Lectures 2018

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Dans "Deux mois à lire Balzac" :

"L'accent allemand du baron de Nucingen agace même les balzaciens les plus aguerris. Peut-être est-ce la ferveur excessive du converti, mais moi, non. Je vois approcher les pages remplies des italiques annonçant ce baragouin avec un petit sourire gourmand, affectueux. Je suis sûr que cela faisait sourire Balzac aussi, que c'était pour lui une récréation. D'ailleurs, si ça ne lui avait pas fait plaisir, il ne l'aurait pas fait. Contre-exemple : l'accent espagnol, il ne savait pas, ou ça l'ennuyait, alors :
Et voilà. Règle d'or, quand on écrit de la fiction : si un truc vous embête, ne jamais s'y croire obligé."

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"Je pensais que, si j'étais venu seul, c'était par égard pour vous : une solitude si manifeste, si vulnérable, vous interdisait de voir en moi une menace, un facteur de bouleversement. À moi seul je ne constituais pas une invasion ; je n'étais qu'un jeune commissionnaire. Mais les choses vont plus loin. Seul, je ne puis changer votre monde. Mais je puis être changé par lui. Seul, je dois écouter, aussi bien que parler."

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" - On te demande ce que tu deviens, dit Paradis en lui versant à boire.
- Rien, dit Pierrot.
Cette réponse, quoique inexacte, ne surprit personne, tant ils étaient habitués à l'entendre de tout à chacun."

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"Si cela vous intéresse, je vais vous montrer la liste des groupes que nous allons convoquer.
Il me tendit une feuille dactylographiée énumérant :
les polysystématiseurs, les co-matérialistes phénoménophiles, les télépathiciens dialecticiens, les sympathisants piatiletkiens non réformés, les anthroposophes discordants, les dysharmonistes plurivalents, les Yougoslaves anticonceptionnels, les médiumnistes paralyriques, les fanatiques irrésolus partisans de l'ultra-rouge, les spirites incubophiles, les révolutionnaires asymétriques purs, les polypsychistes intolérants, les terroristes antifascistes promussoliniens d'extrême-gauche, les fruitariens antiflics, les métapsychistes incoordonnés, les parachistes disséminés, la ligue pour les barbituriques, le comité de propagande pour la psychanalyse par correspondance, le groupe Edouard Salton, les socio-bouddhistes dissidents, les phénoménologues néantisseurs en inactivité, l'association des anti-intellectuels révolutionnaires, les révoltés nullificateurs intégraux, les syndicalistes antimaconniques initiés, et trente et un groupements belges."

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"La bombe U. On disait ,en abréviation de , et par une sorte de familiarité effrayante, comme on pourrait être familier avec le diable.
Elle avait relégué au rang de pétard les antiques bombes A, H, et N. Mais plus que sa puissance fabuleuse, ce qui constituait son danger, c'était sa facilité de fabrication et la relative modestie de son prix de revient."

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"Mais, continua Green, je ne vois pas ce qu'il y a à gagner à citer la Bible. L'Etat du Kansas prévoit que le châtiment pour homicide volontaire sera l'emprisonnement à perpétuité ou la mort par pendaison. C'est la loi. Vous, messieurs, vous êtes ici pour la faire respecter. Et s'il y a un cas où la peine maximum est justifiée, c'est bien celui-ci. Il s'agit de meurtres étranges et féroces."

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"Bruno aurait bien envie de graffiter un truc sur la devanture, mais Morgane lui fait jurer que non. De toute façon, il n'a sur lui ni bombe ni marqueur, pas même un bout de craie. Autant revenir, passé minuit, oeuvrer en solitaire et crobarder un coffre-fort s'élevant dans les airs avec le concours de quelques pigeons voyageurs et au-dessus : LA LIBERTÉ, C'EST PAS DU VOL ! Ou alors un portrait de Mitterrand signé FARCE TRANQUILLE, sauf que, vu comme les choses ont tourné, ce n'est plus d'actualité. Il aurait bien une autre idée en tête : HAUT LES MAINS ! PEAU DE CHAGRIN ! Encore lui faudrait-il trouver le dessin au pochoir qui irait avec."

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"- Ainsi, ils m'ont traité de fou. Eh bien, figure-toi, ces beaux messieurs et ces belles dames ont raison. Il est parfaitement évident qu'un homme qui a voué toute sa vie aux cerfs-volants n'est pas dépourvu d'un grain de folie. Seulement se pose ici une question d'interprétation. Il y en a qui appellent ça , d'autres parlent aussi . Il est parfois difficile de distinguer l'un de l'autre. Mais si tu aimes vraiment quelqu'un ou quelque chose, donne-lui tout ce que tu as et même tout ce que tu es, et ne t'occupe pas du reste...
Il y eut sur sa grosse moustache un rapide passage de gaieté.
- Voilà ce que tu dois savoir, si tu veux devenir un bon employé de l'administration des P.T.T., Ludo."

