en 1959 avec le film Der Frosch mit der Maske (La Grenouille attaque Scotland Yard), première adaptation allemande d'un roman d'Edgar Wallace.
Edgar Wallace est un auteur britannique du début du siècle, considéré comme le “roi du roman de gare”. Déchu dans son pays et méconnu à l'international (alors qu'il a pourtant travaillé sur le scénario du King Kong de 1933, qui sortira peu après sa mort), ses romans, à la structure narrative simple (les gentils sont des gentils, les méchants sont des méchants et Scotland Yard gagne à la fin) et dotés d'une pointe d'exotisme british deviennent extrêmement populaires dans l'Allemagne d'après-guerre, en grande demande d'évasion littéraire.
Les droits d'adaptation cinématographiques de ses nouvelles sont rachetés pour une bouchée de pain par la compagnie de production danoise Rialto Film, qui crée dès 1961, suite au succès des premiers films, une branche germanique qu'elle confie à Horst Wendlandt, le producteur qui va façonner le genre.
En raison d'une cadence de production absolument démente (3 à 4 films par an au plus fort), la plupart des réalisations sont confiées à Alfred Vohrer (14 films) ou Harald Reinl (5 films pour Rialto). Le nombre d'acteurs est également réduit et pratiquement identique pour chaque film, chacun étant associé à un rôle, rendant l'identification encore plus facile et la prise de risque minimale. Les compositions musicales sont quant à elles, signées par Peter Thomas ou Martin Böttcher.
• Thématiques
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Le Krimi est un croisement entre le polar, le thriller et le film d'horreur. Il mélange suspense, épouvante et humour. Bien que dépourvus d’éléments surnaturels, ils ne se gênent en aucun cas pour flirter avec les codes du fantastique. Le pitch de tous les Krimis peut vulgairement se résumer ainsi :
“Un tueur en veut à une jeune héroïne, qui est finalement sauvée par un inspecteur de Scotland Yard.”
Se déroulant quasi-exclusivement à Londres mais tournés en studio et sur l'Île aux Paons à Berlin, les Krimis proposent une vision fantasmée et excentrique de l'Angleterre, nappée de brouillard et de mystère, qui correspond plus aux attentes du public qu'à la réalité. Les images d'ambiance londoniennes sont d'ailleurs des archives visuelles tournées pour les premiers films puis réutilisées sans scrupule pour les métrages suivants.
La jeune héroïne, parfois une héritière, est pure et innocente. Il s'agit des personnages joués par Karin Baal, Uschi Glas, Brigitte Grothum ou Karin Dor. C'est la touche sexy des Krimis.
L'enquêteur de Scotland Yard, figure idéalisée du policier (une des plus grandes différences avec le Giallo), est lui irréprochable, noble et courageux. Joachim Fuchsberger, Heinz Drache, Siegfried Lowitz, Harald Leipnitz, Günther Stoll et Klausjürgen Wussow l'ont incarné. Il tombe souvent amoureux de l'héroïne.
Le criminel, dont il est en général fait allusion dans le titre, est toujours masqué (parfois un déguisement complet), a des motivations anarchistes, possède une arme sophistiquée (poison, harpon, fouet, arc…) et, selon le principe du "Whodunit", on ne connait pas son identité avant les dernières minutes du film, qui précèdent, en général, sa mort. Ainsi la paranoïa autour des personnages sombres et ambiguës, crée une véritable tension : qui de Fritz Rasp (connu pour Metropolis), Pinkas Braun, Harry Wüstenhagen, Klaus Kinski (acteur favori de Vohrer, le genre a lancé sa carrière) ou même Sir Christopher Lee, est le tueur de ce film ?
Le sadisme est extrêmement présent et dérangeant dans les Krimis, si bien que le comité de censure allemand est intervenu régulièrement pour retirer des plans ou des scènes entières. Pour contrebalancer cela, la production a rapidement intégré un élément comique dans les films afin d'alléger le ton général de l'œuvre. C'est la vocation des rôles d'Eddi Arent, Siegfried Schürenberg ou Hubert von Meyerinck.
