Lectures 2017

Annotation :

"Le crépuscule tombait. Les derniers jaunes acides, les jaunes égyptiens s'éteignaient, le cinabre devenait gris et fragile, s'assombrissaient les derniers feux d'artifice du jour. Et soudain une pause inattendue se produisit, une brève interruption de la nuit, comme si quelqu'un avait précipitamment ouvert une porte donnant d'une pièce éclairée sur une pièce obscure. Cela arriva lorsque je m'assis sur un banc à quelques mètres du mur du fond de la Ridderzaal, de la salle des chevaliers. Pour la première fois, j'eus l'impression que le mur gothique était comme une tenture - verticale, tendue, sans ornements, tissée serré, à la trame épaisse et la chaîne de corde fine, légèrement usée. L'échelle des couleurs se situe entre ocre et terre d'ombre, avec une addition de mauve. Toutes les briques ne sont pas de la même couleur. Parfois apparaît une teinte fauve, comme d'un pain pas assez cuit, ou celle d'une cerise fraîche écrasée, ou alors un mystérieux violet recouvert de vernis. Instruit par la salle des chevaliers, je commençai à apprécier la vieille brique, chaude et proche de la terre."
Zbigniew Herbert, "Le delta" in 'Nature morte avec bride et mors'.
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"Oui, j'ai bien connu le monde de la misère et de la laideur, mais je n'ai peint que la peau, la surface luisante, l'apparence des choses, des dames soyeuses et des messieurs en noir impeccable. J'admirais de voir avec quel acharnement ils luttaient pour une vie un peu plus longue que celle qui leur était destinée. Ils s'abritaient derrière la mode, les accessoires de l'élégance, un jabot fantaisie, des manchettes recherchées, un pli, une fronce, derrière chaque détail qui leur permettrait de durer un peu plus, avant que les absorbe, eux et nous, le fond noir."
Zbigniew Herbert, "Gerard Terborch" in 'Nature morte avec bride et mors'.

Annotation :

"(...) elle songeait combien la figure des êtres proches, dès lors qu'ils sont hors de notre vue, devient familière de ces zones ténébreuses de la disparition. Entre la mort et l'absence il y a parfois si peu de différence (...)" (Babel, p. 264)
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"Les étoiles s'ajoutaient aux étoiles, toujours plus nombreuses, des poignées de gros sel étincelant qui ne donnaient aucune lumière dans tout ce noir, la poussière glacée d'un monde éteint." (p. 724)
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"Ce qui s'effondre des derniers murs laisse à la ruine une certaine beauté, une perfection dans l'ordre du ravage." (p. 989)

Annotation :

"J'ai bien dormi, car mon malheur a dormi lui aussi. Sans doute a-t-il passé la nuit couché en boule sur la descente de lit. Je me suis réveillé avant lui, et j'ai eu quelques secondes de bonheur indicible. J'étais le premier homme ouvrant les yeux sur le premier matin. Puis mon malheur s'est réveillé à son tour, et aussitôt il s'est jeté sur moi et m'a mordu au foie." Nocturne, in Petites proses.

Annotation :

"Mardi 22 octobre
J'ai arrêté mon journal.
Comme chaque fois que je cesse de consigner le présent, j'ai l'impression de me retirer du mouvement du monde, de renoncer non seulement à dire mon époque mais à la voir. Parce que voir pour écrire, c'est voir autrement. C'est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur d'existence."
Annie Ernaux, 'Regarde les lumières mon amour' (folio p. 88).

Annotation :

"Certains bleus font beaucoup moins de mal que l’indifférence."
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"Comme il est difficile de vivre avec un être qu’on déteste, quand cet être, c’est vous-même."
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"Une fois calmé, avec remords, je constatai que mon acte pénétrait jusqu’aux moindres replis de mon existence. Il me dévorait, dénaturait tout, sans épargner même mes beaux chardons de givre, ceux que j’avais aimé contempler sur mes vitres : le peu de beau qui me restait, il le transformait en horreur."
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"Ce qui rend méchant, c’est moins parfois la méchanceté d’autrui que le dégoût que l’on a de soi-même."

Annotation :

« Quand la réalité lui résistait, il avait pour principe de ne pas s’obstiner. Il passait à autre chose. Alors, dépitée, la réalité mollissait. » p. 74 (nrf)
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« (...) c’était elle, Anaïs, qui voulait retrouver les saisons d’Europe, et leur virtuosité à jouer du transparent, du frais, du fugitif, toutes ces menues magies délectables dont elle perdait peu à peu le souvenir, un pâle soleil, une ombre légère, les tours de la cathédrale de Troyes sous la neige. » (p. 121-122)
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« C’est à cela qu’on reconnaît une démocratie : elle garde tout. Un tyran choisit : ça oui, c’est beau ; ça non, c’est affreux. Dans une démocratie, va savoir : hier on détestait le style Louis XV, aujourd’hui on l’adule. (...) La démocratie ne fait pas le tri. Le tri, c’est ‘Le Meilleur des mondes’. » (p. 149-50)