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"Hoover [...] se mit à applaudir. Tout le monde l'imita. Les vieux savants et même les plus jeunes, les hommes, et les quelques femmes parmi eux, se soulageaient en gesticulations et à grands cris de la gêne qu'ils éprouvaient à se retrouver entre eux, à se regarder les uns les autres, après avoir entendu et vu ensemble sur l'écran les scènes les plus intimes évoquées par la mémoire d'Eléa. Ils affectaient de n'y attacher aucune importance, d'être blasés, de les considérer dans un pur esprit scientifique, ou d'en plaisanter. Mais chacun en était bouleversé profondément dans son esprit et dans sa chair, et, se retrouvant tout à coup dans le monde d'aujourd'hui, il n'osait plus regarder son voisin qui, lui-même, détournait les yeux. Ils avaient honte. Honte de leur pudeur et honte de leur honte."

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"Lorsque j'émergeai du dernier remous des carnets, j'avais trois ans de plus. Autour de moi, le monde avait changé de façon inattendue. Le nouveau machisme qui avait entamé son règne au début de la décennie connaissait maintenant, vers la fin du millénaire, une vogue formidable. Le fantôme faiblissant du grand fakir avait été mis au repos forcé. Non-violence, tolérance, compassion, humour, tout était solidement enterré. Les dinosaures avaient dévoré l'homme qui chevauchait les crocodiles."

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"Les doigts resserrés sur un stylet imaginaire, Angel fait le geste de ciseler une silhouette, là, qui lui paraît un peu floue. D'arrondir ici la courbe insuffisamment prononcée d'un casque. D'ajouter plus haut un nuage dans le ciel. Jusqu'à ce que l'image qu'il a devant lui cède la place à celle qu'il est en train de composer dans sa tête.
Et qu'il trouve bien mieux agencée.
Chaque retouche qu'il apporte lui confère un étrange pouvoir sur ce qui se déroule sous ses yeux. De même qu'un simple coup de plume en bas d'une charte change le sort de toute une nation, il tient cette vie qui grouille sur la place au bout de son poignet. Il la façonne à sa guise.
Le voilà qui efface les suppliciés d'un vif mouvement du bras. Et raye l’évêque d'un trait sec."

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"Ils commencent par épuiser la conversation courante, celle qu'on trouve dans les manuels bilingues. C'est aujourd'hui Noël. Noël c'est une histoire de poudigne et de boudin, un prétexte à mangeaille quoi. Helena se déclare agnostique, son père avait été un athéiste militant et sa mère, en France, élevée laïquement. Lui il a été à a messe ce matin. C'est beau la messe, les chants, l'odeur plus que pharmaceutique, la discipline pour le peuple. Noël, mais c'est le jour anniversaire de la naissance du Christ. S'Il a existé. Helena en doute fort, qu'Il ait existé ; elle croit là-dessus son alcoolique de père, qui en connaissait au moins trente-six raisons, pour qu'Il n'ait pas. Drôle de conversation, on ne la trouve pas dans les manuels."

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"- C'est cela, prononça-t-il lentement, et après un silence, il ajouta : Ah ! l'argent, l'argent ! Que de maux dans le monde à cause de l'argent ! Nous ne pensons tous qu'à l'argent. Mais l'âme, qui pense à l'âme ?
J'avoue que je ne sus que répondre, car ma pénible existence m'avait fait perdre complètement l'habitude de ce genre d'aphorismes..."

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"Il arpentait la plage, voûté et toussant. Il s'arrêtait pour regarder les rouleaux noirs de la houle. Il titubait de fatigue. Il revint s'asseoir près du petit et replia le chiffon et lui épongea le visage puis étala le chiffon sur son front. Il faut que tu restes à côté de lui, dit-il. Il faut que tu fasses vite. Pour pouvoir être avec lui. Le serrer contre toi. Le dernier jour de la terre."

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"Dans mes livres je fais toujours allusion à la . Ouverte est bien le mot. Elle était ouverte à tout et à n'importe quoi. Toute notre science et notre expérience on les prenait là. Comme dans les temps anciens. Les cavernes du savoir ont beau être sanctifiées, elles n'en sont pas moins sinistres et couvertes de rouille. Le vrai savoir se trouve dehors, en plein dans la vie. Ce qu'on apprend vraiment, on l'apprend en un éclair et rarement là et au moment où l'on s'y attendait le plus."