• Formelles
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Les films débutent par un générique d'introduction en couleurs (dès 1961, même si le reste du film est en noir et blanc) et la phrase d'accroche "Hallo, hier spricht Edgar Wallace" ("Bonjour, Edgar Wallace vous parle", à partir de 1962), signifiant très clairement leur authenticité et leur appartenance à la série originale. Il s'agit de la voix du réalisateur Alfred Vohrer, qui aime également apparaître dans ses films.
Le Krimi repose sur un noir et blanc extrêmement travaillé, notamment au niveau des jeux de lumière. Tranchant avec l'horreur crue des productions de la Hammer, qui lui sont contemporaines, le Krimi s'inscrit plutôt dans l'héritage allemand du cinéma expressionniste (Nosferatu, M le Maudit…) en travaillant sur l'ambiance visuelle pour créer le frisson.
Néanmoins, avec l'apparition en 1967 de la télévision couleur en Allemagne, la série s'adapte. Le Bossu de Londres (1966) est le premier Krimi en couleur. Pour essayer de retranscrire l'atmosphère propre aux films noir et blanc, l'utilisation de la couleur y est expérimentale : les teintes y sont très criardes, presque psychédéliques.
Alfred Vohrer, dont la devise est “l'action prime sur la logique”, a définit un style de mise en scène extrêmement baroque et expérimental dans la prise de vue. Cette recherche d'innovation a donné des plans incroyables filmés depuis l'intérieur d'une bouche ou sous un cadran de téléphone (pour les plus connus), par exemple.
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Exceptions :
• À partir de 1968
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Vers la fin des années 60, le contexte géopolitique aidant, le public (en particulier les jeunes) se désinteresse des Krimis. Considérés comme conservateurs et machistes, les films commencent à être pointés du doigt.
À la recherche d'un nouveau souffle, le genre évolue. Après avoir adopté la couleur (voir plus haut), les thématiques se transforment également : les adaptations sont de plus en plus libres (comprendre qu'elles s'éloignent allègrement du roman de base), Londres est désormais plus moderne, en phase avec son époque, et on rajoute des intrigues concernant les hippies ou la drogue par exemple. La musique devient plus folle et les expérimentations de mise en scène se déplacent sur les décors et les accessoires. La violence y est désormais plus explicite, on ajoute des images “chocs” (serpent, rats, torture…), un peu de sexe / érotisme (dans l'air du temps) et toutes sortes de gadgets (en réponse au succès des James Bond).
En 1969, dans un dernier élan pour sauver sa série, au bord du gouffre, Horst Wendlandt déplace la production en Italie, à Cinecittà (au point mort depuis la fin de l'ère des péplums). Tout devient alors différent, les histoires se déroulent désormais en Italie, la trame n'est plus que très vaguement basé sur les livres d'Edgar Wallace, l'humour et l'excentricité disparaissent, le tueur devient un psycopathe vengeur et porte désormais des gants noirs (on ne voit plus son visage), la musique est signée Ennio Morricone (mais qui va s'en plaindre ?), les effets spéciaux sont grossiers…
Seul reste quelques acteurs emblématiques des Krimis (Kinski en tête) pour rassurer le public allemand.
Ce nouveau ton, plus froid, et tous ces ingrédients, une fois digérés, contribueront à définir le Giallo naissant, alors que les Krimis disparaissent définitivement au profit de celui-ci, avec le film de Massimo Dallamano “Mais qu'avez-vous fait à Solange ?” (1972).
• Les Krimis non-Wallace
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[À VENIR]
• Les adaptations d'Edgar Wallace non-Krimis
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En même temps que la vague Krimi, paraissent d'autres adaptations officielles d'Edgar Wallace, dans un genre un peu différent. Il s'agit de films d’aventure, centrés autour du personnage d'Harry Sanders :
Death Drums Along the River (1963), Coast of Skeletons (1964) et Five Golden Dragons (1967). Seul ce dernier peut être considéré comme un ersatz de Krimi car il en partage certaines caractéristiques.
Ces films ne sont pas listés ici.
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Cette liste se veut un prélude (et un hommage) aux listes archi-complètes de Icluf sur le Giallo, dont la première commence ici : http://bit.ly/WRhzSE