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"Ce n'est pas la première fois que Lucio a une Bible dans les mains, il l'a déjà lue et il lui semble que ce serait un excellent livre, si seulement on avait effectué un meilleur travail d'édition, si l'on n'y voyait pas les excès du romancier payé au mot."

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"Suant dans l'ascension de la longue Neuvième Sud vers son chez-lui de la Vingt-troisième Est, Doc Sarvis pédale en parfaite conscience de l'embouteillage qu'il cause, qui le presse dans son dos, clameur de klaxons écrasés par des poings ulcérés, bouillon de haine motorisée qui fermente jusque sur sa roue arrière.
Mais il se dit : qu'ils aillent tous se faire foutre.
Qu'ils attendent. Qu'ils s'ulcèrent. Qu'ils marchent. Qu'ils pédalent, comme moi, ça leur ferait du bien, ça me ferait du bien, ça ferait sacrément du bien à tout le monde."

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"Pourtant nous étions rodés, nous, les habitants, habitués à voir débarquer de temps à autre un hurluberlu qui nous prenait de haut, expliquant qu'on ne savait pas s'y prendre avec notre paysage, nos kilomètres de côtes sans un hôtel-restaurant ni un parking digne de ce nom, sans une résidence un peu luxueuse pour profiter de la vue, avec cette lumière si belle qui traverse la roche en fin d'après-midi, le calme des fougères qui ont l'air d'absorber toute la douleur du vent - bien sûr, moi aussi je peux vous vanter les lieux, moi qui les aime plus que tous les margoulins de la terre.
La brume qui va et vient devant le soleil pâle.
La frondaison des arbres quand les tempêtes s'éloignent.
Mais ce n'est pas comme ça qu'on vit avec les choses, pas en les vantant à tue-tête dans les colonnes des journaux."

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"Il en résultait qu'il fallait tirer le maximum de cette vie puisque, à ce que je savais ou croyais savoir, ou même en espérant le contraire, demain nous devions mourir."

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"L'homme marche debout. Il peine sur un versant abrupt parce qu'il doit hisser pas à pas sa masse sans pouvoir prendre aucun élan. Le lapin est plus favorisé. Ses membres antérieurs supportent le poids de son corps tandis que ses longues pattes arrières le propulsent. C'est plus que suffisant pour faire avancer une créature aussi légère. Les lapins grimpent très vite. D'ailleurs, il y a tant de puissance dans leur arrière-train qu'ils éprouvent plus de difficultés à descendre, et il leur arrive, quand ils dévalent une pente, de rouler cul par-dessus tête. En revanche, l'homme domine le sol et voit ce qu'il y a autour de lui. Le terrain peut être accidenté mais lui paraîtra plat. À sa hauteur, on peut choisir quel chemin emprunter. Les craintes et les obstacles de ces lapins étaient donc différents de ceux que vous, lecteur, éprouveriez si vous gravissiez cette colline."

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"Dehors les oiseaux volaient d'arbre en arbre en sifflant. Claude a dit : Ils ne tuent plus les oiseaux. Pourquoi les tuaient-ils, grand-père ? Pour se servir des armes qu'on leur a données, a répondu grand-père. Tu armes des faibles, ils prennent n'importe quoi comme cible ; tu armes des gueux, ils ne désirent qu'une chose : se prouver à eux-mêmes qu'ils sont devenus puissants ; tu armes des imbéciles, ils cherchent justification au rôle important que tu leur as assigné et assassinent leur fils ou leur père."

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"L'avenir semblait un peu moins sombre si l'on désignait un bouc émissaire : les Russkofs, les satellites, les ouragans dans le Sud...
Les forestiers de ces patelins accusaient les cantonniers : "Ça fait glisser la terre, toutes ces foutues routes que vous construisez !" Les cantonniers accusaient les forestiers : "Et vous alors ! Pauvres fêlés de la hache, en arrachant toute la broussailles des versants, en mettant la montagne à poil... comment voulez-vous qu'il en aille autrement ?"
Les jeunes générations trouvaient matière à incriminer les vieux qui les avaient fait naître dans ce monde pourri ; les vieux incriminaient les Églises. Les Églises, pour ne pas être en reste, déposaient tout aux pieds du Seigneur."

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"Il est amer le monde, observe-t-il en souriant. D'où mon usage abusif de sucre dans le café. Mon médecin est en rage contre moi... C'est un suicide, me reproche-t-il, vu mon taux de diabète. Moi, je trouve con de mourir en bonne santé. Alors un peu de douceur dans mon café."